Les fortifications de Bucarest
Jusqu’à la moitié du 19e siècle, à l’instar d’autres villes de l’espace qui s’est trouvé pendant des siècles sous la domination de l’Empire ottoman, Bucarest ne disposait pas de fortifications. L’art militaire et la philosophie de guerre du 19e siècle exigeaient qu’une ville stratégique, une capitale, soit dotée d’un système de défense contre l’ennemi. C’est ainsi qu’est née l’idée de fortifier Bucarest, devenu centre politique et administratif de la Roumanie suite à l’union, en 1859, des principautés roumaines de Valachie et de Moldavie.
Steliu Lambru, 07.11.2016, 12:56
Jusqu’à la moitié du 19e siècle, à l’instar d’autres villes de l’espace qui s’est trouvé pendant des siècles sous la domination de l’Empire ottoman, Bucarest ne disposait pas de fortifications. L’art militaire et la philosophie de guerre du 19e siècle exigeaient qu’une ville stratégique, une capitale, soit dotée d’un système de défense contre l’ennemi. C’est ainsi qu’est née l’idée de fortifier Bucarest, devenu centre politique et administratif de la Roumanie suite à l’union, en 1859, des principautés roumaines de Valachie et de Moldavie.
Nous remontons le fil de l’histoire avec Sorin Cristescu, professeur à l’Université bucarestoise «Spiru Haret» :
« Cette idée se fait jour dès l’époque d’Alexandru Ioan Cuza (1859-1866), le premier prince régnant des deux principautés réunies. Il souhaite fortifier Bucarest, mais les moyens lui manquent. Le roi Carol I allait reprendre cette idée après la guerre d’indépendance de 1877-1878. Grâce à ses relations privilégiées avec la Belgique, Carol réussit à faire venir en Roumanie, par le biais d’une invitation personnelle, le général Henri Alexis Brialmont, spécialiste de ce genre de constructions. Le général avait érigé en Belgique des fortifications similaires, d’une très bonne qualité. La forteresse d’Anvers en est un exemple. On procéda donc à la construction de ces fortifications, qui comportaient 18 forts, situés à une quinzaine de km de distance, sur 72 km autour de la ville. Des batteries intermédiaires, dotées de canons de 57 millimètres, avaient été installées, tous les deux kilomètres. »
Cette ceinture de forts de la capitale, considérée d’une grande importance stratégique, fut donc confiée au général belge. Sorin Cristescu. « La construction des fortifications a duré 17 ans. Elle a commencé en 1883 et a été considérée comme achevée en 1900 ; pourtant, certains travaux ont continué jusqu’en 1910-1911. Pour la construction proprement-dite, on a utilisé des briques habituelles. Un appel d’offre a été lancé pour 300 millions de briques. Finalement, on en a eu besoin de 500 millions. Le grand problème fut celui du choix des canons pour la coupole. Deux constructeurs étaient en compétition : le Français « Creusot » et l’Allemand « Gruson ». Ce sont les Français qui ont fini par avoir gain de cause, parce qu’ils ont affirmé que les soldats français pouvaient rester à l’intérieur, sous les tirs ennemis. Les Allemands ont refusé cette approche et ont très bien fait : ils savaient parfaitement qu’un soldat n’avait rien à chercher dans la coupole quand celle-ci essuyait les tirs ennemis. »
Trois types de forts ont été érigés autour de la capitale roumaine. Les plus puissants se trouvaient dans le nord de la ville alors que des fortifications légères ont été placées dans le sud. Sorin Cristescu explique : « Les forts de type 1 étaient ceux de Chitila et d’Otopeni, dans le nord et l’ouest. Longs de 463 mètres, ces forts étaient armés de deux canons de 150 millimètres et de deux obusiers de 210 mm. Les forts du type 2 étaient placés à Mogosoaia (nord-ouest) et à Jilava (sud). Longs de 448 mètres, ils étaient dotés de 4 cannons de 150 mm, et de trois obusiers de 210 mm. Enfin les forts du troisième type, érigés dans la partie sud, (près des localités de Pantelimon, Cernica, Catelu, Leordeni, Popesti, Berceni, Broscărei, Măgurele, Bragadiru, Domneşti, Chiajna et Tunari), étaient des forts simples, de 400 mètres, avec des murs très épais. A l’intérieur, il fait très froid, il y a beaucoup d’humidité, un environnement très propice à des maladies comme la tuberculose. Il y a aussi un fort à Stefanesti, entouré d’une tranchée inondée, large d’une cinquantaine de mètres et d’une profondeur de 6,6 mètres. A Afumati, il y a un fort unique. Les gros forts, des deux premiers types, possédaient à l’intérieur une construction circulaire appelée réduit, qui permettait aux défenseurs de continuer à combattre, même après la prise de la fortification principale par l’ennemi. Les 18 batteries intermédiaires étaient elles aussi dotées d’un canon de 150 mm et de deux obusiers de 210 mm. »
Sorin Cristescu explique combien ont coûté les forts bucarestois et s’ils avaient rempli leur mission:
« Celui qui veut avoir une forteresse véritable durant une guerre, doit prévoir de ne pas utiliser les canons dont elle est équipée durant les premières phases d’une campagne militaire. Les canons, la munition et les militaires doivent rester à l’intérieur de ces fortifications. Or, cela n’a pas été le cas. Lorsque la Roumanie est entrée dans la première guerre mondiale, avant la signature de la convention militaire et politique avec l’Entente du 17 août 1916, les rapports austro-hongrois du 8 août 1916 indiquaient le fait que les fortifications de Bucarest avaient été abandonnées. Tous les canons avaient été démontés et envoyés aux régiments déployés sur les frontières du pays, qui en avaient besoin. Dans de telles conditions, la forteresse Bucarest était devenue inutile. Les coûts de construction avaient été estimés à 111 millions de lei-or. Et si nous pensons qu’un gramme d’or coutait 3 lei et 10 bani et que le pont ferroviaire de Cernavoda avait coûté 35 millions de lei, on se rend compte que cet argent aurait pu être utilisé pour acheter des pièces d’artillerie. »
Durant la deuxième guerre mondiale, des canons antiaériens ont été installés dans certains de ces forts, pour défendre Bucarest contre les raids de l’aviation américaine. A la fin de la guerre, ces constructions ont été utilisées à d’autres buts et ont fait partie du patrimoine de différentes entreprises. A l’époque communiste, le fort 13 de Jilava a été transformé en prison politique. A l’heure actuelle, la vaste majorité de ces constructions est dégradée, abandonnée et inondée. L’accès des visiteurs n’est pas permis puisque les vestiges des forts se trouvent à l’intérieur de bases militaires et d’entreprises. Seul le Fort de Jilava est classé monument historique et accueille un musée consacré à la mémoire des détenus politiques de l’époque communiste. (Trad. Alex Diaconescu, Dominique)