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L’opposition culturelle anticommuniste de Bessarabie

Intégrée à l’Union soviétique en 1944, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, la Bessarabie, région roumaine historique, représentant la moitié orientale de la principauté de Moldavie, verra naître des formes inédites, aux accents nationaux, de ce que l’on pourrait appeler la résistance anticommuniste. Victimes de l’oppression à la fois idéologique et nationale, n’étant pas en mesure de s’ériger ouvertement contre le régime stalinien moscovite, les Roumains de Bessarabie feront naître une forme particulière d’opposition par la culture, en développant des pratiques culturelles subversives, censées tromper la toute puissante censure, tout en faisant fi du canon officiel. Ce sont bien les écrivains qui vont constituer le fer de lance de cette opposition culturelle qui se développe progressivement en Bessarabie, appelée à l’époque la République socialiste soviétique de Moldova.

L’opposition culturelle anticommuniste de Bessarabie
L’opposition culturelle anticommuniste de Bessarabie

, 26.08.2019, 14:15

Intégrée à l’Union soviétique en 1944, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, la Bessarabie, région roumaine historique, représentant la moitié orientale de la principauté de Moldavie, verra naître des formes inédites, aux accents nationaux, de ce que l’on pourrait appeler la résistance anticommuniste. Victimes de l’oppression à la fois idéologique et nationale, n’étant pas en mesure de s’ériger ouvertement contre le régime stalinien moscovite, les Roumains de Bessarabie feront naître une forme particulière d’opposition par la culture, en développant des pratiques culturelles subversives, censées tromper la toute puissante censure, tout en faisant fi du canon officiel. Ce sont bien les écrivains qui vont constituer le fer de lance de cette opposition culturelle qui se développe progressivement en Bessarabie, appelée à l’époque la République socialiste soviétique de Moldova.

Andrei Cușco, professeur à la faculté d’histoire de l’Université d’Etat de Chișinău, nous explique que des tensions surgiront dans le petit monde des écrivains de Bessarabie seulement après la mort de Staline : « C’était pendant la période du dégel qui avait suivi le changement de cap opéré par Nikita Khrouchtchev. Une période caractérisée par l’apparition de certains espaces d’autonomie, une autonomie, certes, toute relative, mais qui s’exprimait dans les milieux intellectuels, aussi bien au niveau institutionnel qu’au niveau privé. Ces espaces d’autonomie s’élargissent à mesure que la dynamique du régime change. En effet, après la mort de Staline, le régime semblait abandonner petit à petit les formes extrêmes de répression qui avaient caractérisé l’époque stalinienne, pour les remplacer par des formes moins apparentes, et plus insidieuses. Mais les mêmes acteurs campent sur les mêmes positions. Il y a d’un côté une résistance au régime, qui commence à s’organiser, et de l’autre la répression ».

L’Union des écrivains, ayant subie une refonte totale en 1945, avait vu disparaître de ses rangs tous les représentants de la culture roumaine. Après la mort de Staline, l’on voit naître deux pôles de pouvoir.

Andrei Cușco détaille : « A partir de la seconde moitié des années 1940, les rapports de pouvoir qui s’établissaient au sein de l’Union des écrivains de la République socialiste soviétique de Moldova étaient teintés des connotations politiques très marquées. Il y avait d’un côté le clivage, historiquement explicable, entre les écrivains de la Moldova roumaine, occupée par Staline, et ceux originaires de la Transnistrie, région située sur la rive gauche du Dniepr, qui faisait partie de l’Union soviétique bien avant, et qui avait été abusivement intitulée, par le même Staline, la République socialiste soviétique autonome de Moldova. Et ce n’est qu’après l’occupation de la Bessarabie que ces deux régions vont donner naissance à cette nouvelle république soviétique moldave. Mais le clivage entre les habitants des deux régions demeure. Puis, de l’autre côté, l’on remarque la présence d’un clivage plus classique, commun dans tout le Bloc de l’Est, entre les écrivains adhérents du parti, et les autres ».

Ces groupes distincts étaient bien marqués. L’opposition anticommuniste naissante au sein de l’Union des écrivains s’est construite par l’alliance entre deux générations d’écrivains roumanophones.

Andrei Cușco : « L’Union des écrivains moldaves était dominée par deux générations, qui se sont disputé le pouvoir tout au long des années 1970. Il y avait, d’une part, l’ancienne génération, celle constituée par les écrivains de la génération des années 1920, des gens avec une culture et des repères solides, des écrivains formés dans les universités roumaines, au moment où la Bessarabie était partie intégrante de la Roumanie. Puis, d’autre part, la génération récente, qui s’est affirmée après la mort de Staline. Des gens nés à la fin des années 20 et dans la première moitié des années 30, et formés dans les institutions soviétiques. Les deux groupes se livraient des batailles rangées, par exemple sur des sujets en lien avec l’esthétisme littéraire ou encore sur la définition du réalisme socialiste. Mais ces deux groupes issus de deux générations différentes se liguaient contre le groupe des écrivains de Transnistrie. Ce dernier avait détenu une position privilégiée au sein de cette Union, grâce à leur position politique et idéologique dans le parti. Les écrivains de Bessarabie en revanche, même ceux appartenant à la génération des années 60, qui, au fond, avaient été formés par leurs pairs plus âgés, ces écrivains, donc, se revendiquaient tous de la culture roumaine, bénéficiant d’un capital symbolique autrement plus important, même si c’était à un autre niveau. Ces écrivains des années 60 de Bessarabie n’avaient assimilé les slogans soviétiques que de façon superficielle. En revanche, ils avaient développé un certain sens de la réflexion critique. »

L’opposition culturelle se développe en Bessarabie dans la seconde moitié des années 60, suite à un événement qui a marqué les mémoires.

Andrei Cușco : « Le point d’inflexion a été marqué par le 3e Congrès des écrivains moldaves, qui a eu lieu en 1965. Ce congrès marque une évolution perceptible et un changement dans la dynamique du pouvoir, dans le rapport des forces au sein de l’Union. Ce congrès a été considéré le point d’orgue de l’expression antisystème de l’intellectualité locale. Il consacra aussi le nouvelle vague littéraire, celle des écrivains qui ont commencé à publier dans les années 60. Ils avaient commencé à écrire et à publier dans la langue roumaine littéraire, même s’ils utilisaient encore l’alphabète cyrillique. Puis, la qualité littéraire de leurs œuvres n’avait rien à envier aux autres, alors que leurs styles résonnaient au vent aux relents libéraux, qui commençait à souffler dans toute l’Union soviétique. Cette génération a été marquée par quelques personnages remarquables, tels Grigore Vieru, Ion Druță, Aureliu Busuioc, Pavel Boțu et bien d’autres. Ce 3e congrès de l’Union des écrivains de Moldova a mis sur le devant de la scène un agenda national, étant la première manifestation de ce type qui se déroulait en roumain. »

L’opposition culturelle qui se manifesta en Bessarabie contre l’occupation soviétique s’était manifestée par la lutte tenace menée par cette poignée de poètes et d’écrivains pour la sauvegarde de l’esprit, de la langue et de la culture roumaine dans les frontières de ce morceau de Moldavie, occupée par les Soviets. Après la chute de l’Union soviétique en 1991, on ne manqua pas de remarquer la vivacité de l’héritage sauvegardé de la culture roumaine de Bessarabie, même s’il reste encore beaucoup à faire pour fermer la longue et douloureuse parenthèse de ces 46 années d’occupation soviétique de la Bessarabie. (Trad. Ionut Jugureanu)

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