Les villes Staline
Apres la victoire de mai 1945 sur l’Allemagne nazie, l’Union Soviétique s’est retrouvée maître de la moitié de l’Europe, lui imposant son propre modèle politique, économique et social. Le culte du dirigeant suprême, le célèbre Josèphe Staline, était partie prenante du modèle. En effet, la propagande exigeait de tout un chacun une adoration sans limites du commandant suprême soviétique. Des villes d’Albanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaquie, de la RDA, de Pologne, de Roumanie ou d’Hongrie ont été rebaptisées du nom du dirigeant sans autre pareil du monde communiste.
Steliu Lambru, 14.10.2019, 14:58
Apres la victoire de mai 1945 sur l’Allemagne nazie, l’Union Soviétique s’est retrouvée maître de la moitié de l’Europe, lui imposant son propre modèle politique, économique et social. Le culte du dirigeant suprême, le célèbre Josèphe Staline, était partie prenante du modèle. En effet, la propagande exigeait de tout un chacun une adoration sans limites du commandant suprême soviétique. Des villes d’Albanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaquie, de la RDA, de Pologne, de Roumanie ou d’Hongrie ont été rebaptisées du nom du dirigeant sans autre pareil du monde communiste.
A l’instar de Staline, d’autres apôtres du communisme ont été mis à l’honneur dans ces mêmes pays. Aussi, en 1953, en RDA, la ville de Chemnitz se voit-elle adouber du nom de Karl Marx Stadt. En Yougoslavie, où le nom de Staline était banni, la ville de Podgorica, actuelle capitale du Monténégro, était devenue Titograd, en l’honneur du maréchal local, le célèbre Josip Broz Tito, et cela depuis 1953 et jusqu’en 1992.
En Roumanie, c’est la petite ville d’Oneşti qui a eu l’insigne honneur de porter dans l’histoire le nom du leader communiste roumain, Gheorghe Gheorghiu-Dej, et puis la ville de Stei – le nom du premier président communiste de Conseil, Petru Groza. Nicolae Pepene, directeur du Musée d’histoire du département de Braşov, a conçu le projet des villes qui avaient pris le nom de Staline, projet qui a été financé par l’Union Européenne, en 2017, année du centenaire de la révolution bolchévique.
On est allé à la rencontre de M. Pepene, pour mieux comprendre comment se fait-il que la ville de Braşov avait pris à l’époque le nom du célèbre Staline :« Il existe une explication officielle que l’on retrouve dans les journaux de l’époque, prétextant de la volonté des cheminots de rendre hommage au dirigeant suprême, à sa bienveillance envers le peuple, et surtout envers les ouvriers roumains. Pourquoi les cheminots ? Là, c’est plus compliqué à expliquer, mais c’est que le secrétaire général du parti communiste roumain, Gheorghe Gheorghiu-Dej, était lui-même cheminot. C’était juste de la propagande. Et la ville de Braşov s’est retrouvée rebaptisée au nom de Staline, la veille du 23 août 1950, le jour de la fête nationale du régime communiste. Il ne s’agissait, évidemment, que du servilisme à l’état pur de la part des autorités de Bucarest envers le Grand Frère soviétique. A l’époque, la présence soviétique dans la vie culturelle roumaine était déjà très marquée. Le monument à la gloire du soldat soviétique avait été érigé dès 1949 au beau milieu du parc central de la ville de Braşov. ARLUS, l’Association d’amitié soviéto-roumaine, était, elle aussi, fort active dans la ville. Des écrivains soviétiques débarquaient régulièrement dans la ville, des ouvriers et des professeurs soviétiques venaient connaître Braşov, dans le cadre des échanges dits culturels. Braşov était historiquement une ville industrielle, avec une présence ouvrière importante. Alors, après la prise de pouvoir par les communistes, elle est devenue le fer de lance de leur propagande. Bombardée pendant la guerre, son industrie s’est relevée grâce aux investissements massifs consentis par les communistes. »
Par la suite, des propagandistes zélés ont marqué le nouveau nom de la ville en défrichant la montagne qui la surplombe pour marquer le contour des lettres du nom de Staline. Ce nom s’était répandu, à l’époque, comme une traînée de poudre à travers les pays d’Europe centrale, dont de nombreuses villes furent marquées à son sceau. Nicolae Pepene nous rappelle le contour de la carte des villes qui avaient le nom de Staline :« On doit commencer par l’Union Soviétique, car c’est de là que cette mode est partie. D’abord, la ville de Volgograd devient Stalingrad. Ensuite, la ville de Donetsk a été appelée Stalino. Bien sûr, après 1945 et l’occupation soviétique de l’Europe centrale et de l’Est, l’effet de mode a dépassé les frontières de l’URSS. La ville bulgare de Varna est devenue la ville de Staline. J’ai commencé avec Varna, car les Bulgares ont été les premiers à changer le nom d’une de leurs villes, c’était en 1949. Et ils n’avaient pas choisi n’importe laquelle, car à ce moment-là, Varna était la deuxième ville de Bulgarie, juste après Sofia, la capitale. Ensuite, la ville polonaise de Katowice, une ville ouvrière de tradition, a repris le nom de Staline. Les Polonais ont été les dindons de la farce dans cette histoire. Ils ont changé le nom de la ville en 1953, peu après la mort de Staline, pour revenir à l’ancien nom de Katowice dès 1956. Une autre ville, de Hongrie cette fois, a été nommée Stalinvaros, soit, en hongrois, la Citée de Staline. Bâtie au bord du Danube, elle s’appelle de nos jours Dunaujvaros. C’est toujours la ville sidérurgique la plus importante de Hongrie. En Albanie, on a choisi de rebaptiser une petite ville minière, Kutova, située au sud de la capitale, Tirana. En la République démocrate d’Allemagne, Eisenhüttenstadt, ville ouvrière, dotée d’une industrie sidérurgique importante, a eu l’honneur de changer de nom. Seule la Tchécoslovaquie a échappé à l’engouement général pour le nom du dictateur soviétique, même si des quartiers et des arrondissements de certaines villes ont quand même porté son nom. Ce fut le cas à Prague, mais aussi à Ostrava. »
Les villes de Staline ont disparu plus ou moins facilement après la mort du dictateur, en fonction des situations particulières dans chaque pays. Katowice et Varna ont repris leurs anciens noms en 1956, Braşov en 1960, Eisenhüttenstadt et Dunaujvaros en 1961. Toujours en 1961, Volgograd et Donetsk ont reçu leurs noms actuels, et en 1991, Kotovo a été la dernière ville de Staline à abandonner ce nom tristement célèbre.
(Trad. Ionuţ Jugureanu)