Nicolae Titulescu et la diplomatie roumaine dans l’Europe des années ’30
Dans les années 1930, la Roumanie était une présente constante des relations européennes menées dans les plus grandes capitales. Ayant de très bonnes relations avec Paris, Bucarest tentait de remédier aux crises et au politiques révisionnistes du système de Versailles, par la voix d'une des figures de proue de la diplomatie roumaine : Nicolae Titulescu. Histoire.
Steliu Lambru, 23.09.2024, 10:17
Les enjeux de la diplomatie
Il vaut mieux que les diplomates, et surtout les diplomates qui représentent les intérêts de petits Etats, soient agiles, fin prêts à déceler bien avant les autres la tournure que peuvent prendre les événements, de déchiffrer la volonté des Grandes Puissances et tout risque d’un possible changement du rapport des forces existant. Pour y parvenir, les petites nations ont donc tout intérêt à propulser les plus brillants de leurs diplomates dans des postes clés au niveau international. Ce fut ainsi la position de la diplomatie roumaine dans la période de l’entre-deux-guerres, une diplomatie qui propulsa à deux reprises l’un de ses plus brillants diplomates, Nicolae Titulescu (1882-1941), à la tête de la Société des Nations.
A la fin de la Grande Guerre
La fin de la Grande Guerre fut loin de marquer le début d’une ère de concorde universelle. Les Etats vaincus, l’Allemagne en premier, étaient loin en effet d’adhérer de bon cœur aux conditions du traité de Versailles, matérialisées par de lourdes pertes territoriales et de coûteuses réparations de guerre. La création en 1919 de la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU d’aujourd’hui, représenta un moment l’espoir de pouvoir négocier et résoudre les différends qui séparaient les nations autour d’une table et non plus sur le champ de bataille. La Roumanie, bénéficiaire du traité de Versailles, avait bien entendu tout intérêt à faire fonctionner la nouvelle architecture européenne agencée autour de la Société des Nations.
Nicolae Titulescu
Juriste de formation, Nicolae Titulescu est né à Craiova, capitale de l’Olténie, région historique située au sud de la Roumanie d’aujourd’hui. Il fera sa carrière politique au sein du parti Conservateur-démocrate, position qui lui offre la possibilité de soutenir l’entrée de la Roumanie dans la Grande Guerre aux côtés de la France. Après la guerre, on le retrouve ministre plénipotentiaire à Londres, avant de prendre les manettes de la politique extérieure de la Roumanie, entre 1928 et 1936, au sein de plusieurs gouvernements de Bucarest. Dès 1921, Nicolae Titulescu est nommé délégué permanent de la Roumanie auprès de la Société des Nations. Aussi, à deux reprises, en 1930 et en 1931, il sera élu à la tête de la principale institution internationale de l’entre-deux-guerres.
Iosif Igiroșianu a été un des diplomates roumains formés par Nicolae Titulescu. Dans son interview enregistrée en 1997 et conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Igiroșianu explique l’influence étonnante dont jouissait à l’époque le dignitaire roumain.
Les mérites de Titulescu
Iosif Igiroșianu: « Vous savez, la Roumanie a été le seul Etat qui avait pu ouvrir une légation à Genève auprès de la Société des Nations. Le gouvernement suisse avait donné son accord en signe de reconnaissance pour Nicolae Titulescu. Parce que Titulescu avait fait de la Suisse la plaque tournante de la diplomatie mondiale. Il parvenait à organiser la plupart des réunions et des conférences internationales en Suisse, et c’est bien lui qui a donné une assise internationale à la ville de Genève. »
Aussi, dans la hiérarchie du ministère des Affaires étrangères de Bucarest, le représentant de la Roumanie auprès de la Société des Nations occupait une place singulière. Habilité de négocier directement avec les Grandes Puissances, Bucarest attendait à ce qu’il se crée un solide réseau personnel parmi les hommes politiques et les diplomates les plus influents du moment. Une influence personnelle dont la nation dont il était issu pouvait bénéficier directement ou de manière plus subtile.
Titulescu, un médiateur international respecté
Mais Titulescu s’avère être bien davantage que le représentant de la Roumanie auprès de la Société des Nations, parvenant à s’ériger en un médiateur international unanimement respecté. Ami de Pierre Laval, premier ministre de la France de l’époque, Titulescu avait été convié de trouver un arrangement lors d’une dispute qui risquait d’empoisonner les relations entre Londres et Paris, dont les vues divergeaient de plus en plus au sujet de la question des garanties de sécurité que les deux capitales devaient exiger de Berlin. Jusqu’alors, depuis la fin de la Grande Guerre, les gouvernements français et britannique avaient été sur la même longueur d’onde sur le sujet. La signature des Accords de Locarno, imposée à l’Allemagne en 1925, était censée assurer la sécurité collective en Europe et les frontières des voisins de l’Allemagne. Mais la Grande-Bretagne plaidait désormais pour un assouplissement des conditions imposées à Berlin, un assouplissement auquel la France, craignant de voir une résurgence du militarisme allemand, s’y refusait à tout prix. La situation risquait de s’empoisonner davantage entre Londres et Paris, la première soupçonnant à son tour la capitale française de visées expansionnistes, de vouloir dominer l’Europe plus encore que ne pouvait le faire Berlin en l’état. Et c’est dans ce climat délétère qui risquait de s’installer entre les deux capitales qu’apparaît la figure lumineuse de Nicolae Titulescu.
Iosif Igiroșianu : « Ni Londres, ni Paris ne souhaitaient initier des négociations directes. Aucune partie ne voulaient être perçue par l’autre partie comme demandeuse. Elles avaient donc besoin d’un intermédiaire qui puisse prendre le pouls des uns et des autres, qui puisse négocier et proposer un arrangement, rapprocher les points de vue divergents. Or Titulescu, qui avait été ambassadeur à Londres pendant de longues années et qui s’était bâti une solide réputation auprès de l’establishment anglais, était la personne idéale dans le contexte. »
La carrière brillante du diplomate roumain prend fin en 1936, lorsqu’il se voit déchargé de ses responsabilités et limogé par le roi Carol II, qui lui demande de quitter le pays. Il s’établit d’abord en Suisse, puis vit en France. Même en exil, Titulescu continue à travers des conférences et des articles de plaider pour conserver la paix. Il meurt à Cannes en 1941 des suites d’une longue maladie. (Trad. Ionut Jugureanu)