Sociétés caritatives dans la Roumanie de l’entre -deux-guerres
Pendant le régime communiste de Roumanie, celui même qui prétendait être la plus haute expression de l’humanisme et de la compassion, la vocation philanthropique et la charité se sont estompées, en raison notamment de l’extrême étatisation de la vie économique et politique. Comme en ces temps-là, l’existence des individus dépendait dans une très large mesure des institutions de l’Etat et que les initiatives d’entraide étaient strictement contrôlées, les gens ne ressentaient plus l’impulsion de s’investir dans des œuvres charitables.
Steliu Lambru, 08.07.2013, 13:37
Pendant le régime communiste de Roumanie, celui même qui prétendait être la plus haute expression de l’humanisme et de la compassion, la vocation philanthropique et la charité se sont estompées, en raison notamment de l’extrême étatisation de la vie économique et politique. Comme en ces temps-là, l’existence des individus dépendait dans une très large mesure des institutions de l’Etat et que les initiatives d’entraide étaient strictement contrôlées, les gens ne ressentaient plus l’impulsion de s’investir dans des œuvres charitables.
Mais la situation avait été toute autre auparavant. Dans la Roumanie capitaliste d’avant 1945, l’esprit de bienfaisance avait connu une véritable effervescence. L’église, les entreprises ou les institutions politiques se faisaient un point d’honneur d’aider les malheureux : veuves et vétérans de guerre, orphelins, chômeurs, invalides. Des écoles des métiers fonctionnaient auprès des grandes fabriques, tandis qu’associations professionnelles, syndicats, propriétaires de petits ateliers, personnels sanitaires, enseignants, avocats et autres offraient leurs services à titre gratuit à tous ceux qui manquaient de moyens financiers. Les grandes dames dirigeaient des comités, des fondations et associations qui se donnaient pour but de venir en aide aux infortunés.
Figure de proue de la philanthropie roumaine, Maria Brăiloiu descendait des Lahovary, vieille famille de boyards membres de marque du Parti Conservateur. Fidèle aux préceptes religieux et conservateurs, Maria Brăiloiu allait prendre en charge trois jeunes orphelines. Dans une interview datée de 1996 et conservée au Centre d’Histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Dina Balş, descendante elle aussi d’une famille noble, se rappelait une des oeuvres caritatives de Maria Brăiloiu, dont elle avait été témoin en 1919. « Madame Brailoiu avait des domaines à Sàrulesti, c’était une bonne personne qui faisait des actes caritatifs. Son nom est lié entre autres aux initiatives appelées Chindia et Timisoiu. Cette dernière était une société caritative destinée aux orphelins, aux filles orphelines. C’est madame Bràiloiu qui a fait bâtir sur ses domaines un foyer pour ces enfants, qui y restaient jusqu’à l’âge adulte. Quand on lui demandait ce que ces enfants y apprenaient à faire, elle répondait « Je leur montre comment devenir de bonnes épouses et mères ». Elle leur apprenait à cuisiner, à coudre, à élever les enfants, à laver les enfants, à prendre soin de leur futurs maris, à crocheter un vêtement pour homme, bref à bien se conduire en tant qu’épouse et mère. Il y a même une histoire dont je me souviens : à l’inauguration de ce foyer, qui était très bien équipé, et dont les frais de construction avaient été supportés uniquement par madame Brailoiu, a également participé le ministre de l’Enseignement, Trancu-Iasi. Un repas simple a été organisé par la suite dans le jardin et c’étaient des filles qui servaient les plats aux convives. Trancu –Iasi a voulu alors remettre une décoration à madame Bràiloiu. Laquelle s’est exclamée sur un ton glacial: « Non ! » « Mais pourquoi pas, madame Bràiloiu ? Vous qui avez fait tant de choses !, a insisté le ministre. « Non, c’est pas moi qui les ai faites, mais notre Seigneur, Jésus Christ. Sans lui, je n’aurais pu rien faire. C’est à lui que vous devez remettre la décoration et non pas à moi ! » Et elle refusa catégoriquement de la recevoir. Trancu–Iasi s’est retiré, la décoration dans la poche, et durant son voyage dans le train on l’entendit dire « Très intéressante cette madame Bràiloiu, très intéressante ! Mais quel caractère ! » Le refus de madame Bràiloiu l’avait contrarié et troublé ».
Il y avait aussi des sociétés qui promouvaient la culture et le spécifique national. Dina Bals a évoqué la société Chindia: « A l’époque on connaissait très bien les danses traditionnelles roumaines. Et ce grâce à nos parents qui avaient spécialement mis en place une société dont la mission était de faire perdurer les danses et la musique roumaines traditionnelles. Et une fois toutes les deux semaines, on se réunissait dans la salle de gymnastique Richter, rue Luterana, au centre de Bucarest : c’était une salle au plancher très approprié pour les danses roumaines; certes on s’y rendait vêtu en costumes traditionnels authentiques et on y dansait sur la musique des ménétriers venus de plusieurs départements du pays. Et c’était toujours par les soins de madame Bràiloiu que cette société avait été créée. Tout le beau monde en faisait partie ».
D’importants noms de la culture roumaine ont fait partie de sociétés culturelles, dans le cadre desquelles ils discutaient des thèmes et des sujets chauds de l’actualité. Parmi ces sociétés, mentionnons celle appelée « Parenthèse ». Pourquoi ce nom ? Réponse avec Dina Bals : « Toute une série de personnalités, parmi lesquelles le poète et homme politique Octavian Goga, se réunissaient pour parler de toute sorte de sujets. Et comme l’entretien impliquait de nombreuses digressions et parenthèses, la société a été appelée « Parenthèse ». Ces réunions régulières étaient un véritable régal intellectuel et Octavian Goga était une personne extrêmement agréable. »
La qualité allait main en main avec la sociabilité et la vitalité caractérisait la société roumaine d’avant 1945. Ce fut pendant les deux conflagrations mondiales qu’ont eu lieu les épisodes de générosité les plus impressionnants…(trad.: Mariana Tudose, Alexandra Pop, Alex Diaconescu)