L’histoire de la presse roumaine. La presse étudiante des années 1970-1980
Soumise à un contrôle idéologique strict, la presse des années communistes a connu une évolution sinueuse, qui a coïncidé avec les périodes de transformation du régime lui-même. Dans les années 1950 et la première moitié de la décennie suivante, la rigidité et le dogmatisme du régime communiste ont imposé à la presse un ton militant, hystérique et agressif.
Steliu Lambru, 29.09.2014, 13:30
Vers le milieu des années 1960, la presse allait changer de visage grâce à une idéologie moins contraignante. La pression idéologique et la censure n’ont pas disparu pour autant, mais les publications ont adopté un ton plus modéré. En outre, les auteurs des articles ont commencé à avoir un sens aigu du professionnalisme.
La presse étudiante n’était qu’un pan de la presse centrale, dont elle a d’ailleurs imité le style. Le vent de libéralisation qui, au milieu des années 1960, soufflait notamment sur cette presse étudiante a permis de déceler les tendances de la nouvelle génération. De nouvelles revues, nettement supérieures aux précédentes sous l’angle de la qualité, voient le jour: Equinoxe, à Cluj, Alma Mater et Opinion estudiantine à Iaşi.
Constantin Dumitru, qui a été adjoint au rédacteur en chef de cette dernière publication, créée en 1974, se rappelle des aspects de la réforme de la presse étudiante. « Les débuts de la presse étudiante remontent à 1968. Et ce n’est pas par hasard, car c’est une date fort importante pour la Roumanie. Certes, des formes d’expression de cette presse existaient déjà quatre ans auparavant, mais dans la variante « kolkhoze », c’est-à-dire de gazette du type la faucille et le marteau”. La vraie presse étudiante s’épanouit à compter de 1968 et ce grâce à l’autorisation du Comité central et de Ceauşescu. Il a voulu savoir ce que pensaient les Roumains dans ce contexte précis. Ce fut donc une sorte d’expérimentation. Ceauşescu était conseillé par des professionnels. Ce moment de liberté de la presse communiste, je l’ai vécu moi-même. Pourtant, on n’a pas pu l’expérimenter sur un journal comme Scânteia, car c’était aberrant. »
Constantin Dumitru a également évoqué le rôle de la Direction de la presse: « La Direction de la presse — tel était le nom de l’institution de censure. Elle était composée de personnes spécialisées dans le décryptage des texte, capables de lire entre les lignes, d’identifier les aspects qui, directement ou indirectement, de manière subliminale, portaient atteinte aux intérêts politiques du communisme. Malheureusement, cette institution était peuplée, à quelques exceptions près, d’imbéciles convaincus que le mot subliminal était de toute façon dangereux pour le communisme. Je me souviens comment nous autres, étudiants, nous nous moquions d’eux avec un humour fou. Nous avons par exemple publié une poésie de Miron Blaga. Comme l’individu de la Direction de la presse avait du mal à comprendre le titre, je lui ai dit qu’il renvoyait à Danubius, à Donaris. « Ah, oui, m’avait-il lancé, je vois, on y parle du Danube ». Ainsi se fait-il que l’on autorisa la publication du poème. Bref, nous nous plaisions à tromper leur vigilance, ce qui n’était pas si difficile que ça, car nous avions affaire à des sots, à des incultes. »
Le régime communiste a trouvé une mesure perfide pour s’acquitter de ses obligations. Il a décidé de passer la responsabilité de la censure aux éditeurs en chef. Des dérapages, parfois assez graves, n’ont pas tardé à se produire. Constantin Dumitru: « Le parti communiste a adopté une mesure géniale. Moi, j’ai vécu la censure dès le début de ma carrière journalistique, vers mes 18 ans. Et puis, voilà qu’un beau jour, le Parti communiste décide de l’abolir. On nous a tous réunis – rédacteurs en chef et adjoints aux rédacteurs en chef – et on nous a dit: camarades, à partir d’aujourd’hui, la censure n’existe plus! Qu’est-ce qu’on a pu être heureux! Mais, tout d’un coup, ils nous ont dit: à partir de ce moment, la censure, c’est vous! Adieu la joie! A l’époque, le mot du chef était décisif, personne ne le contrôlait, sauf en cas d’erreur évidente. Que Ceausescu n’apparaisse pas en photo un navire derrière lui, où qu’il ne soit pas chauve ou borgne. Et pourtant, de petites erreurs continuaient à nous échapper. Je me rappelle la visite en Roumanie d’un chef d’Etat français qui était très grand et qui a été accueilli à l’aéroport par Ceausescu. La photo était ridicule. Ceausescu, plus petit, son chapeau à la main, se tenait près de l’autre qui était très grand. Alors, on a décidé de coiffer Ceausescu d’un deuxième chapeau, mais on a oublié d’enlever celui qu’il tenait à la main. Le journal Scanteia a publié donc une photo de Ceausescu muni de deux chapeaux: l’un sur la tête, l’autre à la main. Un incident suite auquel plusieurs camarades ont été virés. La bêtise remplaçait souvent la liberté. Sans vouloir forcément nous révolter, il nous arrivait parfois de faire des erreurs stupides ».
A en croire Constantin Dumitru, malgré la censure de l’époque, on pouvait faire de la presse dans des conditions décentes grâce surtout aux journalistes qui assumaient leurs responsabilités: « Je n’ai jamais fait de propagande, du temps où je travaillais pour Opinia studenteasca. Mes éditos, je pourrais les faire publier de nos jours encore et franchement, je pense qu’ils sont mieux écrits que ceux de la presse actuelle. Bien sûr, ça dépendait beaucoup du talent de bien jouer avec les mots. Le journal Echinox avait, lui aussi, de bons éditoriaux. Il faut dire que certains journalistes faisaient de leur édito une sorte de façade leur permettant de se cacher derrière pour exprimer leurs opinions. Normalement, les éditos servaient à se prosterner aux pieds du régime et à saluer ses dirigeants. Pourtant, la presse estudiantine a réussi à y échapper. L’Opinia studenteasca que j’ai dirigée de 1974 à 1975 n’a fait paraître aucun éditorial de propagande. Pas un seul mot en ce sens, pas une seule louange. Vous voyez, ce n’était pas impossible! »
La presse des années 1970-1980 a été représentative pour la société de l’époque, sous tous ses aspects: politique, économique, social et culturel. L’histoire en parle comme d’un triste épisode d’un régime détestable sous lequel la société avait des attentes différentes que celles qui lui étaient proposées. (trad. Mariana Tudose, Ioana Stancescu)