L’Etat des frères Petru et Ioan Asan (Assen)
En 1185, des contribuables de l’Empire byzantin étaient arrivés au maximum de leur mécontentement. L’administration centrale avait augmenté les taxes pour organiser le mariage de l’empereur Isaac II Ange avec la fille du roi de Hongrie, ce qui avait engendré toute une vague de critiques. Deux frères, les boyards roumains Petru et Ioan Asan (Assen), leaders des communautés du nord de la Bulgarie actuelle, ont présenté à la cour impériale une protestation formelle contre l’augmentation des taxes, un document rejeté violemment par les autorités. De retour à Veliko Târnovo, leur ville de résidence, les deux frères déclenchèrent la révolte anti-byzantine qui allait se terminer par l’apparition de l’Etat roumano-bulgare, connu aussi comme le Second Empire Bulgare, dirigé par la dynastie des frères Asan. L’Etat a fonctionné jusqu’en 1260, lorsqu’il fut divisé. En 1396 toutes les formations étatiques qui lui ont suivi furent conquises par les Ottomans.
Steliu Lambru, 17.11.2014, 13:14
Etat pluriethnique, l’Empire roumano–bulgare comptait au mois 3 nations: Roumains, Bulgares et Coumans. Il est difficile de faire une carte de cet Etat en suivant les sources historiques, affirme l’historien Alexandru Madgearu: « Il y a plusieurs sources qui mentionnent en même temps, parfois dans la même phrase, les Valaques, les Bulgares et les Coumans. On faisait une distinction ethnique nette entre les participants à une campagne militaire, un siège ou tout simplement de la population de la zone. Tout comme on faisait une distinction très claire entre les territoires, appelés Bulgarie et Valachie. Il paraît donc que la Valachie a existé. Mais ce n’était pas le nom que les Roumains utilisaient pour se désigner eux-mêmes, car les Roumains ne se sont jamais appelés « Valaques ». La source mentionnée, un des documents du Pape, parle de la Valachie en tant que territoire associé à la Bulgarie dans la même phrase. Cela veut dire que l’Etat avait des divisions, des territoires qui auraient pu être autonomes. C’est tout ce que l’ont connaît à ce sujet. On sait seulement qu’il y avait une différence claire entre les Valaques et les Bulgares dans les sources byzantines ».
Même si la nation médiévale avait un tout autre sens que l’actuel, les frères Assen étaient conscients de leur propre origine. En plus, les divisions ethniques n’ont pas été un obstacle dans la coalisation contre le pouvoir central.
Alexandru Madgearu explique: « C’est sûr et certain qu’ils étaient conscients de leur origine ethnique, mais pour cette époque-là il faut savoir que l’idée d’ethnie, de nation, n’avait pas la même signification qu’au 18 — 19e siècles. Il s’agissait plutôt de l’appartenance à un groupe, à une religion, à une couche sociale. C’est la seule information qu’ils nous ont transmise. Elle figure dans plusieurs sources, notamment dans leur correspondance avec le Pape, où il est écrit « nous avons du sang roumain » (nous sommes d’origine roumaine). Les révoltes des frères Assen ont réuni des participants de différentes ethnies. Leur ennemi n’était pas les Grecs, dans le sens de l’ethnie grecque mais le pouvoir de Constantinople, représenté par ceux qui collectaient les taxes. Parce que tout a commencé pour des raisons de nature fiscale, économique. Ce ne furent pas forcément les pauvres qui se sont révoltés, ce furent surtout les riches. Ils formaient la principale catégorie touchée par les taxes et ils ont aussi entraîné les gens simples ».
La révolte anti-byzantine a également comporté un volet mystique. Il s’ajoute à la motivation économique, que l’on serait tenté de négliger. Alexandru Madgearu précise que les pratiques de mobilisation religieuse à des fins politiques étaient monnaie courante au temps du Moyen Age.
Alexandru Madgearu: “Voici comment les frères Assen ont instigué à la révolte les Roumains et les Bulgares de Târnovo. Ils ont imaginé toute une histoire, selon laquelle Saint Démètre aurait quitté le Thessalonique conquis par les Normands. Ils ont affirmé que le saint était venu chez nous, à Tarnovo, après avoir abandonné les Grecs, à cause de leurs péchés. On aurait dressé une sorte de chapelle, au pied de la cité et rassemblé des individus, lesquels, à mon avis, étaient sous l’effet des champignons hallucinogènes, à en juger d’après leurs manifestations telles que décrites par Nikita Honiates. Ce n’est pas du tout risible, car on a affaire à une pratique millénaire. J’ai comparé cette histoire au récit de Marco Bandini, qui, en 1650, racontait des faits similaires de Moldavie. Il affirme que des personnes en état de délire mystique s’étaient mises à chanter et à crier “Saint Démètre est avec nous ” ou encore “Faisons la guerre aux Grecs maudits”. Cette action, que l’on pourrait étiqueter comme guerre psychologique, de nos jours, s’est avérée décisive pour l’enclenchement de la révolte, car, affirme le même Niketas Honiates, les gens se montraient hésitants”.
Déceler davantage de traits caractéristiques de l’Etat des Assen est une tâche d’autant plus difficile que la quantité de sources documentaires est plutôt maigre, souligne Alexandru Madgearu: “En l’absence des sources documentaires, il est difficile de déterminer combien il y avait de Roumains et de Bulgares dans une cité. Il n’y a même pas de cimetières qui rendraient possibles de telles estimations. Les mouvements séparatistes ont éclaté sous le règne de dirigeants faibles, comme ce fut le cas de Borilă et de Constantin Asan. Si l’autorité du tsar s’affaiblissait, des groupes de boyards de différentes contrées déclaraient leur autonomie, voire même leur indépendance.”
Les trois premiers souverains, Petru, Ioan Assen et Ioniţă, étaient d’origine roumaine. Le pouvoir passa ensuite entre les mains de la dynastie bulgare. L’Etat des Assen restera une entité distincte en raison aussi de la chute de Constantinople, laquelle n’était plus une force depuis 1204, lorsqu’elle avait été conquise par les croisés. L’apparition de l’Empire ottoman dans la région, à compter de la première moitié du XIVe siècle, marquera le début d’une nouvelle formule politique et étatique. (trad. Valentina Beleavschi, Mariana Tudose)