Lettres de la Grande Guerre
La première guerre mondiale, appelée aussi « la Grande guerre », a été la conflagration qui profondément a changé le monde. Ce fut le plus grand déploiement de forces humaines et matérielles qui a provoqué des dégâts tels que lhumanité, lEurope en tout cas, sen ressent encore aujourdhui. Sur les champs de bataille, les adversaires ont vécu les mêmes traumatismes, ce qui a rendu dautant plus émouvants les moments de communion humaine. La correspondance est une source dinformations particulièrement importante, qui raconte le vécu personnel des combattants. Le Musée militaire national de Bucarest détient une collection denviron 120 lettres et cartes postales ayant appartenu aux militaires roumains engagés dans la Grande guerre.
Steliu Lambru, 05.01.2015, 13:58
Lhistorienne et conservatrice Carla Duţă nous guide à travers le ressenti, la souffrance et lespoir de ceux qui, il y a cent ans, ont sacrifié leur vie pour préserver les valeurs auxquelles ils croyaient.
Nous avons demandé à Carla Duţă à qui étaient adressées les lettres des militaires. « Les militaires roumains partis combattre écrivaient le plus souvent à leurs familles, aux épouses, aux mères, aux enfants. Voilà, par exemple, lalbum de lettres envoyées à son épouse Elena par le colonel Alexandru Stoenescu, du 10e Régiment dinfanterie. Cest un paquet de 12 cartes postales militaires, qui commencent toutes avec « Ma chère Lunca » et finissent par la formule « je vous embrasse tous, avec tout mon amour, Alexandru ». Les 12 lettres datent de 1916, lorsque le colonel Stoenescu avait participé aux combats du sud de la Dobroudja où il a été légèrement blessé. Je vais vous en lire un extrait: « Ma chère Lunca. Je suis en bonne santé, grâce à Dieu, le régiment sest distingué dans le combat que nous avons mené le 6 septembre 1916, et a été cité à lordre de larmée. Jai éprouvé une grande satisfaction, je vous ai écrit dans une autre carte postale quune balle a traversé mon oreille gauche. Ma blessure est maintenant complètement guérie. Je suis content que les enfants soient sages et suivent mes conseils. Comment faites-vous avec les zeppelins? Ici, nous sommes tout le temps sous les coups de lartillerie. Je vous embrasse tous, Alexandru ».
Carla Duţă a énuméré les valeurs que défendaient ceux qui vivaient les pires privations sur le front : «Les sentiments, les pensées, les aspirations des militaires roumains partis sur le front étaient dabnégation pour lidéal (national) roumain mais aussi dinquiétude et de préoccupation pour les familles, dépourvues de soutien et vivant souvent dans la précarité; cest ce qui ressort de la correspondance envoyée par les familles. Voici quelques lignes de la lettre dun certain Pascal Rădulescu, participant à la bataille de Flămânda de 1916. « Je noublierai jamais cette image, lorsque à moitié dans leau, la mitraillette brisée par une balle, portant dans mes bras un sergent aimé et dévoué dont une balle avait transpercé la cervelle, jai donné au clairon lordre de sonner la charge. Pour partir ensuite à lattaque les mains vides. » Ces lettres nous transmettent aussi les sentiments de fierté, doptimisme et de foi en Dieu que les Roumains ressentaient en ces moments. Voici une autre citation: « Les Allemands et les Bulgares, morts de peur de la baïonnette, sefforçaient de courir. Mais malheur à celui rattrapé par la crosse du fusil du Roumain! »
Lhistorienne Carla Duţă a reconstitué des scènes de guerre récupérées dans cette correspondance : « Nous avons des descriptions très intéressantes dans certaines lettres, les cartes postales ne permettant pas des textes dune telle longueur. Pourtant, de telles scènes de guerre, succinctes, apparaissent dans les cartes postales du colonel Alexandru Stoenescu, précitées; et jen cite. « Le 6 septembre 1916, le régiment est engagé dans la bataille. Un combat acharné, comme on nen avait pas connu. Le régiment a perdu la moitié de ses effectifs. Dieu ma protégé. 20 officiers sont blessés, le champ est couvert de cadavres de Bulgares, nos charges soutenues les ont découragés et ils se retirent. Nous avons occupé leurs positions, où il y a plein de cadavres bulgares. » Ensuite, les scènes de guerre sont plus détaillées, les images suggérées sont plus complètes et dautant plus impressionnantes. Voici ce que raconte un militaire qui se trouvait dans les tranchées de Moldavie, en 1917. « Les Allemands vont mal, il y en a tout le temps qui passent à nous. Ils disent quils nont rien à manger. A peine sortent-ils la tête des tranchées que nos fantassins leur tirent dessus. Les boulets, trois je dirais, viennent tout juste de passer. Cest la guerre ».
Quel regard portaient les Roumains sur la présence sur le front? Carla Duţă lit un extrait de la lettre, envoyée depuis Galaţi en 1917, par un père à son fils, le soldat volontaire Vasile Florescu : « Mon cher garçon, cest aujourdhui que monsieur Niculescu ma apporté ta lettre. Vas-y, mon cher fils, en croyant dur comme fer que tu seras vainqueur. Noublie pas qui étaient tes ancêtres et honore le nom de Roumain. Cest ton devoir que de lutter pour que nous puissions revoir nos terres, qui saignent sous loccupation des ennemis. Ne te soucie pas de ta vie, qui nappartient plus quau Roi et à ton pays. Que lidée dêtre les créateurs de la Grande Roumanie élève ton âme et chasse le dernier doute. Car mourir pour la patrie cest mourir en héros. Chasse donc de ton esprit toute pensée autre que celle de la cause sacrée de la victoire. Montre-nous un comportement à la hauteur de ton écriture et mon cœur de père te bénira. Ta mère et tes frères souhaitent te voir rentrer victorieux et noublient jamais de prier Dieu pour toi et pour le salut de notre cher pays. Salue tes camarades darmes pour moi et que Dieu vous protège! Vasilică, mon fils, noublie pas quil ny a pas eu de lâche dans ta famille et que lhonneur a toujours été sa devise ».
Les grandes victoires demandent de leffort et du sang versé. Cest ce que prouve parfaitement aussi la correspondance des militaires roumains ayant lutté dans la première guerre mondiale. (Trad. Ileana Taroi)