Magie et art culinaire au 18e siècle
La cuisine a une composante magique que les historiens, les experts en folklore et les anthropologues n’ont pas hésité à étudier pour y trouver des significations culturelles. La dimension magique des condiments et les secrets de l’art culinaire ont été présents aussi dans les cuisines roumaines de la fin du 18e siècle et du début du 19e. Pourtant, leur simple présentation n’est pas si attrayante. Mais si on leur ajoute une histoire vraie, le succès est garanti. L’histoire s’occupe aussi de récits, mais lorsque la littérature lui vient en aide, le charme des époques révolues est entièrement recréé.
Steliu Lambru, 17.04.2017, 17:34
L’écrivaine Doina Ruşti écrit de la fiction historique. Son livre le plus récent, « Mâţa Vinerii »/« Le chat du vendredi », parle d’histoire de magie, du mental collectif et de l’art culinaire durant le passage du 18 au 19e siècle. L’idée de départ de ce roman est issue d’une série de recherches dans les archives : « J’ai trouvé un document de l’époque du prince régnant valaque Constantin Hangerli qui parle d’un cuisinier renommé. Il était tellement bon que nombre de personnes aisées se disputaient pour lui offrir un emploi. Il s’agissait d’un Tzigane haut comme trois pommes qui appartenait à Ecaterina Greceanu, l’épouse d’un « vornic », un haut dignitaire des pays roumains. C’était sa propriétaire de droit, puisqu’à l’époque les Tziganes étaient des esclaves. Selon les documents de propriété d’Ecaterina Greceanu, cet esclave s’appelait Vasile din Andreica, donc il était né à Andreica dans la maison de la famille Greceanu. Il n’était pas uniquement la propriété incontestable de Mme Greceanu, mais il était aussi impossible de le déloger.
Et pourtant, deux mois seulement après son avènement au trône, Hangerli réussit à mettre la main sur ce cuisinier. Il le vole carrément de la maison Greceanu, fait sans précédent pour l’époque. Vu qu’Ecaterina Greceanu n’était pas une femme quelconque, un procès est ouvert. Hangerli produit devant le métropolite des témoignages qui, mensongers ou pas, font état des mauvais traitements auxquels le cuisinier aurait été soumis dans la maison Greceanu, du fait qu’il était malheureux. Par conséquent, le bon prince régnant Hangerli le sauve de cet endroit et parce qu’il était généreux il offre en échange deux autres esclaves tziganes. »
Que pouvait préparer ce fameux cuisinier de tellement fabuleux pour justifier la décision du prince régnant de l’enfermer à la cour mais aussi que sa propriétaire Ecaterina Greceanu ait intenté un procès? Plusieurs documents sur son nom ont été émis, le métropolite est personnellement intervenu dans cette dispute. Sa valeur était équivalente à celle de deux autres êtres humains. Ecoutons Doina Rusti : « J’ai pensé aux plats qu’il préparait des mets extraordinaires à Ecaterina Greceanu qui était restée sans cuisinier et qui était prête à dépenser beaucoup d’argent pour le récupérer. Et lorsque je pensais à cette situation, je me suis souvenu de la rencontre avec un auteur qui venait d’écrire un livre sur les insectes. Il y remémorait ses fouilles dans les volumes de zoologie médiévale. Même s’il avait écrit un livre scientifique, il pensait y mettre aussi quelques recettes appartenant au naturaliste Conrad Gessner. Du coup, j’ai eu cette révélation que nombre de ces recettes se retrouvaient déjà dans la cuisine de ma grand-mère. Tout ce que l’on peut trouver dans un livre de magie n’est pas entièrement inconnu à Monsieur tout le monde. J’ai commencé à écrire le livre de recettes qui se trouve au premier plan de mon roman ‘Le livre des plats maléfiques’ ».
Le livre de cuisine le plus ancien de Roumanie est préservé aux Archives nationales et date de l’époque de Constantin Brancovan, soit du début du 18e siècle. En le consultant, l’imagination de Doina Rusti a trouvé le bon appui : « Plusieurs plats intéressants sont à retrouver dans la cuisine roumaine de l’époque. La plupart reposent sur la viande hachée, les noix et le miel, des ingrédients qui se retrouvaient sur la liste de tout cuisinier. A l’époque des princes phanariotes et même avant cette période-là, durant le règne de Constantin Brancovan, il y avait toute sorte de boulettes. Les boulettes de crustacés par exemple étaient arrosées avec du vinaigre de prunes ou de roses.
Les plats tels la moussaka étaient très répandus. Il y avait aussi cette pratique de farcir des poulets et des canards. Cette farce était également une sorte de boulette de viande hachée aux épices. D’ailleurs, la viande, le rôti étaient toujours badigeonnés de miel et de cannelle. A l’époque, tout rôti était un peu doux, parce que l’on y ajoutait du sucre ou du miel. Ce mélange doux-acide-salé caractérisait en fait la cuisine phanariote et roumaine. »
Le personnage de Doina Rusti est inspiré par son propre vécu, par ses lectures et ses souvenirs. L’écrivaine devient ainsi narratrice, personnage, historienne, sorcière et maître dans l’art culinaire : « Le personnage principal est une femme qui se souvient d’un épisode de sa jeunesse et cette mémoire est doublée par sa culture. J’ai souhaité créer un personnage cultivé qui, en son temps, au 18e siècle parlait le latin et le grec ancien. C’est un peu ce que je faisais quand j’étais adolescente. Sa culture la mène à la magie et elle écrit grâce à l’héritage de sa famille un livre des plats maléfiques qui rendent fous les Bucarestois. Le cuisinier enlevé par Hangerli arrive à mettre la main sur ce ce livre et tout ce qu’il préparait à la cour était répliqué par les Bucarestois dans leurs propres cuisines. Sans le savoir, il prépare une tourte aux roses qui incite les gens à rire, mais qui les fait aussi tomber dans la folie. Et c’est dans cette euphorie incontrôlable que toutes les recettes du livre de plats maléfiques commencent à se répandre et à s’insinuer dans la vie de tout un chacun. »
Livre de frontière entre la science, la fiction et la magie « Le Chat du vendredi » est le récit d’un passé qui a changé insidieusement le présent, par des arômes. (trad. Alex Diaconescu)