Avoir des enfants atypiques en Roumanie
Et là, on fait référence aux familles avec des enfants qui ont des besoins éducatifs particuliers (BEP) et qui, en vertu de la législation actuelle, doivent être intégrés à l’enseignement de masse. La loi existe sur papier, mais, en pratique, il arrive souvent que cette intégration n’ait pas lieu. C’est ce vécu qu’Anemari-Helen Necșulescu relate dans son livre paru récemment chez Cartex sous le titre « Le journal d’une mère. Séquences urbaines avec enfants, trafic routier, parents, devoirs et autres ».
Christine Leșcu, 23.09.2020, 13:00
Et là, on fait référence aux familles avec des enfants qui ont des besoins éducatifs particuliers (BEP) et qui, en vertu de la législation actuelle, doivent être intégrés à l’enseignement de masse. La loi existe sur papier, mais, en pratique, il arrive souvent que cette intégration n’ait pas lieu. C’est ce vécu qu’Anemari-Helen Necșulescu relate dans son livre paru récemment chez Cartex sous le titre « Le journal d’une mère. Séquences urbaines avec enfants, trafic routier, parents, devoirs et autres ».
Anemari est mère de deux enfants adoptés, dont le garçon, Emi, a reçu un diagnostic de trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention ou TDAH. Le livre ne raconte pas que le mal qu’Anemari a eu à intégrer Emi à l’école. Comme l’auteure le déclare elle-même, « le livre ne vise à rien résoudre, il vise à ouvrir des thèmes de débat. (…) Ne pas parler de nos problèmes ou, pire encore, les cacher, c’est beaucoup plus dangereux pour notre santé mentale. »Un des sujets longtemps cachés sous le tapis, c’est la réaction du système éducatif à l’égard des élèves aux besoins éducatifs particuliers. Au bout de huit ans de tourments, Anemari-Helen Necșulescu résume les types de résistance que l’école lui a opposés. « ll existe plusieurs formes de résistance. C’est l’opposition claire, quand on dit « non », carrément : « ce n’est pas possible », « on n’a pas », « ça n’existe pas ». C’est le genre d’attitude qui me pousse à agir. Mais il y a aussi l’opposition silencieuse, dans laquelle les gens font semblant de respecter la loi et de l’appliquer. Je n’étais pas au courant de cela. Voilà pourquoi, dans mon livre, j’ai consacré beaucoup d’espace à ce sujet et à la façon dont un parent vit cette expérience. D’une part, j’aimerais que les enseignants lisent le volume et puissent trouver en eux l’empathie qui leur permette de voir dans les enfants, au-delà des noms inscrits dans le catalogue, des êtres humains qui ont une histoire. D’autre part, je voulais que les parents se trouvant dans la même situation que la mienne comprennent que ce n’est pas facile. Certains me demandent mon avis. Alors, je leur explique la législation, mais aussi comment ils devraient aborder le problème. Là encore c’est pas facile du tout, car il est question d’un tas de choses, qui vont de la rédaction d’un formulaire d’inscription en double exemplaire à déposer au secrétariat de l’école jusqu’au fait qu’il faut revenir pour savoir quel est le sort de votre requête. Vous devez aussi lire la législation. Si vous avez des amis ayant des connaissances juridiques, demandez-leur de vous aider à traduire la législation dans votre langue. Ensuite, il faut insister et contacter la hiérarchie, systématiquement, jusqu’au niveau du directeur d’école et à celui de l’inspection scolaire. Il ne faut pas lâcher, car on n’a pas le choix. Mon message aux parents dans ma situation est le suivant : Vous êtes le seul espoir de votre enfant. Je sais que, de toute façon, c’est dur de vivre son quotidien, mais, en tant que parent, vous êtes son unique chance. C’est ainsi que j’ai obtenu, pour mon enfant, le maximum que l’on peut obtenir dans la Roumanie d’aujourd’hui. »
Les péripéties d’adaptation d’un enfant BEP et les efforts des parents à cet égard sont décrits dans le livre Le journal d’une mère avec minutie, humour, mais aussi avec l’énergie d’un parent qui sait que, au moins au début, il ne doit compter que sur lui-même dans ce combat contre l’inertie. Anemari-Helen Necșulescu: « Dans mon livre, il y a un chapitre où j’explique comment nous avons commencé l’année scolaire, au cours préparatoire, et comment à la fin, nous avons été expulsés de la classe. C’était douloureux, évidemment, mais j’ai essayé de me concentrer sur ce que j’avais appris de cette leçon et sur la façon dont j’avais décidé d’aborder le problème. La plupart du temps, lorsque nous avons de tels problèmes, nous nous mettons en colère et voulons que justice soit faite. Cette justice, à laquelle nous avons droit, on ne peut pas l’obtenir de cette manière. Si, en tant que parent dans cette situation désespérée, vous vous détachez un peu et prenez du recul, vous pourrez regarder les autres parents comme des personnes non informées, pas nécessairement dépourvues d’empathie. Ils aiment tout autant leurs propres enfants et ne voient peut-être que les besoins de ceux-ci. C’est ainsi que vous réalisez que la réponse est toujours dans l’éducation. Et c’est à vous d’éduquer ces parents, car c’est la seule façon d’intégrer votre enfant. Il n’y a pas de système à l’école pour vous faciliter la tâche. Il n’y a pas de réunions avec les parents où l’on discute de la diversité, des besoins spéciaux, de l’intégration et de l’empathie. C’est à vous d’endosser ce rôle. Vous devez chercher et vous faire des alliés. Et pour cela, j’ai dû me rendre vulnérable, raconter aux parents les difficultés auxquelles j’étais confrontée, à quel point c’était difficile pour moi, ce que signifiait le diagnostic de mon fils, quelles en étaient les manifestations et les défis. Je leur ai dit que je comprenais qu’il leur était peut-être difficile d’accepter que le rythme de la classe soit ralenti par la présence d’un tel élève. J’ai fait tout ça pour trouver un moyen qui nous permette de coexister. »
Comme elle était déjà habituée à élever un enfant atypique, Anemari-Helen Necșulescu en a adopté un autre : une fillette de cinq ans, maintenant âgée de neuf ans. Voici l’histoire de cette adoption, racontée par notre interlocutrice : « J’ai trouvé Rebeka sur la liste des enfants difficiles à adopter. Dans son dossier, il était écrit qu’elle était ethnique rom. On peut soupçonner que c’est la raison pour laquelle elle n’avait pas été adoptée plus tôt. Un enfant se retrouve sur la liste des enfants difficiles à adopter pour plusieurs raisons. Il se peut qu’une fois ouvert le processus d’adoption, plusieurs parents potentiels refusent d’aller plus loin. Autre cas de figure : l’enfant se retrouve plus de six mois dans le registre national des adoptions. Évidemment, il y a des enfants avec différents diagnostics, mais l’appartenance ethnique surtout est un facteur déterminant. Quand j’ai vu que son appartenance ethnique était inscrite sur la fiche, même si c’était illégal, je me suis mise en colère, car je me fâche à chaque fois qu’on me dit que « ce n’est pas possible ». Rebeka a changé ma vie et m’a beaucoup aidée dans ma relation avec Emi. Le fait qu’elle soit d’ethnie rom était juste une information sans importance pour nous. Cependant, elle est très brune, et cela fait que les gens se comportent de manière extrêmement inappropriée. C’est un autre défi à relever. Par exemple, comme je teins mes cheveux en blond et que ma peau est très blanche, le contraste avec Rebeka est saisissant. ll m’est arrivé, un jour, qu’une vendeuse en charcuterie nous regarde longtemps pendant que nous faisions nos courses. À un moment donné, elle n’a pas pu s’empêcher de demander si Rebeka était ma fille. J’ai dit « oui » et j’ai continué : « Mais à qui ressemble-t-elle ? ». « A son père ! », ai-je répondu calmement. Ces dernières années, toujours plus de parents qui adoptent des enfants roms se sont heurtés à la ségrégation, car le problème n’est pas seulement celui de l’enfant, mais de la famille élargie. Par exemple, cela touche Emi aussi. Quand un enfant crie à Rebeka qu’elle est Tsigane et qu’Emi se trouve à côté d’elle, il se sent mal à l’aise lui aussi. »
L’histoire d’Emi, de Rebeka et de leurs parents, racontée dans le livre « Le journal d’une mère », n’est qu’un défi parmi tant d’autres que pose la vie trépidante à Bucarest. Anemari-Helen Necșulescu nous les décrit avec humour et empathie pour prouver qu’en adoptant la conduite appropriée on peut surmonter les difficultés.