Les Russes dans la Roumanie de la Grande Guerre
Aux termes du traité conclu par la Roumanie avec l’Entente en août 1916, l’armée russe s’engageait à apporter son soutien sur le front du sud et de l’est des Carpates. Pourtant, vu que les commandants de l’armée russe n’ont pas tenu leurs promesses, la guerre fut un désastre. Le 30 novembre 1916, un corps d’armée russe, dirigé par le général Andrej Medardovics Zajoncskovszkij allait venir en aide aux Roumains pour défendre la capitale, Bucarest. Comme les Russes ne firent pas preuve d’une grande combativité, l’offensive des Puissances centrales ne put pas être repoussée. En plus, la mobilisation tardive en Dobroudja d’une autre unité militaire russe profita aux troupes germano-bulgares venant du sud.
Steliu Lambru, 23.01.2017, 13:52
C’est grâce au secours de l’armée française, en 1917, que l’armée roumaine réussit à stopper l’avancée allemande. En outre, les alliés russes renforcèrent leur présence dans la province roumaine de Moldavie, où s’étaient retirées les autorités roumaines. Si en 1916, 50.000 soldats russes combattaient aux côtés des Roumains, une année plus tard, Moscou allait déployer 1 million de soldats en renfort des 400.000 militaires roumains. Cette aide russe substantielle, équivalant à 80% de la ligne du front, contribua de beaucoup à arrêter l’offensive des Puissances centrales.
Cette présence militaire russe en Roumanie dont les effets positifs se faisaient sentir finalement n’a pas été facile à digérer. Après la victoire de la révolution bolchevique d’octobre 1917, elle fut même une des causes principales de l’effondrement du front de l’Est et la plus dangereuse des sources d’instabilité pour la Roumanie. Pendant la première conflagration mondiale, les Russes présents sur le sol roumain ne firent que confirmer leur mauvaise réputation, telle que révélée par les témoignages des Anciens sur la guerre de 1877-1878.
Dans une interview datée de 2000 et conservée au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Constantin Moiceanu, qui, en 1917, avait 5 ans, se souvient de l’arrivée des soldats russes dans son village natal : « A un certain moment, on a vu venir les troupes russes. Des rumeurs couraient comme quoi les Russes étaient réputés bon viveurs et enclins à la bagarre. Les miens étaient assez aisés à l’époque. Ils possédaient un lopin de terre et un jardin. En plus, la cave de la maison regorgeait de fûts remplis de vin et d’eau-de-vie. Le jour où l’on a eu vent de l’arrivée des Russes, les villageois ont vidé tous les fûts, craignant la réaction des soldats russes ivres. Reniflant l’odeur de l’eau-de-vie de prune qui persistait dans la cour, ils se sont mis à fouiller la cave, mais ce fut en vain. »
En 1917, ce fut la débâcle. Les idées de la révolution de 1917 ayant gagné l’armée russe aussi, tout risquait de virer au chaos. En raison de ses convictions nationalistes, le père d’Ioan Odochian avait choisi de déserter l’armée austro-hongroise. Dans une interview de 2001, Odochian racontait les souvenirs de son père sur l’endoctrinement des troupes russes : « Au moment de la Révolution russe, le front se trouvait en Galice. Déserteur de l’armée austro-hongroise, mon père a fui le front. Lui, il était d’un côté du front, les Russes de l’autre. Un beau matin, racontait-il, les soldats russes, campés sur une colline, s’étaient rassemblés autour d’un officier qui tenait un discours. Réputés fort croyants, ils amenaient avec eux des livres de prières, en première page desquels s’étalait la photo du tsar. Or à la fin du discours, tous les soldats se seraient mis à déchirer le portait du tsar. Mon père me répétait sans cesse que les Russes n’avaient ni foi ni loi. »
En 1996, le professeur Pan Vizirescu racontait lui aussi ses souvenirs sur les soldats russes présents en Roumanie et sur la fièvre bolchevique qui s’était emparée de l’armée russe : « Je voyais partout dans les rues des déserteurs, des ivrognes, des querelleurs. J’en ai parlé au poète Buzdugan, originaire de Bessarabie, qui maîtrisait le russe aussi. Il m’a raconté qu’un soir, en entrant dans une guinguette du quartier Nicolina de la ville de Iaşi, il était tombé sur un groupe de soldats russes. A les entendre parler, il s’était rendu compte qu’ils manigançaient l’assassinat du roi Ferdinand. Buzdugan a tout relaté à Nicolae Iorga, lequel en a mis le roi au courant. Ce dernier a par la suite pris des mesures pour empêcher l’attentat. Il paraît que, dans le cas d’un général de Bacău ou de Piatra Neamţ, ils étaient parvenus à mettre en œuvre leurs intentions criminelles. Tout le monde était au courant du désordre semé par les Russes et du fait que les bolcheviks essayaient de gagner nos soldats à leur cause. Heureusement, l’armée roumaine est restée dévouée au pays ».
La présence russe en Roumanie pendant la Grande Guerre fut contradictoire : d’une part positive, grâce à sa contribution au succès militaire, de l’autre négative, pour avoir mis en danger tout ce qui avait été obtenu au prix d’immenses sacrifices. (trad. : Mariana Tudose)