Le XIVe Congrès du Parti Communiste de Roumanie – le dernier bal
A l’ouverture du XIVe Congrès du Parti communiste de Roumanie le 20 novembre 1989, tous les yeux des Roumains étaient pour une fois rivés sur la figure du dictateur pour voir la direction qu’il s’apprêtait à imprimer au pays. Jamais un congrès de ce parti unique de Roumanie n’avait provoqué un tel mélange de peur et d’émotion dans le cœur de l’électorat. Ce dernier ignorait normalement ce type de manifestation sauf s’il ne se voyait contraint d’y prêter attention sous la pression exercée par le pouvoir en place. A la différence des congrès antérieurs, le XIVe congrès du PCR se déroulait sur fond d’une vague d’inquiétude provoquée par la chute des régimes communistes en Europe. Mais puisque la dictature de Ceausescu semblait éternelle, les Roumains avaient perdu tout espoir de se voir libérer du joug communiste et un changement de régime leur semblait une véritable utopie.
Steliu Lambru, 04.11.2013, 13:43
A l’ouverture du XIVe Congrès du Parti communiste de Roumanie le 20 novembre 1989, tous les yeux des Roumains étaient pour une fois rivés sur la figure du dictateur pour voir la direction qu’il s’apprêtait à imprimer au pays. Jamais un congrès de ce parti unique de Roumanie n’avait provoqué un tel mélange de peur et d’émotion dans le cœur de l’électorat. Ce dernier ignorait normalement ce type de manifestation sauf s’il ne se voyait contraint d’y prêter attention sous la pression exercée par le pouvoir en place. A la différence des congrès antérieurs, le XIVe congrès du PCR se déroulait sur fond d’une vague d’inquiétude provoquée par la chute des régimes communistes en Europe. Mais puisque la dictature de Ceausescu semblait éternelle, les Roumains avaient perdu tout espoir de se voir libérer du joug communiste et un changement de régime leur semblait une véritable utopie.
La société roumaine était donc prisonnière de ses propres frustrations et de l’absence de toute volonté politique de la part d’une classe incapable de trouver un successeur au dictateur en place depuis 1965. A commencer par 1974, Ceausescu avait instauré sa propre vision socialiste qui a culminé en 1980 par l’instauration d’une dictature effroyable. Dans le cas de la Roumanie, la crise économique chronique à laquelle s’associait normalement le communisme fut alimentée également par l’ambition démesurée de ce génie des Carpates de rembourser intégralement la dette extérieure du pays. Les réductions drastiques imposées à la consommation domestique dénergie, le rationnement des biens de consommation vitaux et leur pénurie se traduisirent pour la population par la faim, le froid et lobscurité.
L’ingénieur Pamfil Iliescu a travaillé aux usines 23 Août, l’une des entreprise les plus importantes de la Roumanie communiste. Ancien leader syndical, M. Iliescu était en contact permanent avec les salariés. Or, son témoignage pris en 2002 par le Centre d’Histoire orale de la Radiodiffusion roumaine fait état d’une dégradation galopante du mental collectif. «Les 5-6-7 dernières années, on a commencé à ressentir de plus un plus le sentiment du travail en vain, et ce notamment dans les Usines « 23 August ». Pourquoi ? Les gens, eux ils travaillaient. Le problème est apparu à l’époque des investissements massifs. Ce fut notamment au milieu des années ’80 que l’on a notamment constaté que les investissements s’en allaient en eau de boudin. Moi, je peux affirmer que durant cette période–là, dans notre section nous avons fait des investissements de 500 millions de lei. C’était beaucoup à l’époque. De nos jours, cela se traduirait par des centaines, voire des milliers de milliards. Et je n’exagère pas lorsque je dis que sur un investissement de 500 millions de lei on ne mettait presque rien à profit. »
L’industrie roumaine, qui avait bénéficié d’investissements importants, soit la plupart à l’aide de prêts contractés par la Roumanie, était censée assurer la prospérité du pays. En revanche, elle s’avérait un fardeau lourd à porter par l’économie. Ce dysfonctionnement gigantesque s’expliquait par la logique hyper bureaucratisée qui régissait le régime communiste.
Pamfil Iliescu : «Ne donnons qu’un exemple de problème généralisé. Ils vous donnaient un outillage et vous disaient : « Voilà ! C’est votre machine ». Mais la machine n’était pas intégrée au processus de production. L’équipement, il fallait l’adapter, le modifier. Or pour cela, l’argent manquait toujours. On a toujours eu de l’argent pour construire, pour assembler un outillage, tel que l’on voit dans une exposition. Mais quand il s’agissait de l’intégrer, on n’avait plus de fonds à investir. Et alors, les outillages de ce genre, nombreux et coûteux, étaient délivrés mais jamais mis en marche ».
Les relations commerciales avec les autres pays socialistes étaient de plus en plus difficiles, et c’est pourquoi la Roumanie était en train de devenir un système économique fermé. La production des usines roumaines était stockée, par manque de demande, et la direction de nombre d’entreprises était obligée d’accepter des produits et des équipements qui n’avaient rien à voir avec leur objet d’activité. L’explosion de décembre 1989 a été provoquée aussi par le fait que Nicolae Ceausescu, obtus jusqu’à sa fin, n’avait pas compris qu’il fallait céder le pouvoir lors du XIVe congrès du PCR. En décembre 1989, ceux qui sont sortis dans les rues ont été notamment les ouvriers des grands sites industriels roumains.
Pamfil Iliescu : « Les gens disaient beaucoup de choses en privé. Ce système était très répandu : aux réunions on disait certaines choses, puis des choses complètement différentes en dehors de la salle. Aux réunions, les gens passaient en revue leurs plans ainsi que ce qu’ils avaient réalisé, mais la réalité était complètement différente. Les gens étaient fatigués, en raison aussi du fait qu’ils devaient se rendre au travail les samedis et dimanches aussi. Pratiquement, ils n’avaient plus de journées de repos. Ironiquement, les dimanches, les gens étaient plus productifs parce que les chefs s’absentaient. Mais le mécontentement était général. Certaines personnes étaient des activistes convaincus. Notamment les contremaîtres. Lors des moments de détente, les gens commençaient à discuter et même à critiquer le système. Il ne s’agissait pas de critiques ouvertes, mais la différence entre les séances du parti et les discussions entre collègues était colossale. Sans aucune exagération, les gens avaient attendu un changement lors du congrès. Il a été suivi par une immense désillusion parce les choses sont restées inchangées malgré l’exemple des autres pays communistes de la région. La situation était explosive et le dénouement prévisible. Ce qui a suivi n’a pas surpris grand monde. »
Un mois après le XIVe Congrès du Parti communiste roumain, les Roumains ont versé leur sang pour gagner leur liberté. « Novembre, le dernier bal », c’est le titre d’un film signé par Dan Pita qui renvoie à la fête qu’un régime tyrannique met en place avant de rejoindre la poubelle de l’histoire. (trad.: Ioana Stancescu, Alexandra Pop, Alex Diaconescu)