L’établissement des relations diplomatiques entre la Roumanie et la RFA
La Roumanie, membre du bloc communiste et du pacte de Varsovie, n’avait noué des relations diplomatiques qu’avec la RDA. A partir de la seconde moitié des années 60, la position de Bucarest en matière de politique étrangère qui semblait la distancer de plus en plus de Moscou, amena la RFA à établir des relations diplomatiques avec la Roumanie en 1967.
Steliu Lambru, 13.01.2025, 10:14
L’apparition, après 1945, de deux Etats allemands sur la carte d’Europe, décidée par les grandes puissances après la défaite de l’Allemagne nazie, était censée prévenir la résurgence d’une puissance allemande menaçante. Mais la guerre froide qui s’en est suivie transforma ces deux Etats, l’un, l’Allemagne de l’Ouest ou la RFA, qui se trouvait sous le contrôle des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne, l’autre, l’Allemagne de l’Est, sous le contrôle de l’URSS, en frères ennemis qui se regardaient en chiens de faïence. Walter Hallstein, premier président de la Communauté économique européenne, embryon de la future UE, avait légué son nom à la doctrine ouest-allemande selon laquelle la RFA ne pouvait nouer de relations diplomatiques avec les Etats qui avaient reconnu l’existence de la RDA. Une position que la RDA reprit à son compte en sens inverse. Aussi, les deux Allemagnes, de l’Est et de l’Ouest, n’allaient dorénavant nouer des relations diplomatiques qu’avec les Etats de leur propre bloc.
La Roumanie – des relations diplomatiques d’abord avec la RDA
La Roumanie, membre du bloc communiste et du pacte de Varsovie, n’avait ainsi noué des relations diplomatiques qu’avec la RDA. A partir de la seconde moitié des années 60, la position de Bucarest en matière de politique étrangère qui semblait la distancer de plus en plus de Moscou, amena la RFA à établir des relations diplomatiques avec la Roumanie en 1967. Ce fut un tournant, la Roumanie devenant le premier Etat membre du bloc communiste ayant noué des relations diplomatiques avec l’Allemagne de l’Ouest. La visite à Bonn du ministre roumain des Affaires étrangères, Corneliu Manescu, suivie par la visite de son homologue ouest-allemand, Willy Brandt, à Bucarest, ont mis les bases du rapprochement entre les deux capitales.
L’ancien diplomate Vasile Șandru, interviewé en 1994 par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, remémorait les coulisses de ce changement de paradigme dans la politique étrangère de deux Etats :
« La visite du vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères ouest-allemand Willy Brand à Bucarest a eu lieu après l’établissement des relations diplomatiques entre les deux capitales. Mais les choses se sont déroulées de la manière suivante : à l’été 1966 a eu lieu à Bucarest la réunion du Conseil politique consultatif du Pacte de Varsovie. Le document adopté à la fin de la réunion lançait l’idée de convoquer une conférence pour la sécurité et la coopération européenne. Un autre passage faisait état d’une volonté de promouvoir une politique de détente avec les deux Etats allemands sans distinction. Or Bucarest s’est appuyé sur ce document dans sa tentative de rapprochement avec Bonn, mais sans pour autant se consulter avec ses alliés, ni même les en informer. Cela ne manqua pas de provoquer l’ire de l’Union Soviétique en premier lieu, mais aussi des autres Etats membres du Pacte de Varsovie, qui appréciaient que le rapprochement diplomatique avec l’Allemagne de l’Ouest aurait dû avoir lieu de concert ».
La nouvelle politique de l’Est – un écho o positif en Allemagne
La nouvelle politique de détente promue par le bloc de l’Est et par Bucarest en premier lieu trouva un écho positif en Allemagne.
Vasile Șandru :
« L’initiative roumaine fut accueillie à bras ouverts à Bonn. Aussi, au début de l’année 1967, des relations diplomatiques furent établies entre les deux Etats. Auparavant déjà, la Roumanie avait établi des relations consulaires et commerciales officielles avec la RFA. Une première représentance commerciale et consulaire a été établie à Cologne. Pour la RFA, l’établissement des relations diplomatiques avec la Roumanie signifiait l’abandon de facto de la doctrine Hallstein, ce qui constituait un grand pas en avant et un changement de paradigme dans le contexte qu’était celui de la guerre froide. Jusqu’alors, Bonn s’était refusé à tout prix de reconnaître l’existence de la RDA et s’était refusé de nouer des relations diplomatiques avec quelque Etat que ce soit qui avait reconnu l’Allemagne de l’Est et qui avait établi des relations diplomatiques avec cette dernière. »
Le rôle positif du rapprochement entre les deux capitales
Vasile Șandru apprécie le rôle positif joué dans ce rapprochement entre les deux capitales par leurs leaders respectifs :
« Willy Brandt a été accueillie avec sa famille par Nicolae Ceaușescu sur la côte roumaine de la mer Noire. L’entrevue entre les deux leaders a duré près de 5 heures. Ils ont abordé des questions de la politique de sécurité en Europe, mais aussi les relations entre les partis de gauche européens. Willy Brandt a été accompagné durant sa visite officielle par son épouse et par leur fils, Lars, un militant de gauche lui aussi. Madame Brandt et son fils ont eu le temps de visiter des objectifs culturels, de toucher au folklore roumain, de connaître d’autres aspects de la vie en Roumanie. Ils sont repartis avec une autre image que celui d’un pays hostile. »
Une autre vision des faits
Ancien dignitaire communiste et fin connaisseur du régime, Paul Niculescu-Mizil donnait en 1997 sa version des faits au sujet de ce rapprochement inédit entre la Roumanie et la RFA :
« J’avais entendu Cornel Manescu, l’ancien ministre des Affaires étrangères, raconter à la télévision, après la chute du régime communiste, sa version des faits. En l’écoutant, cela avait l’air très simple. Il disait être allé en Allemagne, avoir rencontré Brandt, et que ce dernier lui eut proposé de nouer des liens diplomatiques. Qu’ils s’étaient ensuite serrés les mains et qu’ils s’étaient départis heureux. Ce sont des histoires à dormir debout. Moi j’étais à l’époque membre du Comité exécutif du Comité central du parti. J’ai pris part à tous les débats sur le sujet et à de nombreuses missions. Cette question a été longuement débattue au sein des instances dirigeantes du parti. L’on a analysé tous les scénarios. La réaction des Soviétiques, la réaction des Allemands, les répercussions potentielles. Lorsqu’il est parti négocier, Manescu avait un mandat précis. Celui d’établir des relations diplomatiques avec la RFA. Et il est resté en permanence en contact avec Bucarest. Ce fut loin d’être une initiative personnelle ou un geste irréfléchi. »
Ainsi la Roumanie devenait en 1967 le premier Etat satellite de Moscou à nouer des relations diplomatiques avec la RFA. Un geste fort posé par Nicolae Ceausescu dans sa volonté de s’affranchir de la tutelle soviétique et d’enclencher un rapprochement avec l’Occident. (Trad Ionut Jugureanu)