Adolescents et philosophie
L’écrivaine Iulia Iordan a décidé de partir à la découverte des pensées de la nouvelle génération d'adolescents. Elle le fait dans le cadre du projet « Filosofia la purtător » / « Philosophie à l’usage de tous » initié par l’association et maison d’édition Seneca. Comment peut-on rendre la philosophie accessible aux jeunes ? Tentative de réponse.
Christine Leșcu, 11.09.2024, 11:17
Les adolescents d’aujourd’hui croulent sous les étiquettes peu flatteuses. Désintéressés par la lecture, dépendants des écrans, consuméristes à l’excès, épuisés par les cours particuliers, les jeunes restent surtout des énigmes pour leurs aînés. En effet, les parents, enseignants et autres éducateurs semblent peiner à trouver le temps et la méthode efficace pour discuter avec les ados. C’est dans ce contexte tendu que l’écrivaine Iulia Iordan a décidé de partir à la découverte des pensées de cette nouvelle génération. Elle le fait dans le cadre du projet « Filosofia la purtător », « Philosophie à l’usage de tous » initié par l’association et maison d’édition Seneca.
Rendre la philosophie accessible aux jeunes
Tout est parti du célèbre ouvrage du philosophe romain Sénèque, Lettres à Lucilius comme nous le raconte la coordinatrice du projet Cristina Pârvu.
« A l’origine, nous souhaitions tirer des enseignements de Sénèque des conseils pour les jeunes d’aujourd’hui, faciles à utiliser, à garder près de soi. Nous avons travaillé avec l’écrivaine Iulia Iordan et l’illustratrice Oana Ispir. Un groupe de 18 adolescents a adressé à Iulia Iordan des lettres dans lesquelles ils parlaient de leurs préoccupations, de leurs inquiétudes, de leurs questions existentielles, de leurs angoisses et de leurs joies. Iulia Iordan a répondu à ces lettres en s’inspirant des enseignements de Sénèque et de sa correspondance avec son ami Lucilius ».
Les jeunes ont un réel besoin de s’exprimer
Ce travail sera édité sous le titre « Reste avec toi ». L’autrice a déjà collaboré au sein d’autres ateliers avec le groupe d’adolescents qui a écrit les lettres qui sont au fondement de l’ouvrage. Elle précise que ces jeunes ont un réel besoin d’expression et n’hésitent pas à parler, si toutefois il trouve une oreille attentive en face. Iulia Iordan :
« C’est de toute évidence une question de reconnaissance, comme c’est d’ailleurs très clairement explicité dans une des lettres : nous avons un besoin constant de reconnaissance. Dans les interactions que je peux avoir avec des adolescents et même des enfants plus jeunes, j’entends beaucoup ce besoin de dire, de raconter, et bien souvent les jeunes disent : “je n’ai personne à qui parler, même parmi mes amis. Il y a des choses que je n’ose pas dire”. Et je trouve très triste et injuste que malgré tous les moyens de communication dont nous disposons nous en soyons toujours là, avec cette sensation d’être ignorés et incompris. C’est pour ça que j’ai accueilli avec beaucoup de joie l’évolution du projet dont l’idée de base était simplement d’adapter certaines des lettres de Sénèque à son ami Lucilius en poésie pour en faciliter l’accès aux jeunes. Or, finalement, les éditeurs ont fait preuve d’une grande ouverture d’esprit en acceptant d’inclure également les voix des jeunes dans les poèmes ».
Quelles sont les préoccupations de cette génération ?
Qu’ont – ils en commun qui les distingue des autres ? Pour l’autrice Iulia Iordan, est remarquable le sérieux avec lequel ils se posent des questions. Elle détaille :
« Le fait qu’ils sont très lucides et conscients, même par rapport aux réponses à ces questions. Leurs esprits sont exercés, façonnés par des lectures. Et ici, j’aimerais prendre les devants par rapport à une critique qui m’a déjà été faite par le passé. On m’a dit, d’accord les enfants avec lesquels tu as travaillé sont comme ça, mais ce n’est pas le cas de tous. Et bien si, ils sont tous comme ça. Ils sont comme ça si on leur donne la possibilité de développer et d’exercer leur esprit critique, si on met des livres à leur disposition et si on ne s’en tient pas à une éducation formelle comme celle qui est malheureusement le plus souvent proposée dans les écoles roumaines. Je crois que tous les jeunes pourraient écrire comme ces jeunes-là ont écrit pour le livre, si les adultes leur mettaient quelques instruments à disposition. Qu’ont tous les jeunes de cette génération ? La liberté avec laquelle ils expriment leur audace, le courage avec lequel ils posent les questions et fabriquent les problèmes, avec lequel ils y répondent également. De manière générale, en lisant ces lettres, il est difficile de ne pas tomber en admiration devant ces esprits jeunes et si ouverts. »
Clin d’oeil sur la vie d’ado d’aujourd’hui
Quels liens peut-on tisser entre les vies de ces adolescents dans notre époque pleine de changements et d’incertitudes et les observations de Sénèque lorsqu’il écrivait à Lucilius ? Iulia Iordan insiste sur l’universalité des thèmes abordés par les jeunes.
« Certains ont écrit sur la mort et sur leur relation avec elle. D’autres sur la guerre et j’ai trouvé ça très mature. La plupart des adultes de mon entourage n’en parlent plus du tout alors qu’elle est toujours là, à la frontière de notre pays. Et les enfants eux y pensent. D’autres ont écrit sur l’amour, sur la philosophie et l’écriture, sur la littérature, le courage, la peur. Les thèmes sont très divers ».
Les textes du futur ouvrage “Reste avec toi” sont bouclés et Oana Ispir a commencé son travail d’illustration. Les éditions Seneca espèrent que le livre sortira à l’automne comme le précise la coordinatrice du projet Cristina Pârvu.
« Au mois de septembre, nous allons diffuser 1000 exemplaires dans des écoles défavorisées du pays, grâce à notre partenariat avec le Roma Education Fund for Romania. Le livre sera accompagné d’un guide pédagogique proposant des activités à partir des 18 lettres-poèmes de Iulia Iordan et nous allons également former les enseignants. Nous avons développé un webinaire afin de les sensibiliser au projet, de parler du processus d’écriture et des activités du guide pédagogique. Après tout ça, le livre sera disponible en librairie pour tout un chacun ». (trad. Clémence Lheureux)