L’Eglise orthodoxe roumaine et son approche de l’Holocauste
A l’époque, les églises chrétiennes européennes adoptaient des attitudes contradictoires à
l’égard de la population juive envoyée dans les camps d’extermination. L’Eglise
orthodoxe roumaine n’a pas dérogé à la règle, concernant les Juifs de Roumanie.
Steliu Lambru, 05.11.2018, 14:20
A l’époque, les églises chrétiennes européennes adoptaient des attitudes contradictoires à
l’égard de la population juive envoyée dans les camps d’extermination. L’Eglise
orthodoxe roumaine n’a pas dérogé à la règle, concernant les Juifs de Roumanie.
Ion Popa est l’auteur du volume « The Romanian Orthodox Church and
the Holocaust » (L’Eglise orthodoxe roumaine et l’Holocauste). Il y passe
en revue toutes les formes d’antisémitisme et le comportement de l’Eglise
orthodoxe roumaine envers les Juifs, à l’époque de l’Holocauste. « Le premier patriarche de
l’Eglise orthodoxe roumaine, Miron Cristea, a fait, en 1936 – 37, une des
déclarations antisémites les plus virulentes, ce qui lui a d’ailleurs valu d’être
nommé Premier ministre des premiers gouvernements autoritaires du roi Carol II.
En 1937, le patriarche clamait qu’« Il y a des villes et des régions
entières où plus rien n’est roumain, à part la pauvreté, la misère noire et
l’ombre des épines. On a envie de pleurer sur le sort de ce pauvre peuple
roumain, que les Juifs rongent jusqu’à la moelle. Nous défendre, ce n’est point
de l’antisémitisme. Cela relève du devoir national et patriotique. Ne pas réagir
face à cette pègre, ce serait lâche, indolent et suicidaire.» Le Saint Synode
de l’Eglise orthodoxe roumaine avait manifesté, dès cette même année, son
soutien résolu à toute politique visant l’élimination des
« étrangers », comprendre « des Juifs ». Au mois de mars
1938, le même Saint Synode interdisait aux Juifs, qui ne pouvaient apporter la
preuve de leur nationalité roumaine, de se convertir à la religion orthodoxe.
Cela se passait dans un contexte où même leur nationalité roumaine était de
plus en plus contestée.», raconte Ion Popa, auteur de l’ouvrage « The Romanian Orthodox Church and the Holocaust ».
Dans les années 1940, le gouvernement dirigé par le patriarche Miron
Cristea avait décidé de déchoir de leur nationalité roumaine plusieurs
centaines de milliers de juifs. Son successeur à la tête du patriarcat orthodoxe
ne fit ensuite que poursuivre la ligne antisémite de l’époque, explique Ioan Popa: « Après l’élection de Nicodim
Munteanu en tant que Patriarche, le Saint Synode a de nouveau voté, en 1939,
l’interdiction des conversions des Juifs qui ne pouvaient prouver leur
nationalité roumaine, introduisant aussi des contraintes sévères pour toute
conversion d’un membre de la communauté juive. Le message envoyé était sans
ambages : sauver les Juifs n’était pas du ressort de l’Eglise orthodoxe,
qui souhaitait bien par ailleurs les voir quitter le pays. Et même si, pour des
raisons politiques, les chefs de l’Eglise orthodoxe roumaine, Miron Cristea
d’abord, Nicodim Munteanu ensuite, ont refusé une alliance avec la Garde de
Fer, le parti d’extrême droite de l’époque, bien d’autres membres du Saint Synode
ainsi que des milliers de membres du clergé orthodoxe n’ont pas hésité à
soutenir ouvertement le mouvement la « Légion de l’Archange Michel »,
le bras armé du parti politique de la Garde de Fer. Aussi, les relations nouées
par les métropolites Nicolae Bălan, de
Transylvanie, et Visarion Puiu, de Bucovine, avec la même Garde de Fer, étaient-elles
notoires. Quant à l’attitude du clergé, en voici un exemple sans équivoque. Aux
élections de 1937, 33 des 103 candidats du parti d’extrême droite « Tout pour
le pays », étaient des prêtres orthodoxes. Avec la guerre qui commence en
1941 contre l’Union soviétique, pour la Roumanie débute aussi l’extermination
de la communauté juive de Roumanie. Face à cela, l’attitude de l’Eglise orthodoxe
pendule entre une indifférence coupable et une complicité criminelle. Dans
certains cas toutefois, elle aura des actes qui contribueront à sauver la vie
d’un certain nombre de juifs en danger. », précise Ion Popa
Pendant les années 1940, l’antisémitisme de l’Eglise orthodoxe roumaine
s’affichait sans complexes dans la presse, ajoute Ion Popa: « La
presse orthodoxe est devenu un véhicule de propagande d’un antisémitisme virulent.
Dans les revues de l’Eglise qui paraissaient en Bucovine, en Bessarabie et en
Transnistrie, régions où l’on a dénombré le plus grand nombre de victimes
sémites, la mort des Juifs était l’occasion de réjouissances publiques. Dans
des articles publiés entre 1941 et 1943, les Juifs étaient désignés comme
« les damnés du Christ, les enfants de Satan, errants et sans patrie pour
avoir rompu le lien avec Dieu ». D’autres articles de presse
encourageaient « à prendre le glaive et d’en nettoyer la terre ». Ces
articles de presse étaient loin d’être anecdotiques. Au mois d’avril 1942, le
patriarche Nicodim exprima en personne son antisémitisme
féroce lors du prêche intitulé « Parole pour le carême, les soldats et la
terre ». Il y parlait des « Juifs qui sont des âmes corrompues, des
mercenaires du bolchevisme, des soldats du Satan, un peuple qui s’est attiré la
malédiction éternelle, sur lui et ses fils, lorsqu’il avait mis en croix le
Fils de Dieu, notre Rédempteur ». Le prêche fut publié dans la revue
officielle du Saint Synode, au moment même où des dizaines de milliers de Juifs
étaient tués par les autorités roumaines de Transnistrie. »
Heureusement, tous les actes de la hiérarchie et du clergé n’ont pas
toujours suivi l’antisémitisme officiel. Certains prêtres ont fait de leur
mieux pour sauver des Juifs, explique l’auteur du livre« The Romanian Orthodox Church and the Holocaust ». « Le
patriarche Nicodim avait lui-même remis, en 1942, aux différentes autorités
publiques, des lettres qui lui avaient été adressées par des Juifs convertis,
mais sans plaider pour le respect de leurs droits. Quant aux Juifs non
convertis, il ne s’en est pas du tout soucié. Dans ses mémoires, Alexandru
Şafran, Grand-rabbin de la communauté juive de Roumanie, mentionne à plusieurs
occasions la personne du patriarche Nicodim et, à chaque fois, sur un ton
critique, mettant en contraste l’attitude du patriarche à celle du nonce
apostolique, Andrea Casulo, qui a
beaucoup aidé les communautés juives de Roumanie pendant l’Holocauste. Şafran
parle en revanche de manière élogieuse du métropolite de Transylvanie, Nicolae
Bălan, dont il mentionne l’intervention auprès du maréchal Antonescu, le véritable
chef de l’Etat roumain à l’époque, pour mettre un terme à la déportation de
près de 230.000 Juifs originaires de Munténie et de Moldavie vers le camp
d’extermination de Belzec (lire: Beljeţ), à l’été 1942. », a-t-il encore précisé.
Pendant les années de l’Holocauste, l’Eglise orthodoxe roumaine a eu un
comportement hésitant entre compromissions et antisémitisme ouvertement
exprimé, entre calculs politiques et sentiments fraternels. (Trad.: Valentina Beleavschi, Ionut Jugureanu)