Les rites de Nouvel An
Sans égard pour la langue, la culture ou le fuseau horaire, la nuit qui marque le passage à la nouvelle année est un moment particulièrement festif pour tout un chacun. Que ce réveillon soit passé en famille, entre amis ou, tout simplement, à la belle étoile, il nen reste pas moins quil demeure toujours un moment privilégié, une occasion de faire la fête et de se réjouir. Dans certaines régions de Roumanie pourtant, les traditions anciennes gardent entier leur pouvoir de séduction, et se perpétuent de la sorte, de génération en génération, faisant fi de lacception moderne de lexpression « faire la fête ». Selon ce rituel, le repas de Nouvel An se rapproche de son acception sacrée. Sabina Ispas, directrice de lInstitut dethnographie et de folklore « Constantin Brăiloiu » de Bucarest, détaille au micro de Radio Roumanie :
Monica Chiorpec, 28.12.2020, 13:34
Sans égard pour la langue, la culture ou le fuseau horaire, la nuit qui marque le passage à la nouvelle année est un moment particulièrement festif pour tout un chacun. Que ce réveillon soit passé en famille, entre amis ou, tout simplement, à la belle étoile, il nen reste pas moins quil demeure toujours un moment privilégié, une occasion de faire la fête et de se réjouir. Dans certaines régions de Roumanie pourtant, les traditions anciennes gardent entier leur pouvoir de séduction, et se perpétuent de la sorte, de génération en génération, faisant fi de lacception moderne de lexpression « faire la fête ». Selon ce rituel, le repas de Nouvel An se rapproche de son acception sacrée. Sabina Ispas, directrice de lInstitut dethnographie et de folklore « Constantin Brăiloiu » de Bucarest, détaille au micro de Radio Roumanie :
« Le rituel du Nouvel An suit une série dactions de nature cérémoniale, bien que festives. Prenons le rituel de la « sorcova », très prisé par les petits, qui vont souhaiter, à laide dun rameau fleuri, utilisé en guise de baguette magique, le bonheur à leurs proches, en prononçant une sorte dincantation versifié, dont les vers sont hérités de génération en génération. Même chose au sujet de la cérémonie du Pluguşor, pratiquée par les jeunes hommes mariés du village, avec sa version pour les enfants, qui se déplacent en groupe, de foyer en foyer, pour prononcer des vœux, censés assurer la protection du foyer et de ses hôtes, et la richesse de la récolte au printemps. Ces rituels font partie de la famille de ce que lon appelle les « colinde » (cantiques populaires), censés chasser la peur, la malédiction et le péché, et qui, dans certaines régions, ne prennent fin que le 7 janvier, à la Saint Jean. »
Dans certaines régions reculées, à la campagne notamment, les gens croient encore dans les vertus particulières du jour de lAn, perçu comme un moment qui permet un accès plus aisé au divin, au miracle, à lau-delà. Et, en effet, selon la tradition, il sagit dun moment charnière, dun temps suspendu, chargé de pouvoirs magiques, aussi bien pour lindividu, que pour la communauté dans son entièreté. Sabina Ispas :
« Pour les gens, lors des fêtes de Noël et du Nouvel An vécues dans la tradition, cest comme si les cieux souvraient. Cela renvoie au concept de théophanie, selon lequel la volonté divine se manifeste, devient compréhensible et accessible. A ce moment, le divin descend sur terre, se répand, se fait connaître aux êtres humains. Ce sont des instants particuliers, lors desquels les hommes peuvent connaître la volonté divine, ce que présage la nouvelle année, qui vient de commencer. Les gens perçoivent cela non pas comme une sorte de sorcellerie ou de magie, mais véritablement comme un message qui leur est transmis par Dieu lui-même, et qui leur devient accessible, lisible et compréhensible. »
Si de nos jours lon chasse lannée qui vient de sachever à coups de feux dartifices, cétait par le bruit des fouets qui claquaient, maniés adroitement par les jeunes des villages, que lon chassait autrefois lannée qui brulait ses derniers feux. Les cris aigus que lon entendait à loccasion avaient par ailleurs pour fonction de rétablir, pour lannée qui venait de commencer, les rapports déquilibre entre les hommes. Delia Şuiogan, ethnologue à lUniversité de Nord de Baia Mare :
« Une coutume bien suivie autrefois était de produire ces cris aigus que lon entendait de loin, à travers le village. Cette coutume visait les jeunes filles et les jeunes hommes en âge de se marier, et qui ne létaient pas encore. Daucuns pensaient que ce rituel avait pour objectif de tourner en ridicule, voire de punir ces jeunes gens qui tardaient à prendre leurs responsabilités. Il nen est rien. Mais il sagit en effet dun rituel censé les pousser à prendre leurs responsabilités. Car, dans les communautés traditionnelles, il fallait se ranger à temps. Sécarter du chemin tracé signifiait mettre en danger la communauté dans ses fondamentaux. Il sagit donc dun rituel voué à défendre la communauté. Toujours au Nouvel An, lon remarque le rituel du pardon universel. Ceux qui sétaient disputés devraient se pardonner, en se serrant les mains au-dessus du pain béni à Noël. Au fait, il sagit de rituels qui témoignent dun désir de concorde, de faire la paix, de rétablir lunité de la communauté. Par lintention qui les sous-tende, il sagit dactes éminemment positifs et, au demeurant, très beaux dans leur expression. »
Quoi quil en soit, les cérémonies qui accompagnent le passage dune année à lautre ont un double rôle. Il sagit tout dabord, en quelque sorte, d« enterrer » lannée qui vient de sachever, ensuite de fêter la naissance de la nouvelle, de léternel recommencement. Les masques quenfilent les joueurs des « colinde » protègent de laction des esprits maléfiques. Danciennes « colinde » renvoient par ailleurs à des rituels de fertilité ancestraux. En Bucovine, les jeunes gens qui vont chanter les « colinde », se déplaçant de maison en maison, vont dabord enfiler des costumes représentant des personnages ou des créatures fantastiques. Parfois les villageois les suivent et forment ensemble une sorte de cortège de carnaval, qui passe au milieu du village, avant de sarrêter aux portes pour chanter les « colinde ». Et le cortège se pare alors dun air joyeux, parfois loufoque, sinon carrément exubérant.
Certes, fin 2020, les cortèges de Nouvel An seront sans doute bien moins étoffés que de coutume, pandémie oblige. Il nen reste pas moins que les ressorts intimes de ces traditions millénaires vont demeurer les mêmes. Pourvu que ça dure.
(Trad. Ionuţ Jugureanu)