Défis de la migration et violence contre les femmes
Signataire de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, la Roumanie s’est dotée en 2012 d’une loi contre la violence conjugale. Malgré cette initiative législative, les statistiques ne sont pas encourageantes: 30% des Roumaines ont subi une forme de violence physique et/ou sexuelle ; pourtant, pour les cas les plus graves, 23% d’entre elles ont porté plainte contre leur agresseur. D’ailleurs, la violence contre les femmes est, malheureusement, beaucoup plus répandue en Europe que l’on ne le croirait à première vue.
Christine Leșcu, 11.10.2017, 12:51
Signataire de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, la Roumanie s’est dotée en 2012 d’une loi contre la violence conjugale. Malgré cette initiative législative, les statistiques ne sont pas encourageantes: 30% des Roumaines ont subi une forme de violence physique et/ou sexuelle ; pourtant, pour les cas les plus graves, 23% d’entre elles ont porté plainte contre leur agresseur. D’ailleurs, la violence contre les femmes est, malheureusement, beaucoup plus répandue en Europe que l’on ne le croirait à première vue.
Jurgita Peciuriene, experte de l’Institut européen pour l’égalité des hommes et des femmes – une agence de l’UE basée à Vilnius – nous offre les derniers chiffres.
Jurgita Peciuriene : «Selon les données fournies par l’Agence des droits fondamentaux de l’UE, 33% des femmes ont subi différentes formes de violence physique ou sexuelle jusqu’à l’âge de 15 ans. 18% des femmes ont été poursuivies pour être agressées, alors que 55% ont été confrontées à une situation de harcèlement sexuel. Cette forme d’agression est pratiquée en général par des hommes occupant des fonctions supérieures, alors que la violence domestique est le plus souvent exercée contre les femmes par leur partenaire intime – conjoint actuel ou ex-conjoint. Malheureusement, ce phénomène est très répandu et la maison n’est pas le lieu le plus sûr pour les femmes ».
Les Roumaines qui quittent le pays pour travailler ou mener une vie plus décente dans d’autres Etats de l’UE sont souvent exposées à des formes spécifiques de violence.
Silvia Dumitrache, présidente de l’Association des femmes roumaines d’Italie, nous donne un aperçu de la situation : « Nombre de femmes qui arrivent en Italie étaient déjà victimes de violences conjugales avant de quitter la Roumanie. Pour beaucoup d’entre elles, c’était d’ailleurs là la principale raison de partir. Le fait de se séparer de leur famille et de leurs enfants est une première forme de violence que subissent les migrantes. Toutes les femmes n’en sont pas conscientes : elles se sentent généralement poussées à se sacrifier et souvent elles n’ont pas le choix. Vivre isolées, enfermées chez elles, privées d’une vie sociale et même personnelle est une autre forme de violence. Je pense notamment aux femmes qui travaillent comme aides-soignantes dans les maisons des Italiens. Elles bénéficient d’une seule journée de libre par semaine et ne réussissent pas à avoir une vie privée. Souvent, elles travaillent au noir, ce qui est aussi une forme de violence. »
Nombre de Roumaines vivant en Italie sont victimes d’un autre type de violence : la traite des êtres humains. Ces cas d’esclavage moderne ont été présentés dans la presse internationale, notamment ceux enregistrés dans la province de Raguse, en Sicile.
Silvia Dumitrache : « Dans cette zone, la plupart des victimes du travail forcé sont des femmes et elles sont, hélas, le plus souvent d’origine roumaine. Elles vivent dans des conditions inimaginables, dans des habitations improvisées, aux parois en carton. Elles ont difficilement accès à l’eau potable ou à Internet, pour communiquer, s’informer ou demander de l’aide. Elles vivent isolées, à plusieurs kilomètres de la localité la plus proche, elles n’ont pas accès à des services sanitaires et leurs enfants ne sont pas inscrits à l’école. Cette façon d’habiter n’étant pas reconnue comme telle en Italie, ces personnes n’ont pas de titres de séjour et, pour les autorités italiennes, elles n’existent pratiquement pas ».
Sabina a quitté la Roumanie pour l’Espagne en 2003 ; elle renonçait à ce moment-là à un poste de professeur de géographie pour suivre son époux. Au bout de 14 années passées dans ce pays, elle arrivait à travailler, à Madrid, dans un centre d’accueil des femmes victimes de la violence conjugale. Elle a pu ainsi mieux connaître les problèmes auxquels sont confrontées les femmes maltraitées et, notamment grâce à la directrice de ce centre, elle a réussi à comprendre ses propres souffrances.
Sabina : « J’ai été moi-même confrontée à une situation difficile, mais je ne suis arrivée dans aucun centre d’accueil, bien qu’une offre m’ait été faite. Nous, les Roumaines, nous sommes éduquées ainsi: quoi qu’il arrive, ne jamais porter plainte à la police, ne pas dénoncer, ne dire à personne ce qui nous arrive… J’ai vécu ça et j’ai réussi à raconter mon histoire, raconter ce qui m’arrivait. J’ai été confrontée à la violence conjugale psychologique. En Roumanie j’avais terminé une faculté. Arrivée en Espagne, je ne pouvais plus pratiquer mon métier et ça me déprimait un peu. J’étais venue en Espagne contre ma volonté, j’y étais seule, sans personne de ma famille. Je devais faire uniquement ce que l’on me demandait, il y avait toujours des discussions… »
Sa vie était dominée par son ex-conjoint – Sabina le sait maintenant. Comment a-t-elle réussi à échapper à cette domination ? Tout d’abord en recevant une aide psychologique.
Sabina renoue le fil de son histoire : « Mon chef m’a envoyée suivre une thérapie. J’ai dû m’entretenir avec un psychologue spécialiste de la violence conjugale. C’est ainsi que j’ai découvert quel était mon problème, car je n’en avais pas été consciente jusque-là. J’avais pensé que mes difficultés étaient liées à l’argent, aux enfants, au stress quotidien, au fait que nous n’étions pas seuls dans l’appartement que nous habitions… Je ne me rendais pas compte de ce que j’étais en train de vivre. J’étais en quelque sorte obligée de me refermer sur moi-même, car si je commençais à raconter à mes parents, à mes beaux-parents ou à ma sœur ce que je subissais, j’allais être considérée comme coupable ou folle ou méchante. J’ai connu beaucoup de cas pendant les 5 années depuis que je travaille pour cette dame et j’ai découvert les histoires de vie de nombreuses femmes. Quand on est émotionnellement dépendant d’une certaine personne – comme je l’avais été de mon ex-mari – et que l’on tâche de faire en sorte que tout aille bien et que rien de mal ne se passe dont on se sentirait coupable, tout cela vous fait vous oublier vous-même et vous mettre à la dernière place. »
A part ses effets émotionnels et psychiques, la violence contre les femmes a aussi des conséquences économiques. Selon l’Institut européen pour l’égalité des hommes et des femmes, les coûts de la violence domestique, consistant en assistance médicale, services spécialisés de protection des femmes et absence au travail, se chiffrent à 109 milliards d’euros par an. (Trad. : Dominique)