Prisonniers roumains en Union Soviétique après la deuxième guerre mondiale
Steliu Lambru, 25.08.2014, 13:00
Le nombre de prisonniers roumains en Union Soviétique après la deuxième guerre mondiale est difficile à connaître avec exactitude. Jusqu’au 23 août 1944, date à laquelle la Roumanie a rejoint les Alliés, 165.000 militaires roumains ont été portés disparus, la plupart tombant prisonniers.
Après le 23 août, les Soviétiques ont désarmé 100.000 militaires roumains. Selon les sources officielles soviétiques — qui sont à considérer avec réserve — 50.000 prisonniers roumains se trouvaient encore dans les camps de l’URSS en 1946. L’histoire de ces gens, pour la plupart perdus dans l’immense espace soviétique, on ne pourra peut-être jamais l’écrire dans ses moindres détails. Bien que les archives soviétiques soient accessibles, la vaste quantité de documents, dont certains attendent d’être déclassifiés, rend le travail malaisé.
Les historiens roumains tâchent de récupérer le plus d’information possible. Parmi eux, Vitalie Văratec, auteur du livre « Prisonniers de guerre en Union Soviétique. Documents 1941 — 1956 ». Il nous parle des difficultés de son travail dans les archives de Moscou. « De nos jours, nous ne pouvons même pas établir le nombre exact de prisonniers roumains. Dans le langage des documents de l’époque, on parle de « disparus ». Si ces gens-là ont dû forcer un obstacle, passer une rivière, par exemple et sont tombés dans l’eau, on ignore ce qu’ils sont devenus. Un de mes collègues, avec lequel j’ai travaillé à la rédaction de ce livre, a essayé de reconstituer la liste des soldats morts au combat à Ţiganca et il m’a dit que même à ce jour on ne sait pas combien sont morts, combien sont tombés prisonniers et combien ont été portés disparus. Ils figurent tous dans la catégorie des disparus et personne ne sait rien sur leur sort. Et cela rien qu’à cet endroit. Qu’est-ce qui a pu encore arriver au passage du Dniepr ou à Stalingrad ? »
Le statut accordé aux prisonniers roumains — et à ceux d’autres nationalités, d’ailleurs — découlait de l’interprétation soviétique du droit international concernant les personnes capturées suite aux conflits. Vitalie Văratec. « En Union Soviétique, les prisonniers de guerre ont eu un autre statut, généralement conforme à celui établi par la Convention de Genève, en 1929. Pourtant, il y avait aussi des différences, compte tenu du traitement appliqué par l’Etat soviétique aux officiers, car le principe de la lutte de classe était promu officiellement. En Union Soviétique, l’utilisation des prisonniers de guerre pour des travaux était, elle aussi, interprétée différemment. Si la Convention stipulait que les prisonniers ne pouvaient être utilisés dans l’industrie militaire et dans tout domaine lié aux intérêts de l’armée, en Union Soviétique on ignorait cette prévision. D’ailleurs, dans l’Allemagne nazie, c’était pareil. »
Le régime le plus dur pour les prisonniers des camps soviétiques fut celui alimentaire. Selon Vitalie Văratec, malgré les immenses pressions idéologiques exercées par le régime, les médecins soviétiques ont affirmé que le traitement des prisonniers ne respectait pas les nécessités vitales de l’être humain. « De nombreux prisonniers sont morts de faim. Les historiens russes ont accordé beaucoup d’attention à cet aspect. Un chercheur de Volgograd, le docteur Sidorov, a même publié un gros livre sur la ration alimentaire des prisonniers pendant la guerre. La diminution de celle-ci, notamment en 1942, a coûté des milliers de vies humaines. L’Etat soviétique se trouvait dans une situation économique extrêmement difficile, étant obligée d’importer de grandes quantités de céréales des Etats-Unis et il ne pouvait pas se permettre d’assurer la ration alimentaire minimale des prisonniers. Le nombre de prisonniers ayant beaucoup augmenté pendant les premiers mois de 1943, notamment après la bataille de Stalingrad, les médecins ont demandé une expertise. Malgré le régime de l’époque en Union Soviétique, devant lequel tout citoyen tremblait, il y a eu des médecins soviétiques qui ont affirmé que la quantité d’aliments prévue officiellement pour un prisonnier ne pouvait pas assurer une vie normale. En calculant le nombre de calories que les prisonniers recevaient, ils ont constaté qu’elles leur auraient à peine suffi pour survivre s’ils se tenaient immobiles, étendus sur un lit. Or, ils étaient forcés à travailler. »
La vie des prisonniers dans les camps soviétiques était horrible. Pourtant, malgré l’avenir sombre qui les attendait, ils ont continué d’espérer et d’entreprendre quelque chose pour survivre. Vitalie Văratec. « J’ai vu des statistiques sur le nombre de prisonniers morts ou malades. Pourtant, il y a une autre statistique, très intéressante, sur les évadés. Y figurent les noms des évadés ainsi que des informations sur ceux qui ont été capturés et sur ceux qui ne l’ont pas été. 3,2% des évadés n’ont pas été capturés et la plupart d’entre eux ont été des Roumains. Je me suis demandé pourquoi. Une chercheuse italienne tâche de répondre à cette question et elle parle d’une « mafia roumaine » parmi les prisonniers de guerre en Union Soviétique. Il est vrai que le premier grand lot de prisonniers, de plus de 30 mille hommes, a été constitué de Roumains, de ceux qui avaient participé à la bataille de Stalingrad. J’ai également trouvé des témoignages de civils. Une femme âgée racontait, par exemple, que le matin, lorsqu’elle passait à proximité du camp, en route vers l’école, elle s’arrêtait près de la clôture de barbelés et regardait les rangs de prisonniers de guerre. Les Roumains se signaient pieusement, alors que les Allemands les pointaient du doigt en pouffant de rire. Alors, je me suis rendu compte que les Roumains se sont adaptés plus facilement à ces conditions extrêmement dures, grâce à leur foi et à leurs principes chrétiens, orthodoxes, qui leur ont permis, entre autres, de mieux s’entendre. »
Les pertes humaines enregistrées par la Roumanie en URSS à travers ses prisonniers n’ont jamais été récupérées. (Trad. : Dominique)