Les cartes trompeuses de la Roumanie communiste
Le régime communiste avait tout mis en
œuvre pour réduire au silence les opposants politiques. Quant à ceux qui voulaient
malgré tout de fuir le paradis sur terre, ils risquaient de perdre leur liberté,
si ce n’était pas leur vie, au moment où ils tentaient de franchir la frontière
pour gagner le monde libre. La frontière du bloc communiste, symbolisée par le
mur de Berlin, était le Rubicon que beaucoup rêvaient de pouvoir franchir à
l’époque. Mais le régime communiste employait tous les moyens pour empêcher que
cela se passe, depuis la propagande qui peignait en noir l’Occident, jusqu’aux
balles que les transfuges risquaient de prendre lors de la tentative. Pourtant,
une des méthodes moins connues que les régimes communistes de l’Est avaient
décidé d’utiliser pour empêcher leurs citoyens de quitter le pays était la
conception et la commercialisation des cartes trompeuses. Déjà au mois de
septembre 1965, lors d’une conférence des Etats membres du bloc communiste,
tenue à Moscou, il a été décidé que les cartes de ces pays contiennent des
inexactitudes et de fausses informations. Ces erreurs volontaires avaient pour
objectif de tromper les candidats transfuges, de les mener droit dans la gueule
du loup, soit entre les mains de la police politique, plutôt que vers le pays
voisin et le monde libre. La méthode était sans doute préférable aux yeux du
régime à l’emploi des balles contre ceux qui tentaient de le fuir. Ce fut
l’Allemagne de l’Est qui, la première, mit en œuvre la supercherie, grâce à la
Stasi, sa police politique. Mais la Securitate roumaine n’a pas non plus trop
tardé à mettre en pratique cette méthode.
Steliu Lambru, 28.06.2021, 11:22
Le régime communiste avait tout mis en
œuvre pour réduire au silence les opposants politiques. Quant à ceux qui voulaient
malgré tout de fuir le paradis sur terre, ils risquaient de perdre leur liberté,
si ce n’était pas leur vie, au moment où ils tentaient de franchir la frontière
pour gagner le monde libre. La frontière du bloc communiste, symbolisée par le
mur de Berlin, était le Rubicon que beaucoup rêvaient de pouvoir franchir à
l’époque. Mais le régime communiste employait tous les moyens pour empêcher que
cela se passe, depuis la propagande qui peignait en noir l’Occident, jusqu’aux
balles que les transfuges risquaient de prendre lors de la tentative. Pourtant,
une des méthodes moins connues que les régimes communistes de l’Est avaient
décidé d’utiliser pour empêcher leurs citoyens de quitter le pays était la
conception et la commercialisation des cartes trompeuses. Déjà au mois de
septembre 1965, lors d’une conférence des Etats membres du bloc communiste,
tenue à Moscou, il a été décidé que les cartes de ces pays contiennent des
inexactitudes et de fausses informations. Ces erreurs volontaires avaient pour
objectif de tromper les candidats transfuges, de les mener droit dans la gueule
du loup, soit entre les mains de la police politique, plutôt que vers le pays
voisin et le monde libre. La méthode était sans doute préférable aux yeux du
régime à l’emploi des balles contre ceux qui tentaient de le fuir. Ce fut
l’Allemagne de l’Est qui, la première, mit en œuvre la supercherie, grâce à la
Stasi, sa police politique. Mais la Securitate roumaine n’a pas non plus trop
tardé à mettre en pratique cette méthode.
Le Centre culturel allemand de Bucarest
a récemment inauguré l’expo intitulée « Fake Maps », basée sur des
documents cartographiques de l’époque, récupérés dans les archives de la Stasi
et de la Securitate. Des copies des cartes trompeuses, utilisées en RDA et dans
la République socialiste de Roumanie font partie des œuvres exposées.
Le commissaire
de l’exposition, Adrian Buga, nous explique le rôle de ces cartes inexactes : « Pour
moi, une carte est synonyme de connaissance. Parce que l’homme, dès qu’il
découvre un nouveau territoire, que ce soit sur notre planète ou sur une autre,
il va tout de suite vouloir le cartographier, l’étudier. Connaître c’est
maîtriser pour mieux pouvoir utiliser. La connaissance est donc synonyme de
pouvoir. Mais cette connaissance-là, on ne veut pas qu’elle tombe aux mains de
l’ennemi, donc on va lui en fournir une mensongère. Les gens se fient en
général aux cartes, on pense que l’information qu’elles nous livrent est
fiable. On ne se doute pas que l’information puisse être fausse, à bon escient. »
Falsifier une carte, c’est bouleverser les
repères intérieurs de l’individu, lui faire perdre le nord, explique Adrian
Buga : « Si l’on veut, on
peut dire que la carte faussée soit la marque de fabrique des régimes
totalitaires. Un tel régime doit falsifier la réalité, la vérité. Il doit
falsifier la perception que les gens ont du monde extérieur. Il faut leur
induire l’idée que tout ce qui est à l’extérieur du régime, du territoire
contrôlé par le régime, est périlleux, est à éviter. Les gens doivent vouloir
demeurer prisonniers, et pour cela il faut leur altérer la perception de la
réalité. »
Mais comment peut-on falsifier une
carte, de façon pratique ? Comment s’en prend-on pour y parvenir, et pour
livrer une information crédible de premier abord ? Adrian Buga répond :
« Il y avait les cartes étalon, des cartes topographiques, censées
fournir des informations détaillées concernant les localités, les bâtiments,
les rues, les types de sol, la différence de niveau et ainsi de suite. Seulement,
ces cartes étaient secrètes. Seules les cartes touristiques étaient publiques,
et certains éléments présents sur ces cartes étaient faux. L’on pouvait arriver
à un certain endroit, la carte à la main, et l’on saisissait qu’il y avait tout
à fait autre chose sur place que ce qui y était représenté sur la carte. Il
pouvait y avoir des différences de niveau, des cours d’eau qui n’étaient pas
repris sur la carte, et ainsi de suite. Ces cartes étaient censées dérouter une
armée ennemie, tout comme le futur candidat à l’asile politique en Occident, et
qui tentait de franchir la frontière en douce. C’est eux que le régime voulait
les voir échouer dans leurs tentatives respectives. »
Pour ce faire, la Securitate s’était servie des récits des
ceux qui avaient échoué dans leurs tentatives d’évasion du paradis communiste.
Des récits obtenus à l’occasion des interrogatoires musclés. Adrian Buga, commissaire
de l’exposition « Fake Maps », raconte: « Nous ne
disposons pas à proprement parler de cartes trompeuses. Nous disposons en
revanche de cartes que les auteurs des tentatives échouées étaient forcés de
fournir aux agents de la Securitate. Ils devaient dessiner avec précision le
trajet qu’ils avaient suivi. Et les spécialistes de la Securitate utilisaient
les informations ainsi glanées pour modifier ensuite les cartes mises en
circulation. Il s’agissait de la frontière ouest de la Roumanie, celle avec la
Hongrie et celle avec la Yougoslavie, sur le Danube. Il y en avait des
passages. Et je me souviens du livre de Nadia Comaneci, qui avait traversé la
frontière yougoslave en 1989 pour échapper au régime, et qui raconte en détail
l’aventure. Elle avait pris pour passeur un berger du coin. Malgré tout, ils
rencontraient toute sorte d’obstacles naturels inattendus, et qui n’étaient
marqués nulle part. »
Les archives communistes ont par
ailleurs livré le secret d’un autre type de carte que le régime s’empressait de
rédiger : la carte personnelle, soit une carte qui reprenait des
informations personnelles, qui concernaient l’individu et son espace privé.
Quant à ceux qui étaient visés nommément par le régime, la Securitate
s’employait à rédiger la carte de leur habitat, celui de leur famille, enfin la
carte de leurs déplacements et de leur routine quotidienne. C’étaient des
cartes de surveillance, laissant présager celles de la répression prochaine.
(Trad. Ionuţ Jugureanu)