L’île des Serpents
L’île des Serpents avait fait la Une de la presse internationale le 25 février
dernier, au lendemain du déclanchement de l’invasion russe en Ukraine. Et pour
cause. En effet, ce vendredi-là, un bâtiment de guerre russe avait approché
l’île, exigeant la reddition des garde-côtes ukrainiens. Devant le refus
d’obtempérerde ces
derniers, les Russes avaient bombardé l’île, avant d’en prendre possession. Cet
acte de guerre avait mis sur devant de la scène l’existence de l’unique île
pélagique en mer Noire. Un morceau de terre, distant de 44 kilomètres des côtes
roumaines du Delta du Danube et dont la superficie n’est que de 17 hectares,
mais dont l’histoire n’a pas été de tout repos. Un rocher qui sort des vagues
de la mer Noire, dépourvu de sources d’eau, recouvert d’une végétation plutôt
pauvre, et dont le nom tire son origine des serpents d’eau qui y pullulaient
autrefois, l’île des Serpents ne compte aucun résident, à part les quelques
garde-côtes ukrainiens qui se relayaient régulièrement avant l’invasion russe
du 25 février.
Steliu Lambru, 14.03.2022, 11:55
L’île des Serpents avait fait la Une de la presse internationale le 25 février
dernier, au lendemain du déclanchement de l’invasion russe en Ukraine. Et pour
cause. En effet, ce vendredi-là, un bâtiment de guerre russe avait approché
l’île, exigeant la reddition des garde-côtes ukrainiens. Devant le refus
d’obtempérerde ces
derniers, les Russes avaient bombardé l’île, avant d’en prendre possession. Cet
acte de guerre avait mis sur devant de la scène l’existence de l’unique île
pélagique en mer Noire. Un morceau de terre, distant de 44 kilomètres des côtes
roumaines du Delta du Danube et dont la superficie n’est que de 17 hectares,
mais dont l’histoire n’a pas été de tout repos. Un rocher qui sort des vagues
de la mer Noire, dépourvu de sources d’eau, recouvert d’une végétation plutôt
pauvre, et dont le nom tire son origine des serpents d’eau qui y pullulaient
autrefois, l’île des Serpents ne compte aucun résident, à part les quelques
garde-côtes ukrainiens qui se relayaient régulièrement avant l’invasion russe
du 25 février.
Découverte depuis l’Antiquité,
baptisée, selon les sources, l’île Blanche, Leuke ou encore Achilleis, l’actuelle
île des Serpents servait de base arrière pour les pêcheurs, ou encore de point
d’accostage des navires marchands. Au XVIe siècle, l’île devient une possession
ottomane. En 1829, la Russie l’annexe à la suite du traité d’Andrinople. Un
phare y sera érigé en 1842. Ce n’est qu’en 1878, après la reconnaissance
internationale de son indépendance par le traité de Berlin, que l’île devient
roumaine, tout comme la partie littorale de la mer Noire, le Delta du Danube et
la Dobroudja. Et elle le restera même après l’annexion de la Bessarabie et de
la Bucovine de Nord par l’URSS, en 1940. Ce n’est qu’en 1948 que le sort de
l’île change, après et en dépit du traité de paix de Paris, signé entre la
Roumanie et l’URSS en 1947. En effet, par le protocole signé le 4 février 1948 entre
le gouvernement pro communiste de la Roumanie d’alors et l’URSS, et en vertu du
procès-verbal du 23 mai de la même année, l’île des Serpents passe sous
l’autorité des Soviétiques. Elément notable dans le conflit juridique qui s’en
suivra, ces actes ne seront jamais ratifiés par aucun des signataires. Partie
sur sa lancée, l’URSS procède au second rapt territorial au détriment de la
Roumanie le 25 novembre 1949, lorsque la ligne de démarcation qui séparait les
deux Etats est déplacée dans le delta du Danube, le long du golfe de Musura, à
l’ouest du bras Chilia du Danube, au détriment de la Roumanie, selon une
procédure similaire.
Eduard Mezincescu, ancien ministre adjoint des
Affaires étrangères, avait représenté la partie roumaine à la signature de
l’accord ayant abouti à la cession de l’île des Serpents à l’Union Soviétique.
Dans une interview passée en 1994 sur Radio Roumanie,
Eduard Mezincescu déclarait : « En 1948, Ana Pauker, une cacique du
régime communiste récemment installé en Roumanie, m’appelle pour me dire que
lors de la Conférence de paix de Paris nous avons omis de céder aux Soviétique
la souveraineté sur l’île des Serpents. Pauker était à l’époque ministre
titulaire des Affaires étrangères. Les Soviétiques avaient soulevé la question
et il fallait réparer l’omission. Le ministre des Travaux publics, un certain
Profir, m’avait alors accompagné à Tulcea, puis à Sulina, avant de rejoindre
l’île, pour rédiger le procès-verbal prévoyant la cession de l’île en faveur de
la partie soviétique. C’est ce que l’on a fait. Les Soviétiques y étaient déjà
présents, il y avait leur ambassadeur en Roumanie, l’adjoint du ministre des
Affaires étrangères de l’URSS, des officiers soviétiques. Ils avaient installé
une table en plein air, le procès-verbal était déjà rédigé, il fallait juste le
signer, ce que les Soviétiques n’allaient pas tarder à exiger. J’avais pour ma
part demandé à lire le document avant de le signer. J’avais aussi exigé de
faire, avec les deux délégations, le tour de l’île, pour qu’on puisse certifier
l’exactitude de ce qu’il y était noté. Enfin, cela n’avait fait que retarder la
signature, sans y changer quoi que ce soit. »
En 1999, le Centre d’histoire
orale de la Radiodiffusion roumaine enregistrait une interview avec l’amiral Constatin
Necula, ancien responsable de la sécurité de la navigation en mer Noire durant
la Deuxième Guerre mondiale.
Constatin Necula : « Après le
changement d’alliances du 23 août 1944, il fallait délimiter la nouvelle
frontière entre la Roumanie et l’Union Soviétique. Dans ce contexte, j’avais
été mandaté à faire le déplacement, accompagné de deux officiers soviétiques,
dans la ville de Sulina, située dans le delta du Danube, pour tracer les
limites de notre frontière maritime. J’avais quitté Sulina sans aucune
instruction de la part de nos responsables politiques. Il est vrai aussi que l’on
manquait de spécialistes. On m’avait informé qu’on allait devoir établir le
tracé, sans plus. Qu’il fallait parler avec les Soviétiques, et qu’il fallait
éviter de les contrarier. Et à Sulina j’avais rencontré les deux officiers
soviétiques qui, eux, avaient déjà décidé tout seuls le tracé de la
frontière : le long du bras Chilia du delta du Danube, qui coulait vers le
sud. Les officiers soviétiques avaient pris soin de mettre les balises, de
sorte que l’île des Serpents tombe du côté soviétique. Ils avaient rédigé tout le
dossier, muni d’une carte et d’un procès-verbal, que j’avais refusé de signer.
Je leur ai expliqué que je n’avais pas de mandat pour ce faire. Je ne pouvais
pas décider de la sorte, au nom de mon Etat, la cession des territoires
roumains. »
Après la dissolution de l’URSS
de 1991, l’île des Serpents se retrouve dans l’escarcelle ukrainienne. Le 3
février 2009, la Cour internationale de Justice de la Haye, saisie par la
Roumanie, allait délimiter le plateau continental de la mer Noire et les zones
économiques exclusives des deux pays riverains, la Roumanie et l’Ukraine. La
première allait pouvoir exercer sa souveraineté sur une région de 9.700 Km
carrés, soit 79,34% de la zone disputée, le restant revenant à l’Ukraine. (Trad.
Ionuţ Jugureanu)