Le tribut dans les principautés roumaines
Pendant les siècles de domination ottomane, les Principautés roumaines se sont vu obliger à payer des redevances envers la Sublime Porte, connues sous le nom générique de tribut. Ces obligations économiques, qui ont revêtu, au fil du temps, différentes formes, sont devenues de plus en plus accablantes, mais leur effet le plus nuisible a été la corruption. La pratique du pot-de-vin allait étouffer l’économie. Les réformateurs roumains de la fin du 18e siècle et du début du 19e siècle considéraient les obligations économiques des Principautés romaines envers les Ottomans comme principale cause de la mauvaise gestion de l’argent public et de leur situation désastreuse.
Steliu Lambru, 06.01.2014, 13:13
La première de ces redevances a été payée en Valachie, la principauté du sud, pendant le bref règne de Vlad dit l’Usurpateur, en 1395. Connu sous le nom de «haraci» (karatch), ce tribut allait être payé par les descendants du prince Mircea le Vieux aussi. En Moldavie, le premier tribut envers la Porte Ottomane a été versé à l’été 1456 par le prince Petru Aron. Cette taxe avait été scellée par l’accord politique signé une année auparavant. L’Historien Bogdan Murgescu, qui enseigne à la Faculté d’histoire de l’Université de Bucarest, explique l’évolution dans le temps de la structure de ces redevances: « Le carache ou karatch, comme on appelait ce tribut, était pour l’essentiel une somme forfaitaire payée par le voïvode, mais les redevances consistaient aussi en cadeaux de protocole, certains en argent, d’autres en nature, tels que fourrures ou différents autres biens, faucons, chevaux. Au début, le tribut payé en argent était le plus important, les dons étant occasionnels. »
Les obligations économiques ont évolué suivant l’histoire de la puissance ottomane. Par exemple, les redevances augmentaient pendant les périodes d’expansion de l’Empire.
Bogdan Murgescu. « Lorsque la dépendance des Principautés roumaines de l’Empire Ottoman s’est accrue, des exigences supplémentaires sont apparues et pas forcément liées à l’argent. Certaines avaient trait au ravitaillement des armées ou des cités ottomanes, y compris celle de Constantinople. Les sollicitations concernaient parfois des produits, des animaux, du bois pour les bâtiments et les navires ou même des hommes de peine pour les constructions militaires. »
Un véritable appel d’offre était organisé parmi les prétendants au trône des principautés roumaines de Valachie et de Moldavie. Les sommes à payer étaient parfois faramineuses, mais les futurs princes faisaient de leur mieux pour les acquitter, puisqu’ils les considéraient comme un investissement.
Bogdan Murgescu: « On a ajouté des sommes qui n’avaient plus de rapport avec les ententes officielles, mais avec les marchandages permettant de monter sur le trône. Ceux qui le convoitaient proposaient certaines sommes au sultan. Pour éviter qu’il soit limogé, le prince qui occupait alors le trône offrait lui aussi au sultan ou bien à de hauts dignitaires ottomans soit de l’argent soit des bijoux ou autres objets de valeur. Lorsque la grande majorité des princes furent nommés par Istanbul, ces sommes devinrent toujours plus conséquentes, dépassant de beaucoup le tribut et les dons officiels. Dans les années 1580-1594 l’argent moyennant lequel on obtenait le trône représentait 60%, le tribut moins de 20%, tandis que les cadeaux comptaient pour 20% des obligations envers les Ottomans. A un moment donné, le pot-de-vin offert en échange du trône a même été plus important que le montant total du tribut, toutes obligations économiques confondues. Cette pratique perdurera jusqu’au 18 e siècle. »
Alors que cet argent renflouait les caisses de l’Etat ottoman, les cadeaux revenaient au sultan ou à certains dignitaires de haut rang. Quel était le poids de ce tribut payé par les Principautés roumaines par comparaison avec les obligations économiques versées par des provinces ottomanes de l’époque?. Explication avec l’historien Bogdan Murgescu: « Le tribut payé par les Principautés roumaines n’était pas très significatif pour la trésorerie de l’Empire Ottoman. Il représentait moins de 10% des recettes officielles de l’Etat. La situation était toute autre pour les sommes perçues comme pot-de-vin, dont le pourcentage était bien plus grand. A comparer le fardeau fiscal par tête d’habitant, on constate qu’il est plus lourd dans les Principautés roumaines que dans les territoires administrés par des gouverneurs ottomans. Finalement, ce n’était pas une mauvaise affaire que de maintenir l’autonomie des Principautés roumaines, puisque les princes roumains se sont avérés être meilleurs collecteurs d’argent que les dignitaires ottomans eux-mêmes. »
A commencer par la fin du 18e siècle et le début du 19e, l’influence ottomane dans l’espace roumain diminue. Les obligations de nature économiques vont elles-aussi décroître. Dernier à disparaître, le carache sera utilisé en 1877 pour doter l’armée qui sortira victorieuse de la guerre aboutissant à l’indépendance de la Roumanie. (trad. : Mariana Tudose)