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Les tribunaux populaires

Les tribunaux populaires
Les tribunaux populaires

, 04.04.2022, 12:59

L’année 1945 marqua, avec la fin de la Deuxième
Guerre mondiale, le revirement de la justice avec un grand J, nationale ou
internationale, la seule habilitée à punir les responsables des exactions et
des crimes commis. En tête de cette longue liste d’horreurs allait ainsi
s’installer le génocide, pour la première fois abordé nommément dans le droit
international.






Cependant, la justice rendue dans
les pays démocratiques ne sera pas la même que celle des pays de soi-disant
démocratie populaire. Pour juger des crimes de guerre, la Bulgarie, la
Tchécoslovaquie, la Pologne, la Roumanie et la Hongrie, occupées par l’Armée
rouge, ont mis sur pied des tribunaux populaires. Les autres pays, tels la
France, la Belgique, les Pays-Bas ou la Grèce, avaient à leur tour créé des
tribunaux spéciaux, censés traiter ce même type de crimes. En Roumanie, les
tribunaux populaires, visant à traduire en justice les criminels de guerre,
voient le jour en vertu de la loi 312, de 1945. Deux juridictions sont créées
sur aux termes de cette loi, l’une à Bucarest et l’autre à Cluj, en
Transylvanie, cette dernière chargée de juger des faits produits dans la partie
occupée par la Hongrie de cette région du pays durant la guerre. Les deux cours
de justice ont vu défiler dans leurs box 2.700 inculpés de crimes de guerre,
dont 668 seront déclarés coupables et se verront infliger des peines de
diverses natures. Le tribunal populaire de Bucarest prouvera la culpabilité de
187 suspects, tandis que celui de Cluj condamnera pas moins de 481 inculpés.

Le
procès le mieux connu se tiendra toutefois à Bucarest et s’achèvera par la
condamnation à la peine capitale de l’ancien dirigeant de l’État roumain entre
1940 et 1944, le maréchal Ion Antonescu, mais aussi du vice premier-ministre et
ministre de la Justice, Mihai Antonescu, de l’ancien commandant de la
Gendarmerie, le général Piki Vasiliu, enfin de Gheorghe Alexianu, ancien
gouverneur de la Transnistrie occupée par l’armée roumaine durant la guerre. Parmi
les 19 inculpés au célèbre procès, 6 seront condamnés à la peine capitale par
contumace, alors que 3 autres verront leur peine de mort commutée en prison à
vie. Les autres écoperont des peines de prison de durées variables.










En vérité, le régime Antonescu, que
ce procès mettait sur la sellette, se rendait coupable de la déportation en
Transnistrie et de la mort de près de 280.000 Juifs et de près de 25.000 Roms. Le
tribunal populaire de Cluj avait quant à lui condamné 370 personnes d’origine hongroise,
83 d’origine allemande, 26 d’origine roumaine et 2 d’origine juive, ayant prononcé
100 condamnations à la peine capitale et 163 condamnations à la réclusion
criminelle à perpétuité. Cependant, l’amnistie générale décrétée par le régime
communiste en 1964 bénéficiera également aux criminels de guerre, du moins à
ceux qui avaient survécu jusqu’alors.








Cependant, et en dépit des bonnes
intentions clamées par les tribunaux populaires, force est de constater que ces
instances n’ont pu se départir des pratiques d’une justice expéditive et
souvent contaminée des visées idéologiques, une justice qui utilisait les mises
en examen pour crimes de guerre comme arme politique, contre les adversaires
politiques des communistes. C’est ce que racontait en 1999 le prêtre Constantin Hodoraga, dans un enregistrement conservé
par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, lorsqu’il parlait
de la manière dont il avait appuyé la rébellion anticommuniste de la région
d’Argeş, et de l’utilisation de la justice de classe par le régime communiste qui
entendait liquider ainsi l’opposition.






Constantin Hodoroagă : « Dans
toute la région de la vallée du Topolog, les communistes avaient employé cette
méthode pour se débarrasser des propriétaires terriens, des élites et même des
simples gens. Il y avait là, dans cette région, un avocat communiste, un
certain Petrescu, qui avait fondé une sorte de tribunal populaire. Il
embarquait les adversaires politiques des communistes et les amenaient à Suici,
où il avait créé ce tribunal ad hoc pour les traduire en justice. Devant cette
soi-disant justice sont passés le colonel Canarie, le professeur Minculescu, appartenant
à une famille de propriétaires bien connue dans la région, et beaucoup d’autres.
C’était du n’importe quoi. »








Le
monde de la culture n’a pas non plus été épargné par le phénomène, certains
n’hésitant pas à employer ce genre de méthodes pour régler leurs comptes. Dans
une interview de 1997, l’écrivain Pan Vizirescu remémorait le subterfuge qu’il
avait employé pour échapper au risque de passer devant ce genre de tribunal
populaire factice.






Pan Vizirescu : « On voyait la manière
dont les choses évoluaient. Victor Eftimiu avait fait main basse sur la Société
des gens de lettres. Il n’arrêtait pas d’éloges à l’égard de certains officiers
soviétiques, avec lesquels il avait dîné et qu’il trouvait charmants. Et un
beau jour, ce mec invite les écrivains à une réunion, pour qu’ils s’expliquent
sur leur attitude pendant la guerre. Je n’y suis pas allé, j’avais flairé le
guet-apens. Et j’ai eu raison. Ceux qui s’y étaient rendus ont été amenés
devant le tribunal populaire. »









Malgré tout et en dépit du
détournement de leur mission, les tribunaux populaires ont jugé les pires
criminels de guerre, ceux coupables des pires atrocités, des crimes en masse contre
la population civile ou contre des groupes ethniques, des crimes de génocide.
(Trad. Ionuţ Jugureanu)

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