Nicolae Iorga 150
Steliu Lambru, 05.07.2021, 12:22
L’Académie roumaine a récemment
marqué le 150e anniversaire de la naissance de Iorga, à travers une
exposition et un catalogue de documents personnels facsimilés et de
photographies inédites. L’historien, fils d’un avocat, est né en 1871, dans la
ville de Botoșani, au nord-est de la Roumanie. Il a fait des études d’histoire
dans des universités de Roumanie, Italie, France et Allemagne, et il s’est
penché sur des sujets et des thèmes des plus divers de l’histoire universelle
et de celle de la Roumanie. Il s’est aussi intéressé à d’autres domaines
culturels, tels la littérature et la critique littéraire, l’édition de
documents, l’histoire de l’art, la philosophie de l’histoire. Nicolae Iorga était
un polyglotte, maîtrisant parfaitement les langues internationales de son
époque. Il a été proche du courant culturel appelé « sămănătorism »,
qui glorifiait le paysan roumain.
Nicolae Iorga s’est aussi impliqué
dans la politique de haute volée, cette activité ayant entraîné sa mort
tragique. Il a été chef de parti, membre du parlement et premier ministre entre
1931 et 1932. En termes de convictions, il était conservateur, antisémite et
adepte de l’autoritarisme. En 1910, avec l’avocat A. C. Cuza, il a fondé le
Parti nationaliste démocrate et il a soutenu l’entrée de la Roumanie dans la
Première guerre mondiale aux côtés de l’Entente (France, Royaume Uni et Russie).
Il a enseigné à l’université et il a été un des proches du roi Carol II, dont
il a rejoint la camarilla à la fin des années 1930.
Lors du vernissage de l’exposition
consacrée au 150e anniversaire de Nicolae Iorga, le président de
l’Académie roumaine, Ioan-Aurel Pop, a expliqué l’adhésion de l’historien à
l’idée la plus forte de son temps, le nationalisme : « Ce n’est pas simple d’évoquer Nicolae Iorga, parfois c’est
même impossible, tellement sa personnalité fut écrasante. De nombreux éléments
de sa vie sont discutables, et ont subi un véritable assaut de la part des
critiques: depuis son activité de jeunesse jusqu’au fait d’avoir été à la tête
d’un parti politique nationaliste et la couleur de certaines de ses œuvres.
Iorga a vécu à une époque postromantique, une espèce de romantisme tardif, qui
donnait aux nations le rôle fondamental dans l’histoire. D’ailleurs, la
jeunesse et la maturité de Iorga se superposent à la période d’effondrement des
empires multinationaux et de formation des États nationaux en Europe centrale et
du sud-est. L’idée la plus partagée et la plus progressiste, celle des peuples
guidés par les élites du XIXe siècle, mettait en avant l’émancipation
collective, la lutte pour la liberté nationale. Iorga s’est donc considéré
comme nationaliste et s’est assumé en tant que tel. »
À présent, les nouvelles
générations sont tentées de blâmer les choix faits par leurs précurseurs. Pourtant,
Ioan-Aurel Pop a insisté sur la force de séduction d’une idée dans son époque : « Le nationalisme exprimait, à
l’époque, l’amour pour l’identité des peuples, à travers la langue, l’origine,
la foi, les traditions, le folklore. L’identification des intellectuels, de
l’élite éduquée, avec leurs peuples devenus entre temps modernes, a été
cultivée, soutenue et formaliser par le romantisme, à commencer avec Johann
Gottfried Herder. Donc, pour Nicolae Iorga le romantisme était quasi synonyme
avec le nationalisme. Aux yeux de Nicolae, l’école romantique et l’école nationaliste
sont égales, l’activité historique à caractère romantique étant consacrée à des
fins nationalistes. Il prétend que l’École des Hautes études de Paris l’avait
poussé vers le courant romantique, c’est-à-dire nationaliste, vers la méthode
sévère et stricte du témoignage des documents. »
Au XIXe siècle, le nationalisme eu
une incroyable force, visible encore aujourd’hui, bien qu’elle ne soit plus une
idée centrale. Ioan-Aurel Pop : « Aujourd’hui,
nous disons que le romantisme a éveillé l’esprit national, tandis qu’à l’époque
de Iorga on parlait de l’esprit nationaliste. Le peuple, un mot qui, pour
Iorga, désignait les paysans, car plus de 90% des Roumains étaient des paysans,
le peuple donc était le créateur de toutes les valeurs nationales. La nation
n’avait jamais été autre chose qu’une expression de la paysannerie. Pour Iorga,
être nationaliste signifiait être démocrate, car la nation était représentée
par les paysans. D’un point de vue étymologique, expliquait-il, les mots latin
et grec qui expriment la notion de peuple – respectivement populus et demos -
étaient synonymes. Donc, puisque nation était le synonyme de peuple et de
nationalisme, et démos était le synonyme de démocratie, alors ces deux notions
étaient aussi synonymes. Comme le nationalisme était la forme supérieure de
solidarité du peuple, il ne pouvait être que démocratie. Voilà ce que Nicolae
Iorga entendait par nationalisme. »
Chaque génération a ses propres
convictions, et il arrive souvent que certaines de ces convictions produisent
plus de mal et de souffrances que ce que leurs partisans auraient pensé.
L’histoire ne juge pas les gens et leurs idées, mais elle doit les expliquer.
La postériorité a l’avantage de pouvoir évaluer ce qui n’était qu’avenir
incertain aux yeux de l’antériorité.