Staline et la création de la région autonome magyare de Roumanie
Le 1er décembre 1918, à
l’issue de la Grande Guerre, la province historique de Transylvanie rejoignait
la Roumanie, à la suite du vote exprimé par l’assemblée populaire réunie à
l’occasion dans la ville d’Alba Iulia. Les choses ne se sont pourtant pas
réglées pour autant. La prise de pouvoir des communistes, dirigés par Bela Kun,
en Hongrie détermine la réaction armée de la Roumanie, qui occupe Budapest en
1919. Enfin, le traité de Trianon, signé le 4 juin 1920, met définitivement un
terme aux ambitions de la Grande Hongrie.
Steliu Lambru, 06.06.2022, 09:27
Le 1er décembre 1918, à
l’issue de la Grande Guerre, la province historique de Transylvanie rejoignait
la Roumanie, à la suite du vote exprimé par l’assemblée populaire réunie à
l’occasion dans la ville d’Alba Iulia. Les choses ne se sont pourtant pas
réglées pour autant. La prise de pouvoir des communistes, dirigés par Bela Kun,
en Hongrie détermine la réaction armée de la Roumanie, qui occupe Budapest en
1919. Enfin, le traité de Trianon, signé le 4 juin 1920, met définitivement un
terme aux ambitions de la Grande Hongrie.
La
Hongrie de l’ancien empire d’Autriche-Hongrie rétrécissait comme peau de
chagrin. Elle se voyait amputée non seulement de la Transylvanie, mais encore
de la Slovaquie, du Maramures, du Banat, et de la Croatie. La Roumanie quant à
elle se voyait tenue de protéger les droits des minorités nationales, en vertu
des engagements pris devant les Grandes Puissances, et de la politique de
protection des minorités promue par la Ligue des Nations.
À l’entre-deux-guerres, les relations roumano-hongroises
furent en fait gelées. Le révisionnisme hongrois alla crescendo pendant toute
cette période, jusqu’au 30 août 1940 lorsque, selon les termes du Second Diktat
de Vienne, l’Allemagne et l’Italie forcent la cession du nord de la
Transylvanie à la Hongrie. Alliées de circonstance à l’Allemagne nazie durant
la Seconde guerre mondiale, la Roumanie et la Hongrie n’ont pourtant pas cessé
de se regarder en chien de faïence. Le 23 août 1944, la Roumanie abandonnait cette
alliance et rejoignait le camp allié.
Des recherches
basées sur des documents d’archives apprécient que la nécessité, pour la
Roumanie, de recouvrer sa souveraineté sur l’entièreté de la Transylvanie avait
constitué le principal argument du changement de cap opérée en 1944.
Stefano
Bottoni, professeur à l’université de Florence, et auteur de l’ouvrage intitulé
« L’héritage de Staline en Roumanie. La région autonome magyare 1952-1960 »
détaillait dans une conférence, tenue sous la coupole de l’Athénée roumain, la
manière dont Staline avait arbitré le différend territorial qui opposait la
Hongrie et la Roumanie au sujet du nord de la Transylvanie.
Stefano Bottoni : « Staline n’avait apprécié ni
la position roumaine, ni la position hongroise durant la guerre. Les deux
étaient coupables à ses yeux. La Roumanie pouvait néanmoins faire prévaloir le
fait d’avoir changé de camp au moment opportun. Le 23 août 1944, la situation
avait en effet changé radicalement, la balance inclinant du côté de la
Roumanie. C’était le mérite de toute la classe politique roumaine, des leaders
militaires aussi. Ils avaient compris le rapport de forces, ayant agi en
conséquence. Pourtant, c’étaient les mêmes généraux qui avaient commis des
massacres sur le front de l’Est et qui avaient, pourtant, loyalement rejoint les
Alliés. »
Lors du traité de paix de Paris de 1947,
la Roumanie pouvait faire valoir cet atout : elle avait abandonné de son
plein gré l’alliance avec Hitler et rejoint l’effort de guerre des Alliés.
Libéré le 25 octobre 1944 par les troupes roumaines, le nord de la Transylvanie
demeurait toutefois sous administration soviétique. L’administration roumaine n’avait
pu se déployer qu’après que le roi Michel 1er avait cédé aux
pressions soviétiques, nommant à la tête de son gouvernement un allié des
communistes proches de Moscou, en la personne d’un certain Petru Groza. Mais
même ainsi, le sort de la Transylvanie demeurait suspendu au bon vouloir du
maître du Kremlin. Et la nouvelle diplomatie roumaine, tombée dans l’escarcelle
des communistes, faisait de son mieux pour défendre les droits de la Roumanie
face aux prétentions hongroises, qui se faisaient insistantes.
Finalement, le traité de Paris de 1947 consentit
une nouvelle fois le tracé de frontière consacrée en 1920 par le traité de
Trianon. Mais l’épopée de la Transylvanie ne s’acheva pas pour autant. Moscou
désirait en effet donner une certaine forme de satisfaction aux communistes hongrois,
arrivés à leur tour au pouvoir à Budapest. Et c’est ainsi qu’apparut, en plein
centre de la Roumanie, la Région autonome magyare, composée de trois
départements : Covasna, Harghita et Mureș.
Stefano
Bottoni s’est penché sur la formule consacrée par la « pax sovietica » :
« Dès les années ’44-’45, Staline raisonnait dans une logique de grande
puissance, dans une logique de blocs. Il s’était rendu compte que si la Hongrie
allait devoir accepter 2 ou 2 millions et demi d’ethniques magyars sur son sol,
des gens censés devoir quitter la Transylvanie, cela mènerait à un désastre
social, politique et économique. Et que cela aurait eu un impact négatif sur la
cote de popularité du parti communiste hongrois, surtout celle de Matyas
Rakosi. Les Hongrois aurait pu accuser son incompétence, pointer du doigt sa
responsabilité, sortir des cartons ses origines juives. D’un autre côté, il
fallait offrir à la Roumanie le lot de consolation pour la perte de la Bessarabie
et de la Bucovine du nord en faveur de l’URSS. Alors, Staline avait trouvé
cette astuce : rendre la Transylvanie en entier à la Roumanie, mais pas
tout à fait. Et ce « pas tout à fait » s’était traduit par la
naissance de la Région autonome magyare. Pour les Magyars, c’était le signal
qu’ils pouvaient y demeurer, mais qu’il fallait mettre en veilleuse leurs
revendications révisionnistes. Le temps du révisionnisme, le temps du maréchal
Horthy, le temps de l’arbitrage de Vienne, c’était fini. Quant aux Roumains, il
leur tirait les oreilles de la sorte, car ils n’avaient rien fait en faveur des
minorités, de leur intégration, et ils avaient relégué les membres de ces
minorités au rang de citoyens de seconde zone. Et qu’il fallait que cela cesse.
»
Pourtant, les bons sentiments de Moscou
à l’égard des Hongrois et de la Région autonome magyare fondent comme neige
après la révolution anticommuniste magyare de 1956. En sursis depuis, la région
autonome sera purement et simplement supprimée en 1968, à la faveur de la
réforme administrative voulue par le nouvel homme fort de Bucarest, Nicolae
Ceaușescu. (Trad. Ionuţ Jugureanu)