Radio Caire
Steliu Lambru, 17.04.2023, 09:57
La
guerre demeure encore et toujours comme une sorte de menace sourde dans la
mémoire collective des gens d’aujourd’hui. Et même si notre sécurité s’est
beaucoup renforcée ces dernières décennies, grâce notamment à des structures de
sécurité collective telle l’OTAN, la guerre demeure une occurrence encore possible,
envisageable, et cela après 78 ans depuis la fin de la plus terrible des
guerres connues par l’humanité : la Deuxième guerre mondiale.
Et
il faut dire que si les guerres ne peuvent être remportées que sur le champ de
bataille, le moral des troupes et de la population civile restée derrière le
front demeure un élément essentiel, autant que la qualité des armes déployées sur
le front. Les médias ne se sont forcément pas dédouané d’endosser le rôle qui
leur revenait pendant cette dernière grande conflagration mondiale. Et la radio,
média de masse par excellence, ne fut pas en reste. Car c’est sur les ondes
radio que furent portées, perdues ou remportées, les terribles batailles de l’information,
mais aussi de la désinformation.
Pendant la Deuxième
guerre mondiale, la Roumanie avait rejoint l’Axe Rome-Berlin-Tokyo devant
lequel se dressait l’alliance formée notamment par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne
et l’URSS. Les deux blocs cherchaient chacun à dérouter et à démoraliser l’ennemi,
en utilisant pour ce faire des émissions radio transmises dans la langue de l’ennemi.
Les émissions du service roumain de Radio Caire, financé par les Britanniques, constituent
à cet égard un cas d’école. La Roumaine Livia Deakin-Nasta,
traductrice et rédactrice radio, avait rejoint en 1941 la rédaction roumaine de
Radio Caire. C’est que son père, le juriste Liviu Nasta, était un proche de l’ambassadeur
britannique en poste à Bucarest avant l’entrée de la Roumanie en guerre contre
l’URSS, Burton Berry. Née à Bucarest en 1916, diplômée de la Faculté des
langues romanes, Livia Deakin-Nasta se rappelle ses débuts en tant que rédactrice
radio dans une interview enregistrée en 1998, et conservée par le Centre d’histoire
orale de la Radiodiffusion roumaine.
« C’est
au mois de février 1941 que j’avais quitté la Roumanie. Mon père venait de se
faire arrêter par le régime fasciste d’alors, et c’est avec l’aide des Français
et des Américains que je suis parvenue à quitter le pays. Je suis allée d’abord
à Budapest, ensuite à Belgrade. Mais j’ai dû quitter Belgrade, lorsque les Allemands
avaient envahi le pays. Je suis donc partie pour la Grèce, pour arriver ensuite
au Caire, ville qui abritait le deuxième commandement militaire allié. Le
premier était basé à Londres, le second au Caire. »
Et c’est en Egypte
que Livia Deakin-Nasta s’engage corps et âme aux côtés
des Alliés, en suivant en cela les options politiques de son père, devenu
résistant, un des ceux grâce auxquels les Britanniques étaient tenus informés
des mouvements des troupes allemandes et soviétiques. Radio Caire venait d’être
fondée au mois d’avril 1941, juste après l’arrivée de Livia dans le nord de l’Afrique.
Embauchée par le poste de radio, dirigé à l’époque par le lord Runciman, Livia fut
tout de suite nommée lieutenant, et reçut pour pseudonyme le nom de Jane Wilson.
Radio Caire avait ouvert à l’époque des services en langues roumaine, bulgare,
italienne et grecque. Livia Deakin-Nasta :
« J’occupais
le studio à partir de 23h30. L’émission comprenait 10 minutes d’actualités de
guerre, ensuite 5 minutes de d’infos. Les Italiens suivaient au micro, mais il
était rare qu’ils rédigent à l’avance ce qu’ils devaient lire au micro. Les
Italiens se plantaient dans mon bureau, et prenaient des notes, en traduisant
librement du roumain en italien. Finalement, ils avaient appris un roumain impeccable.
Par la suite, je suis tombée malade, et la section roumaine s’est étoffée avec
une nouvelle recrue, Elena, une dame extrêmement gentille. Elle était trois-quarts
roumaine, un quart suisse. Et puis, en 1942, lorsque les Allemands se sont
approchés du Caire, la rédaction a dû déménager au Liban. Nous transmettions depuis
le Liban. Ensuite, depuis Jérusalem, que l’on n’a quittée qu’au printemps 1943. »
Livia Deakin-Nasta se
rappelle encore la manière dont la section roumaine de radio Caire
rédigeait ses bulletins, en prenant appui sur les infos fournies par le Bureau
de presse de l’armée britannique :
« Le
Quartier-général nous offrait des informations brutes. On les traduisait, on
les travaillait, en supprimant toutes les informations qui pouvaient rendre compte
des mouvements des troupes, ensuite l’on s’asseyait sur les sièges d’un cinéma
en plein air, et l’on rédigeait les textes qu’on allait envoyer sur les ondes.
Les textes étaient rédigés à la main, on n’avait pas le temps de les dactylographier.
Les papiers étaient brûlés tout de suite après les avoir lu. Surtout en 1942,
lorsque les Allemands s’étaient approchés, on a dû brûler toutes les archives. Il
y avait alors un bordel pas possible. Vous savez, la guerre n’est pas un jeu d’enfants ».
Mais le travail de journaliste
de la lieutenante Livia Deakin-Nasta ne constituait qu’une partie de la mission
qu’elle avait choisi d’endosser. En effet, elle encodait en transmettait en code
Morse bon nombre de messages adressés aux groupes d’agents alliés infiltrés en
Roumanie. Fin 1944, après que la Roumanie eut rejoint le camp allié, la mission
de la rédaction roumaine de radio Caire prit fin et, avec cela, une page de
cette presse de guerre fut tournée. Le monde allait dorénavant devoir affronter
d’autres défis, et d’autres pages d’histoire attendront d’être rédigées. (Trad. Ionut
Jugureanu)