L’idéologie du moldovénisme
Le moldovénisme est né en tant que formule identitaire dans le discours impérialiste de la Russie afin de miner la construction et la consolidation de l’Etat roumain depuis la moitié du 19e siècle. Il encourageait les séparatismes qui s’opposaient à l’union de la Munténie avec la Moldavie et à la création de l’Etat roumain moderne. Son affirmation totale a eu lieu pendant le régime soviétique, et son héritage persiste de nos jours encore en République de Moldova.
Steliu Lambru, 28.08.2017, 13:09
Le moldovénisme est né en tant que formule identitaire dans le discours impérialiste de la Russie afin de miner la construction et la consolidation de l’Etat roumain depuis la moitié du 19e siècle. Il encourageait les séparatismes qui s’opposaient à l’union de la Munténie avec la Moldavie et à la création de l’Etat roumain moderne. Son affirmation totale a eu lieu pendant le régime soviétique, et son héritage persiste de nos jours encore en République de Moldova.
Nous avons refait, avec l’historien Andrei Cuşco de l’Université d’Etat de Chişinău, capitale de la République de Moldova, l’histoire du moldovénisme et de ses malformations : « Je mentionnerais une figure très importante liée à l’Eglise de Bessarabie. Il s’agit de Serafim Ciceagov, le dernier évêque important de l’Eglise de Bessarabie de l’époque des tsars, entre 1908 et 1914. Il était l’arrière-petit-fils de l’amiral Ciceagov qui arrivait en Bessarabie en 1812 comme envoyé du tsar. Ce Serafim Ciceagov est le symbole de la tentative de placer l’Eglise de Bessarabie sous le contrôle du centre. C’est le premier et le seul dignitaire de l’époque impériale qui essaie d’imposer un projet quasi-moldovéniste. Jusqu’au début du 20e siècle, il n’y avait aucun élément qui aurait pu être défini comme moldovéniste dans la perception russe sur la Bessarabie. Les Roumains de cette région sont perçus par la majorité absolue des observateurs russes comme des Roumains ayant une certaine spécificité régionale, bien évidemment. Mais il n’y a aucune tendance de démontrer que les Roumains de Bessarabie seraient radicalement différents de ceux de Roumanie. Et d’autant moins de créer une nation moldave à part. »
La situation change de manière radicale après la victoire de la Révolution bolchevique de 1917. Souhaitant prendre sa revanche et récupérer la Bessarabie perdue en 1917-1918, l’URSS a créé un Etat-fantôme, la République autonome soviétique socialiste moldave, sur la rive gauche du fleuve Dniester, avec Bălţi pour capitale initiale, et ensuite Tiraspol, afin de disséminer les idées de l’existence de la soi-disant nation moldave.
Andrei Cuşco explique: « Dans l’entre-deux-guerres, les activistes culturels soviétiques qui voulaient former la nation moldave n’étaient pas sûrs de quoi elle devait avoir l’air. Il y a eu une période entre 1932 et 1938 lorsque l’alphabet latin a été introduit en République autonome soviétique socialiste moldave, dans laquelle les normes linguistiques étaient identiques à celles de Roumanie. Il n’y avait aucune différence entre ce qui était publié à Tiraspol et ce qui était publié à Chişinău. La période antérieure, entre 1924 et 1932, et surtout celle d’après 1938, ont vu des tentatives délibérées de créer la langue et la culture moldaves, fondées sur du matériel d’une qualité douteuse. C’était un dialecte local, parlé dans les villages de Transnistrie. L’idée nationale soviétique était circonscrite à l’idée de révolution culturelle, ces peuples devaient brûler les étapes à un rythme effréné, récupérer en une décennie ou deux ce qui n’avait pas pu être fait en plusieurs milliers d’années. Il en allait de même pour la soi-disant nation moldave, mais là, l’enjeu était beaucoup plus clair, à savoir lutter contre le nationalisme roumain, contre le projet national roumain. »
Après la ré-annexion de la Bessarabie en 1940, mais surtout après 1944, l’idéologie moldovéniste subit de nouvelles modifications. Andrei Cuşco précise: « Ce qui se passe après 1940 et notamment après 1944, lorsque les autorités soviétiques reviennent en Bessarabie, est encore plus intéressant. Celles-ci envisagent plusieurs scénarios. L’un, c’est de perpétuer le modèle de la Transnistrie, de créer à zéro une langue et une culture opposées à celles roumaines. Mais cela n’arrive pas, parce que les intellectuels soviétiques de Moldova, notamment les écrivains qui ont fait leurs études pendant l’entre-deux-guerres, bien qu’ils soient communistes, n’acceptent pas ces nouvelles normes que les Soviétiques tentent d’imposer. Vers la moitié des années 1950, on revient aux modèles culturels – linguistique et littéraire – roumains. En 1957, lors de la dernière réforme linguistique, on revient aux normes roumaines. Une roumanisation lente des projets soviétiques se produit. Dans les années 1960, un texte écrit en alphabet cyrillique en langue roumaine en Bessarabie, connue officiellement comme langue moldave, n’était pas différent d’un texte publié en Roumanie. D’une part, on assiste donc à une russification, d’autre part, le moldovénisme en tant que politique d’Etat est abandonné de facto dès la fin des années 1950. Là, je pense strictement au domaine linguistique et culturel, car le moldovénisme en tant qu’identité au sens large du terme n’est pas abandonnée. L’école et les média ont pour mission d’inoculer dans la conscience publique, surtout parmi les paysans, le fait qu’ils sont des Moldaves, en quelque sorte différents des Roumains, sans toutefois expliquer en quoi consiste cette différence. »
Après la chute du communisme et le démantèlement de l’Union Soviétique, à compter de 1991, on assiste à une nouvelle étape de l’idéologie moldovéniste. Une étape encore plus primitive, de l’avis d’Andrei Cuşco : «Le moldovénisme d’après 1990 – 1991 est complètement différent par rapport au moldovénisme soviétique parce qu’il est un hybride entre la conception soviétique et une sorte de nationalisme roumain renversé. Les nationalistes qui se déclarent moldovénistes sont très radicaux. En se servant du modèle roumain, ils tentent de tourner les choses à l’envers, de démontrer qu’il existe une continuité entre la Bessarabie d’aujourd’hui et l’Etat moldave médiéval, ce qui est aberrant, de toute évidence. Ou bien, ils affirment qu’il existe des éléments identitaires moldaves qui précèdent l’identité roumaine, considérant la nation roumaine comme un adversaire. Dans ce sens, les moldovénistes d’aujourd’hui sont moins convaincants même par rapport au modèle soviétique qui mettait l’accent sur les différences, sans toutefois énoncer d’arguments ethniques absurdes. Cela aurait été une attitude primitive même pour les moldovénistes soviétiques, car leur mission était de construire quelque chose de durable en partant des critères idéologiques et de classe.»
A l’heure actuelle, le moldovénisme n’est plus qu’une idéologie résiduelle. Malgré ses non-sens, il est encore fort, mais cette force ne cesse de diminuer. (Trad. Ligia Mihaiescu, Valentina Beleavski)