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Luxe et volupté version phanariote

En pleine expansion vers l’Europe Centrale pendant la seconde moitié du 17e siècle, l’Empire Ottoman y apportait des éléments appartenant aux civilisations grecque et orientale. Les princes régnants de Moldavie — après 1711 — et de Valachie — après 1716 — provenaient tous de riches familles grecques du Phanar, un quartier de Constantinople. C’est pourquoi on les a appelés « phanariotes ».

Luxe et volupté version phanariote
Luxe et volupté version phanariote

, 07.03.2016, 14:17



Les représentants de certains courants historiographiques — dont celui romantique, par exemple — ont considéré cette période comme une des plus néfastes dans l’histoire de la Roumanie. Elle a été caractérisée notamment par la corruption et l’enrichissement rapide aux dépens des paysans et des commerçants. Du point de vue culturel, la période phanariote a été marquée par l’introduction massive des modèles grec et oriental. L’iconographie de l’époque l’atteste — notamment celle remontant au début du 19e siècle.



La période phanariote allait prendre fin après la révolution sanglante de 1821, menée par Tudor Vladimirescu, lorsque les familles princières roumaines montent à nouveau sur les trônes de la Moldavie et de la Valachie. Pourtant, certaines familles phanariotes allaient se roumaniser graduellement, elles deviennent autochtones et adoptent un discours nationaliste et moderniste. Blâmé par les romantiques et considéré comme responsable de tous les maux économiques et sociaux, le modèle phanariote a été une présence importante dans la vie de la nouvelle Roumanie, issue de l’union, en 1959, des principautés de Moldavie et de Valachie.



L’historien Adrian-Silvan Ionescu a étudié la mode et les mentalités des premières décennies du 19e siècle roumain, imprégné de l’orientalisme phanariote. Il y a retrouvé l’opulence de cette époque dans les images qui se sont conservées: «Le monde phanariote y est représenté dans les plus belles nuances que la palette d’un peintre peut trouver. La période phanariote a été un temps de la suprême picturalité — aussi bien dans le langage que dans la tenue. Quand les grands boyards s’adressaient la parole, ils s’appelaient « psihi mu » – mon âme. Ils s’exprimaient dans un style précieux, surchargé d’ornements, comme les documents conservés dans les archives l’attestent. Dans leurs vêtements, qui suivaient la mode de Constantinople, ils apportaient le raffinement et la richesse de l’ancienne Byzance. Ils continuaient, pratiquement, chez eux, la vie de la cité perdue — comme l’affirmait l’historien Nicolae Iorga dans sa théorie « Byzance après Byzance », arguments solides à l’appui. »



Les vêtements fastueux, à la mesure des hautes dignités, étaient larges, coûteux et très travaillés. Ils faisaient sensation parmi les élites occidentales lorsqu’elles rencontraient des boyards roumains. L’historien Adrian-Silvan Ionescu explique : « Tellement fastueuses étaient ces cours princières de Iasi et de Bucarest et les personnalités qui en faisaient partie étaient tellement bien habillés que même les représentants des Maisons royales et impériales européennes étaient éblouis. Un des boyards roumains les plus importants, Ienachita Vacarescu, s’est même rendu à Vienne pour essayer de persuader l’empereur de rappeler en Autriche deux princes parce qu’ils avaient porté en Valachie des vêtements allemands, c’est à dire à l’occidentale, et parce qu’ils avaient rasé leurs barbes. Vacarescu fut carrément dévêtu par les comtesses et les baronnes de l’Empire, folles d’admiration pour la finesse et la richesse du foulard de cachemire qu’il portait autour de sa taille. »



Qu’est ce qu’on observe le mieux dans les tableaux des boyards et de leurs épouses, dans les premières décennies du 19e siècle ? Eh bien, on peut y découvrir vêtements somptueux, bijoux fabuleux, armes et règles vestimentaires. Adrian Silvan-Ionescu : « Nous voyons des fourrures de la meilleure qualité, des vêtements en soie, lourds et chers, des bijoux, bref toute une panoplie d’armement ciselé, argenté et décoré de pierres précieuses que portaient les Arnaoutes, soit les soldats d’origine albanaise de l’Empire Ottoman. Toutes ces images donnent la mesure de la richesse fabuleuse de ces princes au règne éphémère qui savaient comment faire fortune en un temps record. Mais ces images illustrent aussi leur bon goût. Une analyse des vêtements de l’époque, du point de vue formel et chromatique, ne peut que souligner le goût parfait des personnes qui les portaient. L’accord chromatique et celui entre les tissus, ainsi que la manière dont ces vêtements étaient portés, avec dignité et fierté, illustrent le statut et l’importance de gens de la haute société des principautés roumaines. Il y avait 3 catégories de boyards. Les premiers faisaient partie de l’entourage du prince, de la cour, et ne pouvaient porter que certaines textures et fourrures. Personne ne pouvait dépasser leur position, et porter de la zibeline par exemple, sans faire partie de l’entourage du prince. Mais cest sur le visage que se trouvait la marque de noblesse la plus importante. Seuls les nobles de haut rang pouvaient arborer une barbe, les rangs inférieurs devant se contenter uniquement de la moustache. Lorsquun boyard prenait le grand manteau appelé « caftan », signe distinctif de la haute noblesse, il accédait à lentourage immédiat du prince. Cétait à partir de ce moment-là quil était visité par le « berber-başa », le barbier du prince, qui lui ajustait soigneusement le contour de la barbe et laidait à lentretenir régulièrement. »



Tombés progressivement en désuétude, des éléments de la mode phanariote perdureront tout de même, arborés parfois par souci de coquetterie ou pour signifier, tout simplement, la nostalgie pour des temps révolus, dit lhistorien Adrian-Silvan Ionescu: « Les trois premières décennies du 19e siècle sont clairement dominées par la mode venue de Phanar, même si les nobles issus de ce quartier stambouliote se raréfient dans les pays roumains, après la révolution de Tudor Vladimirescu, en 1821. Les princes phanariotes, eux, disparaissent complètement. Cette mode connaît un revirement vers 1860-1865, lorsque les dames redécouvrent le « cerchen », une sorte de veste très belle, aux manches fendues en longueur, brodée au fil dor, qui allait très bien avec une tenue du jour. Ceux qui avaient connu, enfants, lépoque phanariote la revisitaient parfois pour les bals costumés, pour samuser et faire revivre ces temps de jouissance vestimentaire. »



Effectivement, lépoque phanariote chérissait lopulence et lexcès. Une démesure qui allait dailleurs la saper et lanéantir dans un monde qui sasseyait sur de nouvelles bases. (trad.: Dominique, Alex Diaconescu, Andrei Popov)

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