Bucarest, à qui es-tu ?
Ce sont des groupes, informels pour la plupart, qui sont composés de personnes préoccupées par des sujets comme la pollution de la ville, la disparition des espaces verts, le fait que la majorité des quartiers ne dispose pas d'aires de jeu pour les enfant
Christine Leșcu, 01.11.2023, 11:18
Neuf groupes d’initiative civique bucarestois se sont réunis récemment dans
le cadre de la rencontre Bucarest, à qui es-tu ?, organisée par le Centre
pour la participation publique, le CERE. C’est la troisième rencontre de ce
type qui est organisée avec le but de faciliter le dialogue entre les autorités
locales et les citoyens et d’aider ces derniers à présenter leurs doléances.
Qui compose ces groupes d’initiative civique ? Réponse avec Silvia Boeriu,
coordinatrice de la communication et des relations publiques du CERE.
Ce sont des groupes, informels
pour la plupart, qui sont composés de personnes préoccupées par des sujets comme
la pollution de la ville, la disparition des espaces verts, le fait que la
majorité des quartiers ne dispose pas d’aires de jeu pour les enfants etc.
Ainsi, deux des sujets les plus discutés lors de la rencontre étaient liés à
certaines parcelles de parcs bucarestois. Ces parcelles ont été rétrocédées et comme
la situation n’est pas claire, elles sont laissées à l’abandon, ne sont pas
accessibles au public et surtout ne sont pas protégées. Il y a aussi des
initiatives qui se proposent de connecter les différents groupes. C’est le cas
du projet online bucureștiulcivic.ro qui propose une carte de toutes les
initiatives menées à Bucarest, avec des détails sur les groupes et leurs
activités. Tous ceux qui souhaitent soutenir une initiative ou qui sont préoccupés
par tel ou tel problème dans telle ou telle zone peuvent contacter les groupes
déjà existants.
Le quartier du « 16 février » offre un exemple de groupe informel
qui se mobilise. Situé en périphérie de Bucarest, ce quartier connaît de nombreux
problèmes souvent vieux de plusieurs décennies. Un groupe de citoyens tente de
faire bouger les choses, pourtant sans résultat jusqu’à présent. Adriana Pascu,
membre de ce groupe, nous décrit la situation.
Nous avons fondé le groupe en
2019. Nous avons essayé de nous faire entendre par les autorités qui nous
ignorent depuis plus de 30 ans. Notre but est de faire valoir nos droits et
d’avoir une vie décente. Bien que nous payions nos impôts, dans le secteur 1,
où les impôts locaux sont assez élevés, nous ne bénéficions de rien du tout. Il
n’y a aucune infrastructure, nous avons encore des routes en terre. Ça dure
depuis 50 ans, il manque d’infrastructures pour l’eau, le gaz, l’électricité,
les routes, les aires de jeu pour enfants, les transports en commun etc. (…)
Rien n’a été fait, absolument rien. Et même pire, le quartier est devenu une
décharge, un lieu où toutes sortes de choses sont déversées. Les autorités
locales, la police locale ne font rien. Toutes nos démarches, nos pétitions,
nos participations aux réunions du Conseil, tout ceci n’a aucun effet. Ce
problème vient du manque d’intérêt des autorités pour nous, les citoyens.
Si la mobilisation des citoyens n’a pas encore eu l’effet escompté dans le
quartier du « 16 février », le groupe d’initiative citoyenne du quartier
Drumul Taberei, en revanche, a connu un franc succès. Après une lutte de
plusieurs années, ce groupe, nommé Favorit, a réussi à obtenir des autorités la
rénovation d’un ensemble de bâtiments abandonnés afin qu’il soit transformé en un
centre culturel doté d’un cinéma. Où ont-ils puisé la force de mener ce combat
long de 13 ans ? Tudor Chira, membre de Favorit nous en dit plus.
Je crois que c’est le lien qui
existe entre nous. Nous sommes un groupe intergénérationnel, il y a des jeunes
et des anciens. Le fait que nous habitions là-bas, que nous passions tous les
jours devant cette zone en nous imaginant comme ce serait bien et beau si ce
centre était construit, tout ça a façonné un lien avec les gens du coin, avec
les autorités, avec le réseau civique de Bucarest, et ce lien nous a donné la
force de continuer. Le simple fait qu’on
nous pose des questions sur le projet, que des amis viennent d’autres quartiers
se renseigner sur l’avancée des démarches, tout ceci nous permet de tenir. Et
il y a dans le groupe des personnes très spéciales, qui ne lâchent pas.
Cette persévérance se retrouve également chez
les organisateurs de la rencontre « Bucarest, à qui es-tu ? »
qui ont réussi à amener à la table des discussions les représentants des
mairies des 6 arrondissements de la capitale ; mais aussi ceux de
l’administration générale de Bucarest, dont le préfet, Rareș Hopincă.
Nous, depuis toujours, nous considérons
comme une erreur l’idée que l’espace public ne serait à personne. Cette
conception engendre des problèmes majeurs comme les dépôts sauvages d’ordures,
une très forte pollution, le fait que tous les lacs de Roumanie sont pleins de
plastique, c’est parce que les gens pensent à tort que l’espace public n’appartient
à personne. C’est une erreur majeure. L’espace public appartient à tout le
monde et chacun doit comprendre cela. C’est un changement de mentalité que nous
devons provoquer ensemble, autorités et société civile. Et nous devons
convaincre tout le monde que prendre soin du mètre carré situé au pied de son
immeuble, devant sa maison, dans la rue, c’est un grand pas en avant.
Le dialogue entre les autorités et les citoyens constitue un autre pas,
qu’il a toujours été difficile de passer. Cependant, depuis 10 ans que le Centre
pour la participation publique existe, les gens ont appris à se mobiliser et à
persévérer, ainsi que l’a observé Silvia Boeriu.
Bucarest a désormais de
nombreuses ressources. Les groupes sont mieux connectés entre eux, ils savent
mieux comment utiliser les instruments de participation publique qui permettent
d’atteindre rapidement les autorités. Maintenant il est important que les
autorités écoutent aussi leurs voix. Il semblerait qu’elles commencent à être
plus ouvertes, ayant constaté la persévérance des citoyens, le fait qu’ils vont
exiger de vivre dans une ville qui leur plaît. Les autorités sont un peu plus
ouvertes, plus attentives, surtout en cette période pré-électorale. Mais en
général, les démarches initiées par des citoyens demeurent toujours très peu
audibles, surtout celles qui nécessitent des budgets ou des clarifications
devant des tribunaux.
La communication avec les administrations reste donc difficile mais les
citoyens engagés tiennent bon et grâce à leur persévérance des représentants
des administrations publiques se déplacent désormais aux rencontres des groupes
d’initiative civique comme « Bucarest, à qui es-tu ? ». (trad :
Clémence Lheureux)