Les politiques roumaines de coopération et les boursiers des pays en voie de développement
La Roumanie socialiste lança des vastes programmes de bourses destinés aux étudiants des Etats partenaires des pays en voie de développement.
Steliu Lambru, 05.11.2023, 11:59
Le vent de liberté qui a commencé à
souffler à travers le monde après la fin de la Seconde Guerre mondiale et le
processus de décolonisation enclenché peu après a modifié la carte du monde et
la géopolitique des relations internationales. En partant d’Afrique, en passant
par l’Océanie, l’Asie et jusqu’en Amérique latine, les anciens empires
coloniaux ont laissé la place à une myriade de nouveaux Etats indépendants,
représentant la volonté de leurs nations. Dans le contexte de la guerre froide,
ces nouveaux Etats se sont laissés tenter d’adopter par des voies différentes de
développement, souvent dans une volonté affichée de se démarquer de l’ancienne
puissance coloniale. Le bloc socialiste ne pouvait pas laisser passer sans
réagir l’opportunité de se faire de nouveaux alliés parmi ces Etats
nouvellement apparus sur la scène internationale. Et la Roumanie socialiste,
membre du bloc communiste, prit forcément sa part dans la constitution de
nouveaux équilibres. La Roumanie, occupée par l’Armée rouge à la fin de la
guerre et dirigée depuis 1945 par le parti communiste, devenu de facto parti
unique en 1947, avait suivi à la lettre les directions de Moscou en matière de
politique étrangère pendant la première décade de son régime communiste. Ce n’est
qu’à partir de 1960 que la Roumanie commence à chercher sa voie propre en matière
de politique étrangère, et c’est dans le développement des relations privilégiés
avec les pays en voie de développement qu’elle trouvera une manière pour sortir
du lot. A l’époque, si le Sud global était assoiffé d’investissements, il était
surtout demandeur de compétences, cherchant à constituer une élite
administrative et de cadres qui soient capables de diriger ces pays récemment libérés
de la tutelle des anciennes puissances coloniales. La Roumanie socialiste lança
alors des vastes programmes de bourses destinés aux étudiants des Etats
partenaires des pays en voie de développement.
Aussi,
dans un rapport rédigé par les experts du ministère des Affaires étrangères de
Bucarest en 1961, l’octroi des bourses d’études aux étudiants en provenance de
ces pays avait été identifié comme un moyen privilégié pour accroître l’influence
de la Roumanie dans ces pays. A partir de là, le parti communiste roumain
développa une stratégie de ce que l’on appellerait aujourd’hui une politique de
soft power à destination de ces Etats du sud à travers le développement des
relations culturelles et éducationnelles. Mais l’historien Ștefan Bosomitu, qui
s’est plongé à corps perdu dans les archives roumaines de l’époque, affirme que
les premières pierres de cette politique d’influence avaient été posées dès la fin
des années 1940.
« Ces
programmes ont débuté assez tôt, dès le début des années 1950, et se sont
poursuivis jusqu’à la fin du régime communiste, fin 1989. Mais au début, dans
les années 1950, les bourses accordées étaient peu nombreuses. Elles étaient
réservées à certains activistes communistes, membres des mouvements
indépendantistes des pays du Tiers monde ou de divers partis frères. Il y avait
aussi des réfugiés, tels les étudiants communistes grecs, qui avaient dû
quitter leur pays après l’issue de la Guerre civile grecque, et qui s’étaient
réfugiés dans les autres pays socialistes de la région. Ensuite, les étudiants
coréens. »
Ce
n’est qu’après 1970, que les bourses d’études accordées par le gouvernement de
la Roumanie socialiste s’orientent résolument vers l’Afrique. Il s’agissait en
moyenne de 250 bourses universitaires, accessibles par l’intermédiaire des
représentances diplomatiques de la Roumanie dans la région. Mais l’historien
Ștefan Bosomitu rappelle que même si le budget alloué était destiné en priorité
aux étudiants qui suivaient des études universitaires et post universitaires,
le système roumain des bourses subventionnées ratissait bien plus large :
« Il
y avait, certes, d’une part, les bourses destinées aux études universitaires et
post-universitaires, auxquelles était alloué entre 80 et 90% du budget
disponible. Mais il y avait aussi des bourses pour certaines écoles
professionnelles et aux lycéens. Malheureusement, les sources disponibles sont
assez pauvres. On se fie souvent aux témoignages oraux pour reconstituer le programme
de ces bourses. Il y avait ainsi des bourses de 3 années pour des élèves qui suivaient
certaines formes de l’enseignement professionnel. Dans la ville de Moinesti par
exemple, dans le lycée technique de la ville étaient formés les futurs techniciens
africains qui allaient travailler sur les plateformes pétrolières ».
Les bourses
offertes par le gouvernement de la Roumanie socialiste étaient assez convoitées.
Les candidats ne manquaient jamais, d’autant que le financement couvrait, du
moins au début, car ensuite les choses se sont progressivement gâtées, aussi
bien les frais de scolarité que les frais nécessaires aux étudiants boursiers pour
mener une vie décente pendant leurs études en Roumanie. Mais même lorsque les
frais de scolarités n’étaient plus couverts par le gouvernement roumain, la
demande demeurait forte. De toute manière, ces frais de scolarité demeuraient
raisonnables. Aussi, en 1963, la Roumanie comptait mille étudiants étrangers,
presque sans exception boursiers. Les années 70 marquent un tournant. Leur
nombre augmente de manière conséquente. En 1981, la Roumanie socialiste comptait
pas moins de 20 mille étudiants étrangers. Ils payaient leurs frais de
scolarité en devises, et cela représentait une source importante de rentrée de
devises pour le régime. Le régime de Nicolae Ceausescu avait besoin de ces
rentrées en devises alors qu’il avait accéléré le règlement de sa dette
extérieure et dans le contexte d’une crise économique sans précédent.
Les étudiants
étrangers bénéficiaient par ailleurs d’un régime singulièrement favorable,
étant souvent perçus comme de véritables nantis par leurs collègues roumains. En
effet, les étudiants étrangers bénéficiaient de conditions d’hébergement bien
meilleures que leurs collègues roumains. Et alors que les Roumains n’avaient
pas le droit de détenir ou d’échanger des devises, les étudiants étrangers non
seulement y avaient droit, mais ils avaient encore accès à un réseau d’approvisionnement
spécialement conçu pour les détenteurs de devises, dans lequel des produits qui
remplissaient les étalages n’étaient accessibles aux Roumains que sur le marché
noir. Une situation qui ne pouvait pas ne pas faire des jaloux. L’historien Stefan Bosomitu a eu l’occasion d’interviewer bon
nombre d’étudiants étrangers de l’époque pour comprendre leur ressenti sur leur
expérience roumaine. Ștefan Bosomitu :
« Relisant
ces récits, l’on observe une tendance à idéaliser le passé. Les étudiants
africains parlent aussi de l’étonnement que leur couleur de peau provoquait
parmi des gens qui n’étaient pas habitués à croiser des étrangers, à plus forte
raison des étrangers en provenance d’autres continents. Certains se signaient
sur leur passage. L’on remarque cette image d’une société figée dans un passé
où l’étranger est une sorte de bête curieuse. »
Le vécu de ces
étudiants étrangers durant leur études roumaines demeure encore une page blanche
que les historiens devront remplir dans les années à venir. (Trad. Ionut jugureanu)