Nature et politique dans la Roumanie du 19e siècle
Le rapport entre l’homme et la nature, la manière dont l’homme se rapportait à la nature a depuis toujours constitué un grand sujet de réflexion. A partir du 18e siècle, l’homme moderne commence à redécouvrir et à se réapproprier la nature. Le surnaturel, la divinité, qui semblaient régenter jusqu’alors la nature laissent la place à la science. La nature se fraie aussi une place dans le débat politique. Les théories politiques, qu’elles soient conservatrices ou modernisatrices, ne peuvent plus faire fi du concept. La nature s’invite au débat politique, qu’elle ne quitte plus depuis.
Steliu Lambru, 05.12.2022, 13:44
Il n’en sera pas autrement en Roumanie. Les intellectuels roumains, francophiles et francophones convaincus, vont importer les thématiques qui sont en vogue dans la philosophie politique française. Et le thème de la nature n’est pas en reste, demeurant essentiel pour situer l’humain dans ses rapports avec l’environnement qui l’entoure, et dans lequel il évolue. La professeure Raluca Alexandrescu de la Faculté des Sciences Politiques de l’université de Bucarest nous invite à faire un plongeon dans les origines des débats des idées politiques dans l’espace roumain d’alors : « Dès 1850, le discours politique européen intègre le concept de nature. Prenez un auteur de référence de l’époque, ce que l’on peut appeler une autorité : Jules Michelet. Même sa réflexion change après 1851, son discours, tout comme son domaine d’étude de prédilection ».
L’un des premiers penseurs qui avait introduit le concept de nature dans la réflexion politique dans l’espace roumain a été l’ingénieur, le géographe et l’écrivain Nestor Urechia. Raluca Alexandrescu a fait œuvre d’archéologie culturelle, et tente aujourd’hui de faire redécouvrir, aux initiésb et au public large, l’œuvre d Urechia. Raluca Alexandrescu : « Nestor Urechia était le fils de V. A. Urechia. Un auteur important à plus d’un titre, un auteur qui interpelle de plus en plus les historiens, les politologues, les anthropologues d’aujourd’hui. Mais un auteur plutôt ignoré jusqu’à très récemment. C’est un polytechnicien formé à Paris, diplômé des Ponts et Chaussées. La Nationale 1, c’est son œuvre. Il dirige les travaux entre 1902 et 1913. Et c’est un francophile passionné. Sa femme était d’ailleurs française. Et un montagnard tout aussi passionné, un amoureux de la nature. Et ces passions s’agencent d’une manière heureuse, et nourrissent une réflexion de haut vol ».
Urechia invite le lecteur à réfléchir sur le rapport qui se noue entre des concepts aussi disparates que le territoire, la nature, la démocratie, ou encore la souveraineté. Raluca Alexandrescu :« Vous savez, l’on pourrait dire qu’on est devant un écologiste avant la lettre. Urechia analyse la nature dans ses rapports avec l’humain. Mais il va au-delà de ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui une perspective écolo militante : la protection de l’environnement, comment le protéger au mieux. Il va plus loin, en essayant d’avancer des propositions qui prônent la cohabitation pacifique avec la nature, un concept complètement novateur pour l’époque. Il conçoit l’homme et la nature comme deux partenaires, bénéficiant des droits égaux, qui jouent sur une même scène, selon les lois d’un régime politique harmonieux. »
Pour ce qui est du sentiment national, de l’appartenance nationale, Nestor Urechia s’avère tout aussi révolutionnaire dans les concepts qu’il avance. Raluca Alexandrescu : « Ses idées sur l’identité nationale ressortent surtout de son œuvre littéraire. Il publie en effet une série de romans d’aventures qui ont tous en toile de fond les monts Bucegi. Et de ses tentatives littéraires ressort en fait le dessein de bâtir l’identité nationale de cette relation complexe qu’entretiennent l’homme et la nature, dans la manière dont la dernière façonne le premier, dans leur interdépendance. On est à la croisée du champ de la nature et du champ du politique. »
Un siècle et demi plus tard, l’homme moderne, incapable plus que jamais de se départir de son milieu naturel, vit aujourd’hui toujours à la croisée de ces deux champs. (Trad. Ionut Jugureanu)