Mircea Carp centenaire
Peu d’hommes ont la chance d’atteindre le centenaire. Et peu parmi ces derniers ont eu la chance d’avoir été au milieu des événements de leur temps, à leur contact direct, tel le journaliste radio Mircea Carp, une des chevilles ouvrières qui ont fait la célébrité de la section roumaine de radio Free Europe. Mircea Carp a soufflé ses 100 bougies le 28 janvier 2023. Il a traversé le vingtième siècle, marqué pour son pays par les deux guerres mondiales, par la montée du fascisme et du communisme, enfin par la chute du communisme et les années d’une transition mouvementée. Il traverse ce siècle en journaliste, en homme de mémoire et de principes, en professionnel du métier. Officier de formation, ayant combattu durant la Seconde guerre mondiale, il fuit en 1948 clandestinement la Roumanie, occupée par les chars soviétiques, pour s’exiler d’abord en Autriche, avant de rejoindre les Etats-Unis. C’est là qu’il embrasse la profession de journaliste radio, d’abord dans la rédaction de la Voice of America, avant de rejoindre, en 1978, Radio Free Europe, où il restera jusqu’à sa retraite, survenue en 1995. Et c’est la voix inoubliable de Mircea Carp qu’accompagnait tous les jours l’ouverture des programmes de la section roumaine de Radio Free Europe, sur les notes de la Rhapsodie roumaine de Georges Enesco, avec ces mots : « Aici e Radio Europa Liberă! », « Ici Radio Free Europe ».
Steliu Lambru, 06.02.2023, 14:20
En 1997, le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine enregistrait le témoignage de Mircea Carp, qui racontait à l’occasion son expérience radio dans la rédaction de la Voice of America. Dans le fragment que nous avons sélectionné pour vous, Mircea Carp nous parle de ce que l’on connaissait à l’époque de la tragédie des détenus politiques anticommunistes roumains. Mircea Carp : « Nous avions connaissance de ce qui se passait dans le pays, dans les prisons politiques, de cette tragédie. Il fallait toutefois faire attention à ce que nous envoyions sur les ondes. Toute info se devait être confirmée de deux sources indépendantes et fiables, avant de pouvoir être diffusée. C’était la règle à l’époque, et c’est toujours la règle pour la Voice of America. Nous recevions une foule d’infos en provenance du pays, dont certaines semblaient tellement incroyables. Nous connaissions bien le régime d’extermination qui avait cours dans les prisons politiques roumaines, mais il fallait bien vérifier les détails : les noms, les dates, les endroits où telle ou telle exaction avait eu lieu, telle ou telle tragédie. Il y avait des témoins oculaires qui nous envoyaient ces informations, mais parfois ils pouvaient se tromper sur une date ou un quelconque détail. Nous étions donc sur nos gardes. Et puis, dès que l’on avait la confirmation de l’info en question d’une autre source, évidemment elle était diffusée sur nos ondes. Les sources demandaient souvent l’anonymat, vous comprenez aisément la raison. Nos informateurs, souvent des transfuges, avaient toujours leurs familles au pays, et ils craignaient tout naturellement pour leur sécurité ».
En 1978 Mircea Carp quitte Voice of America pour rejoindre la rédaction roumaine de radio Free Europe, où il dirigera pendant des années l’émission politique à grand succès de public, intitulée « Le programme politique ». Mircea Carp : « Avant mon arrivée dans la rédaction de radio Free Europe, le ton des rubriques était plutôt terne. Je sais manquer de modestie en affirmant cela, mais je crois fermement que je suis parvenu à imposer au sein de cette rédaction un style plus dynamique, plus américain, en écourtant la durée des transmissions en direct, en utilisant des interviews prises à diverses personnalités à travers le monde, enfin en ouvrant la porte de la rédaction aux voix de l’exile roumain. La rédaction s’était ressaisie, et nous agissions comme si l’on avait compris que la fin des régimes communistes approchait. On était incisif, tenace, on était passé à l’offensive pour ainsi dire. La section roumaine agissait comme si l’on se trouvait sur le front, l’on dénonçait cette situation, devenue intolérable, d’une population appauvrie et brimée par le régime de Nicolae Ceausescu. On dénonçait des situations particulières, peu connues du grand public. Et nos auditeurs étaient souvent ébahis par la précision des informations fournies, et cela en dépit de la censure imposée par le régime. Et nous ratissions large, depuis les questions économiques et jusqu’aux questions de nature militaire, en passant par les questions culturelles. Nos auditeurs c’étaient les Roumains, ceux qui vivaient à l’intérieur des frontières, et qui ne disposaient pas d’autres sources alternatives pour s’informer et pour démonter la propagande déployée par le régime. Et ces auditeurs étaient enthousiastes. Radio Free Europe parlait en leur nom, et pour eux. Au nom de ces gens brimés, muselés, qui enduraient silencieux la folie de la dictature. Ils se retrouvaient dans nos émissions, dans nos voix. Ils retrouvaient les informations et la vérité que le régime s’efforçait d’étouffer à tout prix ».
Du haut de ses 100 ans, Mircea Carp peut s’enorgueillir d’avoir écrit l’une des pages d’or de l’histoire de la presse radio roumaine, aux côtés d’autres noms célèbres de cette rédaction roumaine de la Radio Free Europe, tels Noel Bernard, Monica Lovinescu, Virgil Ierunca, Vlad Georgescu, ou encore Neculai Constantin Munteanu. (Trad. Ionut Jugureanu)