La Dobroudja multiculturelle
Nous commençons notre voyage sur les ondes par une halte à Constanța, la plus importante ville de la Dobroudja et le plus grand port roumain à la mer Noire. Dans le passé, chaque communauté y avait sa banlieue.
Daniel Onea, 19.09.2019, 15:34
Nous commençons notre voyage sur les ondes par une halte à Constanța, la plus importante ville de la Dobroudja et le plus grand port roumain à la mer Noire. Dans le passé, chaque communauté y avait sa banlieue.
Diana Slav, guide touristique de la ville, nous présente l’ancienne banlieue grecque : « La communauté grecque a été et continue d’être très impliquée dans la vie culturelle de Constanța. C’est aux Grecs que nous devons la première école publique de la ville, construite autour de 1865, et le premier théâtre, bâti en 1898. Ce théâtre s’appelle Elpis, qui, en grec, signifie « espérance ». Le grand musicien roumain George Enescu y a donné deux concerts et l’historien Nicolae Iorga, dont la mère était d’origine grecque, y a prononcé une allocution. C’est toujours là que se trouve la première église chrétienne de Constanța, l’église grecque Metamorhposis, la Transfiguration. Elle a été achevée en 1868. A l’intérieur on peut voir encore les candélabres originaux en verre de Murano, apportés en 1862, de Murano et offerts à l’église par un marchand d’origine grecque. Pendant une dizaine d’année, ce fut d’ailleurs la seule église chrétienne de Constanța, aussi, catholiques, orthodoxes et Arméniens ont tenu leurs services religieux ensemble dans le même espace. Pourquoi a-t-elle été la seule église chrétienne ? Parce qu’elle a été construite durant la période de la domination ottomane. Les Grecs ont réussi à négocier avec les Turcs pour pouvoir ériger leur église – chrétienne, donc. La principale condition imposée par les Turcs fut que l’église ne soit pas plus haute que la mosquée située tout près. Pour respecter cette exigence, on conçut une toiture plate, sans croix et sans clocher. L’appel à la prière n’était permis qu’aux musulmans. L’actuel clocher date de 1947 et il est fonctionnel et apprécié par la communauté de tous les orthodoxes. »
Le roi Carol Ier et le futur tsar de Russie, le tsarévitch Alexandre, ont monté les marches de cette église en 1878, lors de la première visite du roi en Dobroudja. Selon Mihnea Hagiu, vice-président de la communauté grecque de Constanța, la ville compte actuellement quelque 2.500 Grecs. Depuis 1947, une rue importante pour eux porte le nom d’Aristide Karatzali.
Mihnea Hagiu : « Aristide Karatzali a été le premier socialiste de la Dobroudja. Il a habité cette rue. L’étincelle de la révolution bolchévique s’est allumée à bord du vaisseau Potemkine. Celui-ci s’est rendu aux autorités roumaines en 1905. Tous les officiers ont été débarqués à Constanța. Une partie d’entre eux y sont restés, d’autres ont émigré en Argentine et plusieurs sont retourné en Russie, où ils ont été exécutés par l’empire tsariste. Aristide Karatzali a abrité les officiers russes. Le théâtre de marionnettes Elpis se trouve rue Aristide Karatzali. Un peu plus loin a habité Nikola Papadopol, déclaré le premier citoyen roumain par le roi Carol I, en 1877, après la guerre d’indépendance de la Roumanie, en raison du fait qu’avant l’arrivée des autorités roumaines, il était maire de Constanța. C’est lui qui collectait les taxes et les remettait aux autorités ottomanes. Le prochain maire de la ville fut toujours un Grec, Anton Alexandidri. La communauté grecque a soutenu dès le début le développement de la ville de Constanța. Avant que la Dobroudja ne réintègre la patrie mère, la Roumanie, les habitants grecs de Constanța, ont adressé une déclaration aux autorités roumaines, demandant d’être dirigés par les autorités roumaines et non pas bulgares, la Dobroudja étant revendiquée, à l’époque, par la Bulgarie aussi. »
Les Russes lipovènes se distinguent par leur riche histoire, leurs traditions et surtout leur cuisine délicieuse. Nous allons les rejoindre aujourd’hui à Ghindărești, localité qui a été, au fil du temps, tantôt commune, tantôt village. La communauté se réunit à l’église de la Résurrection, dont la construction a commencé en 1906 et qui mesure 45 m de haut.
Anfisa Demid, professeur de roumain et de russe à l’école de Ghindărești, nous présente la communauté des Russes lipovènes, dont elle est la présidente : « Nos ancêtres sont des chrétiens orthodoxes de rite ancien, qui n’ont pas voulu renoncer à leur foi, telle qu’ils la comprenaient. Parmi les Russes, c’est seulement nous, qui vivons en territoire roumain, que l’on appelle « lipovènes ». Selon une des explications de cette appellation, le premier habitat des Russes arrivés en terre roumaine se serait trouvé à proximité d’une forêt de tilleuls. Le mot russe pour tilleul est « lipa », d’où le nom de lipovènes. Il paraît que la première attestation documentaire de la communauté remonte à une chronique valaque, qui mentionne qu’en Dobroudja se trouvait une population russe établie dans une localité appelée Ghindărești, en Turquie – car la Dobroudja avait, à l’époque, le statut de pachalik turc. Nous habitons dans la région depuis près de 300 ans. Les Russes lipovènes se sont établis en général au bord des eaux, pour pouvoir pêcher, car ils sont originaires de la zone du Don et la pêche est leur principale occupation. Nous avons gardé nos icônes anciennes, nos livres religieux, nos costumes traditionnels et nos coutumes » .
A Ghindărești, on peut écouter la chorale féminine Novole Donseolki et vous régaler de spécialités traditionnelles, entre autres des crêpes au fromage, des brioches au fromage et petits fours au fromage. Le bortch de poisson et le maquereau grillé, accompagné d’un verre de vin du terroir restent les spécialités vedettes.
Nous nous rapprochons maintenant de la côte de la mer Noire et nous nous arrêtons à Mangalia. Situés à proximité du port touristique, dans la partie ancienne de la ville, la mosquée Esmahan Sultan et son cimetière occupent une superficie d’environ 5.000 m². De l’avis des spécialistes, c’est l’un des plus beaux monuments d’architecture de la région, en raison du mélange des styles grec et turc, teinté d’influences maures. La véranda, les piliers et les balustrades en bois confèrent un aspect tout à fait à part à cet édifice, déclaré monument historique en 2004.
Halil Ismet, l’imam de la mosquée Esmahan Sultan, de Mangalia, nous en parle : « La mosquée Esmahan Sultan de Mangalia est une des plus anciennes de la Dobroudja. Elle a été construite par la princesse dont elle porte le nom, fille du sultan Selim II et épouse de Sokollu Mehmed Pacha. La mosquée Esmahan Sultan est ouverte aux fidèles toute la journée. L’office est célébré en arabe et les sermons sont prononcés en turc. La communauté musulmane de Mangalia compte plus de 900 familles. En été, la mosquée est visitée par de nombreux touristes roumains et étrangers, dont certains n’ont jamais vu un tel établissement religieux et ils sont toujours impressionnés. »
A l’entrée de la mosquée se trouve un beau jardin fleuri et une terrasse où vous pouvez vous arrêter pour savourer un café turc, préparé dans du sable chaud, ou un thé parfumé.
Voilà pour cette édition de notre rubrique Radio Tour, réalisée avec le concours du Département pour les relations interethniques du gouvernement roumain. A bientôt pour un nouveau voyage sur les ondes de RRI. (Trad. : Dominique)