Maintenir la neutralité
Lorsqu’éclata la Première Guerre Mondiale, la Roumanie se trouvait au milieu d’une controverse au sujet de sa participation à cette conflagration aux côtés des Puissances centrales. Les germanophiles, avec à leur tête, le roi Carol Ier, étaient sceptiques à l’égard d’une possible alliance avec l’Entente.
Monica Chiorpec, 16.02.2015, 14:14
Lorsqu’éclata la Première Guerre Mondiale, la Roumanie se trouvait au milieu d’une controverse au sujet de sa participation à cette conflagration aux côtés des Puissances centrales. Les germanophiles, avec à leur tête, le roi Carol Ier, étaient sceptiques à l’égard d’une possible alliance avec l’Entente.
Au pôle opposé, les tenants de cette dernière, également appelés aussi ententophiles, considéraient comme inacceptable l’entrée en guerre du pays en tant qu’allié de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Ils avançaient l’argument des intérêts de Bucarest liés à la situation des Roumains vivant dans les territoires occupés par l’Empire des Habsbourg. Dans ces conditions, la neutralité apparut comme la solution provisoire à même de retarder la prise d’une décision.
L’autre raison de la neutralité relevait de la nécessité de doter l’armée roumaine en vue d’une éventuelle participation à la guerre. Malgré les efforts des élites politiques roumaines visant à l’alignement sur les normes occidentales, le caractère vétuste de l’économie roumaine et le manque d’armement moderne ont beaucoup pesé dans le maintien de la neutralité pendant les deux premières années de la Grande Guerre, précise l’historien Alin Ciupală : « La situation de la Roumanie était très compliquée. Il y avait déjà un trait d’alliance avec l’Allemagne et les partenaires de celle-ci, mais ce traité défensif était méconnu de l’opinion publique et de la majeure partie des hommes politiques roumains. Le chancelier de l’Empire allemand, Otto von Bismarck, avait exigé du milieu politique de Roumanie, en tout premier lieu du roi Carol Ier, de garder secret ce traité, dont seuls le souverain et une poignée de politiciens étaient au courant. L’alliance signée en 1883 avait offert des garanties de sécurité au jeune Etat roumain. Pourtant, en 1914, c’est le même document qui allait poser problème à la Roumanie, car il limitait, du moins au plan juridique international, la liberté de manœuvre de sa classe politique. »
En 1914, les relations internationales étaient marquées par les rivalités entre les deux alliances militaires, l’Entente et les Puissances centrales. La Roumanie était préoccupée par la situation des droits nationaux et civils en Transylvanie, au Banat et en Bucovine, territoires à population roumaine majoritaire, occupés par l’Empire austro-hongrois. Voici comment le premier ministre roumain de l’époque, Ionel Bràtianu, avait synthétisé les arguments du rejet des demandes formulées par les Puissances centrales et du maintien de la neutralité du pays:
Alin Ciupală : « Un Etat comme le nôtre, qui est entré dans cette alliance sur un pied d’égalité, en tant que pays souverain, ne peut être traité ainsi […] D’autre par, la Roumanie ne saurait accepter de prendre les armes et de participer à une guerre qui vise à l’anéantissement d’une petite nation. […] La quasi totalité de la population se déclare contre cette conflagration. […] Le sort des Roumains de Transylvanie, l’idéal national de roumanité sont autant d’aspects que pas un gouvernement du pays ne saurait ignorer. »
L’historien Alin Ciupală relate le déroulement des travaux du Conseil de la Couronne lors duquel fut proclamée la neutralité du pays : « Les hommes politiques et Ionel Brătianu, premier ministre et chef du Parti National Libéral, étaient conscients du fait que l’armée roumaine n’était pas prête, que ses dotations ne se hissaient pas aux exigences d’une guerre moderne. Cette incapacité militaire avait déjà été constatée en 1913, lorsque l’armée roumaine avait dû combattre au sud du Danube, en Bulgarie, pendant la Deuxième Guerre Balkanique. Voilà pourquoi les discussions sur l’entrée en guerre de la Roumanie ont été très tendues. Le roi Carol Ier a convoqué, au Palais de Peleş, un Conseil de la Couronne, auquel ont participé tant les leaders du Parti National Libéral, les ministres du cabinet en place, lui aussi libéral, que d’autres hommes politiques, dont l’héritier du trône, le prince Ferdinand. Carol Ier a demandé explicitement que la Roumanie entre en guerre aux côtés de l’Allemagne et de ses alliés, invoquant, comme principal argument, le traité défensif de 1883. Pour la première fois pendant son long règne, Carol allait éprouver une vive désillusion. La plupart des politiciens présents à la réunion ont rejeté sa demande, car elle nuisait au projet national, celui de l’Union avec la Transylvanie. En plus, le pays et son armée n’étant pas préparés pour l’effort de guerre, la majorité des participants au Conseil de la Couronne ont proposé de maintenir la neutralité. Le Parti National Libéral et ses chefs y ont joué un rôle tout aussi important que d’autres hommes politiques de l’époque. Ionel Brătianu lui — même était conscient du fait que la décision relative à l’entrée en guerre concernait l’intégralité de la classe politique autochtone. A considérer strictement le rôle des libéraux, notamment des ministres issus de ce parti, on peut affirmer que le gouvernement avait entamé des préparatifs assez soutenus en vue de l’entrée en guerre. Son chef, Ionel Brătianu souhaitait, en fait, repousser aussi longtemps que possible le moment où la Roumanie allait s’engager dans la guerre. »
Deux années durant, après la mort de Carol Ier, les puissances belligérantes allaient déployer d’intenses efforts pour attirer la Roumanie dans l’un ou l’autre des deux camps. Ni le nouveau souverain, Ferdinand Ier, ni le premier ministre, Ionel Brătianu, sympathisant de la France et de l’Angleterre, n’avaient l’intention de renoncer à la neutralité, avant que l’évolution du conflit ne devienne prévisible et ce afin d’accomplir les objectifs nationaux. Ayant reçu des garanties concernant son intégrité territoriale, la Roumanie entra en guerre, du côté des pays de l’Entente, en août 1916. Un choix qui, au lendemain de la Grande Guerre, rendait possible la création de la Grande Roumanie, suite à l’union des provinces historiques de Transylvanie, de Bessarabie et de Bucovine avec le Royaume de Roumanie. (Trad. Mariana Tudose)