Tragédies de la Révolution roumaine: le cas Otopeni
Le renversement sanglant de la dictature communiste a été lévénement le plus important de la seconde moitié du 20e siècle. Un tel déchaînement de forces et dénergies a été totalement inédit et a surpris la quasi-totalité des Roumains. Cétait un événement unique pour une vie humaine et la plupart dentre eux avaient souhaité ne pas rester à lécart du renouveau de leur pays.
Steliu Lambru, 22.12.2014, 14:45
Toutefois, les événements tragiques ont émaillé cette quête de liberté. Parmi eux, ce que lhistoire a appelé « le massacre dOtopeni », intervenu le 23 décembre 1989, dans les environs de laéroport international de la capitale, Bucarest. Suite à un terrible malentendu, les troupes en charge de la défense du site ont ouvert le feu sur un convoi de trois camions transportant des soldats devant les rejoindre, ironie du sort, en renfort. Une cinquantaine de militaires ont alors été tués, étant pris pour des « terroristes » et payant de leur vie le manque de formation des forces se trouvant sur place, la communication déficitaire, les ordres contradictoires, lexcès dadrénaline des gens et la force destructrice des rumeurs.
Pour RRI, lhistorien Şerban Pavelescu fait la reconstitution de cette journée noire: « Lincident du 23 décembre 1989 devrait être un cas école pour la formation des militaires. Lenquête et le procès qui l’a suivi et qui ont duré une vingtaine dannées ont révélé que ce fut le résultat dun concours de circonstances. Concrètement, plusieurs sous-unités étaient présentes sur les lieux, appartenant au ministère de la Défense, mais aussi à la Police aux frontières, à la Direction de laviation militaire et aux gardes patriotiques. Il convient de préciser dès le début que certains parmi ces militaires manquaient complètement de formation, dautres étaient en train dêtre formés. Notons que les forces les plus expérimentées étaient déjà désarmées, car jugées suspectes. Il sagit de lUnité spéciale de lutte antiterroriste (USLA) et de la sous-unité du ministère de lIntérieur, les deux chargées de la protection régulière de laéroport ».
Serban Pavelescu décrit également la composition du dispositif militaire ainsi que les prémisses de la tragédie qui allait se produire: « Il y avait des rangées de tireurs disposées à la fois au premier niveau de laérogare quau rez-de-chaussée dun autre bâtiment situé sur la voie daccès principale du bâtiment. Les militaires étaient dotés darmement léger et lourd dinfanterie, dont un transporteur blindé amphibie et des mitrailleuses lourdes de calibre 14,5 mm. Les gens étaient là depuis 48h déjà, ils étaient très fatigués, alors quils avaient été déjà mis en alerte par plusieurs incidents, dont on ne saurait dire, même à ce jour, sils ont été réels ou fictifs. Les militaires étaient surexcités et, comme lenquête ultérieure nous la révélé, ils étaient mal dirigés. La communication entre les différentes composantes du dispositif était mauvaise ».
Le matin du 23 décembre des renforts se mettent en marche vers laéroport de Bucarest. Il sagissait du détachement dit « Câmpina », du nom de lécole de sous-officiers du ministère de lIntérieur, basée à dans cette ville du département de Prahova, située à une centaine de kilomètres de la capitale. Serban Pavelescu: « Cest Grigore Ghiţă, commandant des troupes de la Securitate, cest-à-dire du ministère de lIntérieur, qui avait donné lordre au détachement de Câmpina de se déplacer à laéroport. Les militaires qui sy trouvaient déjà avaient été pourtant alertés par des coups de fil anonymes, par des informations diffusées tant par la télévision publique que par les moyens internes de communication quils allaient être attaqués. Le dispositif attendait donc ces renforts, mais à un autre endroit. Au lieu demprunter la route qui menait au terminal fret de laéroport, parallèle à la voie principale daccès à laérogare, les camions du détachement Câmpina sont allés tout droit, de manière perpendiculaire, vers le dispositif de défense ».
Suite à ce contretemps, la tragédie se produit et les conséquences sont fatales, explique lhistorien Şerban Pavelescu: « Il était 7h du matin et il faisait encore noir dehors. Les gens étaient très fatigués, après plusieurs alertes durant la nuit. Le commandant du dispositif, le capitaine Zorilă, fait un excès de zèle et ordonne douvrir le feu sur les camions. Sauf que les militaires se trouvant dans le bâtiment annexe de laérogare, dans le premier alignement donc, ont cru quils avaient été attaqués et ont à leur tour tiré devant. La canonnade ne sarrête que difficilement. Les militaires survivants du détachement de Câmpina crient quils se rendent et quils ne sont pas armés, en descendant des camions les mains en lair. Et là, on entend un coup de feu, mais personne ne saurait dire sil a été réel ou imaginaire. En tout cas, il est très réel pour les gens du dispositif et, par un effet boule de neige, une deuxième phase du massacre se déclenche. Les militaires de Câmpina sont la cible de tirs nourris, encore plus intenses que la première fois, qui durent une dizaine de minutes. Et ce nest pas tout, au moment où les militaires survivants et blessés sont prélevés, un bus emmenant les employés de laéroport se dirige vers le site. Il est pilonné et sept civils perdent la vie ».
Les militaires du détachement de Câmpina ont payé de leur vie une partie du prix pour la liberté des Roumains, en décembre 1989. Il est nest pas moins vrai que cet enchaînement de faits et de bavures est désormais un cas école et il est à lorigine de toute une réflexion sur les carences de communication et de formation des militaires en cas de situation de crise.(trad. Andrei Popov)