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Les révoltes ouvrières de 1987 à Braşov

Dans les années 1980, la crise de l’économie et celle du système communiste avaient atteint leur paroxysme. En Roumanie, tout était amplifié par l’ambition de Nicolae Ceauşescu de rembourser la dette extérieure du pays, ce qui alourdissait encore plus le fardeau sur les épaules de la population. La crise économique s’était traduite par la rationnement des denrées alimentaires de base et de l’électricité. Toutes ces privations étaient douloureusement ressenties par la population, alors que la nomenklatura menait une vie d’opulence et de privilèges.

Les révoltes ouvrières de 1987 à Braşov
Les révoltes ouvrières de 1987 à Braşov

, 20.11.2017, 13:37

C’est cette politique d’austérité poussée à l’extrême qui allait engendrer des mouvements de protestation, et ce malgré le système répressif. La tension latente allait éclater au grand jour le 15 novembre 1987. Dans la nuit du 14 au 15 novembre, aux Usines de camions « Steagul Roşu » (« Le Drapeau rouge »), plus précisément dans la section 440 où l’on fabriquait des matrices, un conflit de travail s’est déclenché entre les ouvriers et leurs chefs. L’étincelle qui avait enflammé les esprits avait été la baisse drastique des salaires, alors que la presse communiste annonçait avec satisfaction la réalisation du plan quinquennal. Le 15 novembre devaient avoir lieu les élections pour les Conseils locaux, en fait un simulacre d’élections, car les gagnants étaient connus d’avance. Après des altercations avec la direction de l’usine, pendant lesquelles plusieurs personnes avaient été molestées – dont le chef de section, le secrétaire du parti, le directeur et le président du syndicat – près de 200 ouvrires habillés de leur bleus de travail et brandissant le drapeau tricolore se sont mis en marche dans les rues de la ville en direction des locaux de l’organisation départementale du Parti communiste roumain. Ils scandaient des slogans tels « Donnez-nous notre argent! », « A bas le dictateur, à bas les salauds! », « A bas Ceauşescu! », « A bas le PCR! » En route, nombre de passants et d’ouvriers des usines « Tractorul » se sont joints à eux. Finalement, quelque 15.000 protestataires sont arrivés au centre-ville, devant les locaux de l’organisation du parti, qu’ils ont saccagés. Ils ont détruit les portraits de Ceauşescu et ses livres.

Les forces de répression sont vite intervenues. Trois centaines de manifestants ont été arrêtés. Les Roumains ont eu vent des événements de Brasov en écoutant Radio Free Europe, qui émettait depuis l’Allemagne fédérale. De tels événements n’étaient pas mentionnés par la presse de ces temps-là, strictement contrôlée par le régime communiste de Bucarest.

Dans une interview accordée au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, en 1997, le journaliste Mircea Carp racontait comment ces protestations avaient débuté : « Ce que j’attendais, moi, depuis longtemps, c’était un changement fondamental en Roumanie – pas nécessairement par des moyens violents, mais, si possible, par des évolutions pareilles à celles qui avaient eu lieu dans d’autres pays. Pour nous, cette attente a atteint un point culminant, mais fulgurant, avec la révolte de novembre 1987 à Braşov. J’étais au bureau quand j’ai reçu la nouvelle qu’une émeute avait éclaté en Roumanie, à Braşov, et que les ouvriers étaient descendus dans la rue. Selon les règles instituées à la radio – non seulement à Radio Free Europe, mais aussi à La Voix de l’Amérique et dans tous les médias, en général – on ne pouvait diffuser une info que si elle était confirmée par deux sources. Or, l’information sur ce qui se passait à Braşov nous était parvenue d’une seule source, mais cette source était très importante et très sûre. Vlad Georgescu, à l’époque directeur du département roumain de Radio Free Europe, et moi, qui présentais le programme politique, nous avons décidé de la diffuser quand même, car le lendemain cela aurait été trop tard. »

Un autre journaliste de Radio Free Europe, Emil Hurezeanu, se rappelait en 1999, de quelle façon il avait apporté à la rédaction la nouvelle du soulèvement des ouvriers de Braşov contre l’exploitation à laquelle ils étaient soumis par le régime communiste : « C’était un soir de novembre, je me souviens que c’était une fête à Munich, en Bavière catholique, et je préparais avec Vlad Georgescu le programme politique. Vlad Georgescu me dit d’aller vite de l’autre côté du Parc Anglais, qui est immense, jusqu’au consulat américain – une forteresse aussi bien gardée que le siège de Radio Free Europe – car ils avaient une enveloppe pour nous. Le temps était gris, il pleuvait, le soir tombait, il ne m’était jamais arrivé d’être envoyé chercher au Consulat américain une enveloppe d’une certaine importance pour ce qui allait suivre. J’ai vite parcouru la distance qui nous séparait du consulat et j’ai reçu une enveloppe scellée que j’ai remise à Vlad Gerogescu. Il l’a ouverte, a lu le contenu et m’a dit : «Il y a d’amples protestations à Braşov ». Ça se passait le soir du 15 novembre, c’était un dimanche. La nouvelle venait de Bucarest et elle était arrivée au consulat américain par courrier diplomatique. Il s’agissait du reportage chiffré d’un correspondant de presse qui s’était rendu à Braşov et qui avait été chassé en même temps que les protestataires. Bien sûr, nous avons privilégié cette nouvelle, nous l’avons diffusée et nous avons été les premiers à parler de ce qui se passait au pays. Dans les heures et les jours suivants, nous avons reçu beaucoup d’informations, y compris d’une habitante de Braşov partie avec son enfant en Belgique et qui avait participé à la grève. Et bien sûr, nous avons donné à l’histoire de Braşov une envergure internationale, car nous étions en contact avec des journalistes étrangers. »

Le 3 décembre 1987, dans un silence absolu de la part du régime, commençait le procès des 61 personnes qui s’étaient trouvées à la tête des protestataires. A part la torture physique et psychique à laquelle ils ont été soumis, ils ont été considérés comme de houligans et des déchus. Des peines de prison ferme allant de 3 à 5 ans ont été prononcées à leur encontre et ils ont été obligés d’aller s’installer dans une autre ville. Un cas à part a été celui de l’ouvrier Vasile Vieru, père de 5 enfants, qui, 9 mois après le procès, succombait au supplice infligé pendant sa détention.(Trad. : Mariana Tudose, Dominique)

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