Les minorités ethniques de la Grande Roumanie
La cohabitation de ces communautés avec les Roumains majoritaires était régie tant par la loi que par les coutumes et les usages. Malheureusement, près d’un demi-siècle durant, en raison de l’histoire tourmentée du 20e siècle, les rapports entre population majoritaire et minoritaire ont connu maints avatars, allant de la tolérance au génocide.
România Internațional, 30.10.2017, 13:02
L’historien Ioan Scurtu passe en revue ces rapports tels qu’ils se sont manifestés en Roumanie, dans la première moitié du 20e siècle, plus précisément jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. A quelques exceptions près, les Roumains ont entretenu de bonnes relations avec les ethniques minoritaires. Ioan Scurtu explique les circonstances dans lesquelles a été conclue la paix mettant fin à la Grande Guerre : « La Conférence de paix de Paris, des années 1919-1920, a décidé de respecter le principe national. En clair, les nouveaux pays nés sur les ruines de l’Empire des Habsbourg et de celui des tsars allaient devenir autant d’entités nationales. La réalité a toutefois démontré l’impossibilité de créer un Etat pur d’un point de vue ethnique. A l’instar des autres Etats, la Roumanie a dû englober dans sa structure des minorités nationales, il est vrai, moins nombreuses que celles de pays tels la Tchécoslovaquie, la Pologne ou la Yougoslavie. Plusieurs minorités ethniques se sont établies, au fil du temps, sur le territoire de la Roumanie actuelle et de celle de 1918. Pendant la domination ottomane, qui s’est étendue de 1417 à 1878, la contrée de Dobroudja (sud-est) a été colonisée par des Turcs, des Tartares et des Bulgares. Dans la province de Bessarabie, l’Empire russe a emmené des colons russes, juifs, ukrainiens, bulgares et gagaouzes. Enfin, la Transylvanie a été colonisée de Saxons et de Sicules, tandis que des Allemands, des Juifs et des Ukrainiens sont arrivés en Bucovine. Bref, une structure nationale complexe. Les Roumains ont accepté d’accueillir des minorités persécutées dans leur pays d’origine. C’est le cas des Juifs, victimes de véritables pogroms organisés en Pologne ou en Russie. Dans cette mosaïque, une minorité nationale ne comptait même pas pour 10% de la population ».
Une des minorités à avoir fait l’objet de disputes a été la minorité magyare. Ioan Scurtu a détaillé le problèmes des « optants » de Transylvanie: « Entendez par optants les Magyars de souche vivant en Transylvanie auxquels le traité de Trianon a conféré le droit d’opter pour la nationalité hongroise et qui ont déménagé en Hongrie. La réforme agraire de Roumanie a entraîné l’expropriation des grands propriétaires terriens, roumains, mais aussi magyars. Leurs terres ont été distribuées tant aux paysans roumains qu’à ceux appartenant aux minorités nationales. Se considérant lésés dans leurs droits, les optants ont introduit une action en justice contre l’Etat roumain, avec l’appui du gouvernement de Budapest, et déposé plainte auprès des Nations Unies. Ce n’était en fait qu’une modalité dont le gouvernement hongrois s’était servi pour agiter les esprits et faire croire aux Européens qu’il y avait un problème en Transylvanie. La Convention de La Haye de 1932 allait décider que les optants reçoivent des dédommagements de la part de Budapest, les sommes respectives devant être déduites du montant que la Hongrie avait à verser à la Roumanie à titre de dette de guerre ».
La minorité ethnique bulgare a constitué un autre exemple d’exception à la règle de bonne cohabitation, précise l’historien Ioan Scurtu : « Après le Traité de Bucarest, de 1913, qui mettait un terme à la seconde guerre balkanique, la Roumanie a annexé les deux comtés connus sous le nom Quadrilatère, habités par une importante communauté bulgare. Dans cette région du sud de la Dobroudja, aucune population n’était majoritaire, qu’il s’agisse des Roumains, des Bulgares ou des Turcs. On avait donc affaire à une mosaïque d’ethnies. Seulement voilà, les Bulgares ont prétendu que non seulement le Quadrilatère, mais la Dobroudja tout entière aussi devait leur appartenir. Pour alimenter l’esprit revendicatif, ils ont fait appel aux paysans bulgares. Le Parti communiste bulgare a lui aussi mené une campagne de propagande, par le biais de la IIIe Internationale et dans laquelle Gheorghi Dimitrov a joué un rôle de premier ordre. Il y avait convergence d’intérêts entre les révisionnistes hongrois et bulgares, car ils visaient tous le démantèlement de l’Etat roumain, ce qui allait d’ailleurs arriver en 1940. De son côté, l’Etat roumain a assuré aux différentes minorités maints droits et libertés d’expression, y compris la représentation au Parlement ».
C’est la minorité juive qui a le plus souffert à cause du climat politique de l’entre-deux-guerres. L’historien Ioan Scurtu affirme pourtant que, jusqu’au milieu des années 1930, Juifs et Roumains ont eu une cohabitation normale : « A mon avis, on a tendance à exagérer quand on parle des conflits, des pogroms etc. Moi, personnellement, je n’accepte pas l’idée – et les documents en témoignent – selon laquelle des conflits ont opposé les Juifs aux Roumains, pendant l’entre-deux guerres. C’est vrai qu’après 1934-1935 le courant nationaliste s’est intensifié, avec la montée de l’extrême droite et surtout l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. Ce courant envisageait à consolider la nation roumaine et à éliminer les minorités, affirmant que la Roumanie devait appartenir aux seuls Roumains. Ce qui allait se passer dans les années ’40 ne s’inscrivait plus dans la logique d’une évolution naturelle de la société roumaine. En 1941, le régime du maréchal Antonescu a adopté un plan d’actions visant à exterminer les Juifs. Ce sont là les actes les plus condamnables de ce gouvernement, qui a ordonné la déportation en Transnistrie des Juifs de Bucovine et de Bessarabie, sans justification aucune ».
Pour conclure, disons que, durant l’entre-deux-guerres, les relations de la population roumaine majoritaire avec les minorités nationales ont été plutôt normales, excepté certains dérapages, bien évidemment.