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Les ethniques allemands de Roumanie après la Deuxième Guerre mondiale

La Deuxième Guerre mondiale a été l’occasion d’une reconfiguration ethnique presque totale sur le continent européen, résultat du bouleversement sans précédent provoqué par la guerre et par ses conséquences ultérieures. A l’issue de la guerre, après l’interminable désastre, les vainqueurs, tout comme les vaincus, n’ont eu de cesse de rebâtir leur économie, mais en égale mesure leur démographie. En termes démographiques, les pires pertes ont été subies par les Juifs, la plupart morts dans les camps nazis, suivis de près par les Allemands mêmes. En quelque sorte, la tragédie allemande ne semblait qu’un juste retour du bâton.

Les ethniques allemands de Roumanie après la Deuxième Guerre mondiale
Les ethniques allemands de Roumanie après la Deuxième Guerre mondiale

, 22.10.2018, 13:19

La Deuxième Guerre mondiale a été l’occasion d’une reconfiguration ethnique presque totale sur le continent européen, résultat du bouleversement sans précédent provoqué par la guerre et par ses conséquences ultérieures. A l’issue de la guerre, après l’interminable désastre, les vainqueurs, tout comme les vaincus, n’ont eu de cesse de rebâtir leur économie, mais en égale mesure leur démographie. En termes démographiques, les pires pertes ont été subies par les Juifs, la plupart morts dans les camps nazis, suivis de près par les Allemands mêmes. En quelque sorte, la tragédie allemande ne semblait qu’un juste retour du bâton.

Les ethniques allemands qui vivaient depuis des siècles en Roumanie, et qui étaient connus sous les noms de Saxons ou de Souabes, ont subi un terrible sort, à l’instar des autres communautés allemandes d’Europe Centrale et de l’Est. En effet, certains de ceux qui avaient échappé à la mort au front, de ceux qui ont échappé aux déportations forcées en Sibérie, mises en œuvre par l’Armée rouge, se sont retrouvés dans une Roumanie prisonnière des communistes installés par Moscou. De 1945 à 1989, l’exode systématique des Roumains ethniques allemands vers la République fédérale d’Allemagne a été ainsi mené jusqu’à la disparition presque totale de la communauté allemande originaire de Roumanie. Les Roumains ethniques allemands durent quitter, parfois du jour au lendemain et pour toujours, leurs biens, leur vie d’avant, leurs racines et leur passé, abandonnés au-delà du rideau de fer qui se refermait derrière eux. Mais cet exode massif s’explique tant par la politique menée par la RFA par rapport aux Allemands originaires de l’Europe Centrale et de l’Est que par le désir de l’État communiste roumain d’alors de tirer profit de cette situation. D’en tirer profit en monnaie sonnante et trébuchante.

Le sociologue Remus Anghel, spécialiste des migrations à l’Institut pour l’étude des questions nationales de Cluj et coauteur d’un ouvrage sur l’histoire de la communauté allemande de Roumanie à partir des années 30 du siècle dernier, rappelle le contexte de l’époque : « Les associations allemandes de Roumanie ont eu un rôle essentiel pour décider le gouvernement allemand à agir, en initiant un programme d’aide à l’endroit des ethniques allemands de Roumanie, par le biais des compensations financières offertes par le premier au gouvernement roumain. En fait, il existait déjà un précédent : l’accord scellé entre le gouvernement israélien et celui de Bucarest, pour faciliter la migration des ethniques juifs, depuis la Roumanie vers l’État d’Israël nouvellement créé. Au vingtième siècle, les ethniques allemands de Roumanie se trouvent en fait pris entre le marteau et l’enclume, entre Hitler et Staline. Prisonniers entre, d’une part, l’expansion de l’Allemagne nazie durant la guerre, puis de l’Union soviétique après la guerre ».

C’est que, après la guerre, près de 12 millions d’ethniques allemands originaires d’Europe Centrale et de l’Est seront forcés d’émigrer en RFA. Près d’un million sont morts en route. Il s’agit d’une tragédie collective, dont l’ampleur et la responsabilité n’ont été que tardivement comprises et assumées par l’Allemagne de l’Ouest.

Remus Anghel précise qu’en fait, la probabilité d’un départ des ethniques allemands de Roumanie était déjà prévisible pendant la guerre : « Pendant la guerre et tout de suite après se fait jour un courant de pensée au sein de la communauté allemande qui les encourage à partir. Nous, en tant que Roumains, ignorions tout de ce mouvement à l’époque. On savait qu’il existait des communautés d’Allemands en Roumanie, sans plus. Mais sachez que près de 40% des Souabes ont quitté la Roumanie ou sont morts pendant la guerre. Pratiquement, la quasi-totalité des jeunes se sont enrôlés sous le drapeau allemand, dans la Wehrmacht ou les SS, et ils sont morts ou se sont retirés en Allemagne avec le front. Les communautés allemandes de Dobroudja, de Bucovine, de Bessarabie, de Valachie et de Moldavie sont passées en Allemagne par la Pologne dès 1940, par la volonté de l’Allemagne. L’on comptait une population 750 mille ethniques allemands en Roumanie à l’entre-deux-guerres. A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il ne restait plus qu’entre 300 et 310 mille Allemands. »

L’historiographie roumaine d’après 1989 utilise le terme de « vente » des Allemands par le régime communiste lorsqu’elle parle de leur exode vers la RFA. Et, en effet, si on se fie aux sources, le prix du départ s’élevait entre 5 et 15 mille deutsche marks pour chaque ethnique allemand. La tragédie de ceux qui ne disposaient pas de ressources financières et essayaient de franchir illégalement la frontière est cependant autrement plus poignante, beaucoup d’entre eux laissant leur vie pendant la tentative. Remus Anghel n’hésite pas à parler de vol d’État lorsqu’il analyse l’époque et le contexte de ces départs : « Lorsque l’on parle de la vente d’Allemands, il faudrait regarder des deux côtés, car il y avait d’abord le point de vue allemand. Et là, faciliter aux Allemands de souche de réintégrer la mère patrie était perçu comme un devoir, une responsabilité. Il ne s’agissait pas d’un intérêt étriqué, économique, celui d’obtenir une main d’œuvre bon marché. Pas du tout. Parce qu’ils pouvaient en importer de partout, et ils ne s’en sont pas privés. Mais les ethniques allemands de Roumanie avaient souffert plus que les autres groupes ethniques pendant le communisme. Il était rare qu’une famille ne compte pas au moins un membre déporté, surtout les hommes et les femmes en âge de travailler. Et ce drame-là, nous, les autres, ne l’avons pas connu. Pour eux, c’était une tragédie. Ils ont perdu confiance, espoir, ils ont complètement abandonné le sentiment d’appartenir à cette zone où ces choses-là pouvaient leur arriver. Aussi, pour l’Allemagne, l’achat des Souabes et des Saxons était un geste réparateur. Pour l’État communiste de Roumanie, c’était en revanche différent. Ils avaient convenu des quotas, de 10, 15 mille personnes qui pouvaient émigrer par an. Or, en fait, lorsque quelqu’un demandait à émigrer, cela déclenchait tout un processus administratif, des retards bureaucratiques. Et, entre temps, cette personne perdait son emploi, elle devait vendre sa maison à des prix bradés, c’était un calvaire, c’était long et douloureux. Alors les gens préféraient trouver l’argent et payer pour contourner les quotas. Pratiquement, on extorquait les gens, les Allemands, l’État allemand pour les laisser partir. Et puis, de mon point de vue, ce n’est pas tant l’argent qui pose problème que la manière dont les gens ont été traités pendant le processus ».

Avec le départ des Allemands, installés depuis des siècles sur le territoire de la Roumanie actuelle, la Roumanie se retrouva ethniquement plus pauvre. L’histoire et la civilisation d’une communauté autrefois puissante, prospère et florissante sont parties en fumée en l’espace de quelques décennies. Une fois arrivés en Allemagne, une nouvelle vie les attendait. Une vie qui ne pouvait toutefois pas effacer la mémoire des traumas subis au XXe siècle, dans leur pays d’origine. (Trad. Ionut Jugureanu)

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