Les prisonniers de guerre roumains, morts en l’URSS
La fin de la Deuxième guerre mondiale s’est achevée avec l’occupation soviétique de la moitié est de l’Europe, et donc avec l’occupation de la Roumanie. Le conflit qui avait opposé la Roumanie à l’Union soviétique s’est soldé par des centaines de milliers de victimes du côté roumain, tandis que d’autres dizaines de milliers de militaires roumains allaient trouver leur fin dans les camps de prisonniers soviétiques. Pour recouvrer la mémoire des disparus du front de l’Est, l’Ambassade de Roumanie à Moscou vient de publier la liste des prisonniers roumains morts dans les camps soviétiques. Parmi ceux-ci, de nombreux civils, identifiés comme tels dans les archives russes.
Steliu Lambru, 27.07.2020, 14:02
Vasile Soare, l’ambassadeur de Roumanie à Moscou, avait personnellement mené l’investigation qui s’est achevée par l’identification nominale des victimes : « C’est dans la semaine précédant les fêtes de Pâques que nous, l’ambassade roumaine de Moscou, avons réussi à acter cette première dans l’historiographie roumaine, en publiant la liste intégrale, tous les noms des prisonniers roumains de guerre, mais aussi des détenus civils, qui avaient trouvé leur fin dans l’ancienne URSS, et que nous avons réussi à identifier dans les archives russes. Leurs dépouilles se trouvent à proximités des camps. Ils sont morts entre 1941 et 1956. Il s’agit de 20.718 victimes roumaines, dont des militaires pour la plupart. »
Cela a représenté le résultat d’un effort de recherche soutenu, étendu sur plus d’une décennie. Vasile Soare détaille sur les ondes de Radio Roumanie le statut des prisonniers et l’origine des chiffres : « Nos recherches ont duré dix ans. Une première liste avait déjà été publiée l’année passée, elle comprenait plus de dix mille noms. A cette liste vient de s’ajouter une deuxième, comprenant plus de 11.000 noms. Nous ne parlons ici que des prisonniers de guerre, nous ne parlons pas de ceux qui sont tombés sur le front, à Stalingrad ou ailleurs. Il s’agit donc des survivants, de ceux qui ont été capturés par l’armée soviétique et qui sont ainsi devenus des prisonniers de guerre. Pourtant, parmi ces prisonniers morts en captivité l’on retrouve des civils. Il s’agit en l’occurrence des membres de la minorité allemande de Roumanie, déportés en janvier/février 1945. C’est à ce moment-là, peu avant la fin de la Deuxième guerre mondiale, que l’Armée rouge avait fait déporter un nombre important de membres de l’ethnie allemande de toute l’Europe centrale et de l’Est, des gens qui vivaient depuis des générations dans ces pays. Pour ce qui est de la Roumanie, il s’agit de près de 70.000 personnes, dont près de 8.000 sont morts en captivité. »
Beaucoup d’éléments inconnus ont été laissés en héritage à la postérité suite aux actions menées par les Soviétiques pendant les années troubles de la guerre. Vasile Soare raconte l’odyssée terrible vécue par les prisonniers roumains de l’URSS dans les années 40 : « Les premiers prisonniers sont arrivés dès 1941, alors que la plupart d’entre eux seront fait prisonniers l’année suivante, en 1942. Il s’agit de plus de cent mille militaires, un chiffre énorme. Mais d’autres prisonniers arrivent même après la date du 23 août 1944, lorsque la Roumanie a demandé l’armistice, voire même après le mois d’octobre 1944, bien après la signature de l’armistice. Selon nos estimations, il s’agirait d’un total de 236.000 prisonniers de guerre roumains. Des ceux-là, il semblerait que 65.000 sont morts dans les camps. Aujourd’hui, en prenant appui sur les archives soviétiques, nous avons identifié 21.000 victimes. Les prisonniers faits suite aux grandes batailles déroulées entre novembre 1942 et mars/avril 1943, lors de la bataille de Stalingrad et de la bataille du Don, n’avaient pas été enregistrés à leur arrivée dans les camps soviétiques. Il s’agit donc de dizaines de milliers de gens qui n’ont jamais été enregistrés. D’où cette différence entre nos estimations et le nombre des victimes identifiées nommément. Mais, quoi qu’il en soit, par rapport aux statistiques soviétiques officielles, qui ne font état que de 15.435 militaires roumains morts dans les camps dans l’URSS, nous avons pu dénicher d’autres dans les archives russes, pour arriver ainsi à ce total de 20.718 prisonniers identifiés, morts dans les camps soviétiques. »
Les noms des 40.000 autres victimes roumaines mortes dans les camps soviétiques sont demeurés inconnus, reconnaît Vasile Soare. Il parle du travail harassant que demande la recherche dans les archives : « La plus grande difficulté c’est de déchiffrer l’écriture. Car tout avait été consigné à la main, les militaires soviétiques travaillant dans les camps orthographiaient les noms des prisonniers ainsi qu’ils le comprenaient, donc d’une manière très approximative. D’où, beaucoup d’erreurs de transcription, et déchiffrer les noms des prisonniers, c’est cela qui a été le plus dur. Nous avons envisagé de publier cette liste des noms à Noël 2019. En 2019, l’on avait marqué 75 ans depuis la fin de la guerre. On n’y est pourtant pas parvenu, les recherches n’étaient pas encore achevées. »
Les listes publiées reprennent les noms, les prénoms, les initiales des noms des pères des victimes, les dates de naissance, mais également le nom du camp de prisonniers où les victimes avaient été internées et, enfin, la date du décès. Dans une annexe, on retrouve les noms de tous les camps d’internement, les noms des hôpitaux qui appartenaient à l’NKVD et des bataillons disciplinaires de travail où avaient été enfermés les civils déportés. Depuis la parution des listes, beaucoup ont pu retrouver, émus, les noms de leurs aïeuls ou de leurs grands-pères. Mais l’Ambassade de Roumanie à Moscou mène aujourd’hui une campagne de récupération de la mémoire des lieux où les prisonniers roumains ont trouvé la mort il y a près de 80 ans. Jusqu’à présent, 34 monuments ont ainsi été érigés par les soins de l’ambassade roumaine sur le territoire de la Fédération de Russie. Et si la mémoire de certains endroits, où les prisonniers roumains de guerre ont trouvé la fin, a été perdue, d’autres ont pu être identifiés, formant ainsi la carte du panthéon roumain de cette terrible guerre. (Trad. : Ionuţ Jugureanu)