Le sel dans l’espace préhistorique roumain
Le bassin des Carpates et la zone à l’extérieur de cette chaîne montagneuse constituent la plus grande réserve de sel d’Europe. Les archéologues ont mis en évidence des traces préhistoriques de routes du sel reliant cet espace aux régions de l’ouest et du sud du continent, ce qui semble confirmer la théorie d’une première identité européenne forgée autour du commerce du sel. Dans la Rome impériale, une « via salaria » était le chemin emprunté par tous ceux qui approvisionnaient la ville en sel.
Steliu Lambru, 28.01.2013, 13:24
Le bassin des Carpates et la zone à l’extérieur de cette chaîne montagneuse constituent la plus grande réserve de sel d’Europe. Les archéologues ont mis en évidence des traces préhistoriques de routes du sel reliant cet espace aux régions de l’ouest et du sud du continent, ce qui semble confirmer la théorie d’une première identité européenne forgée autour du commerce du sel. Dans la Rome impériale, une « via salaria » était le chemin emprunté par tous ceux qui approvisionnaient la ville en sel.
D’autres théories considèrent que l’expansion romaine dans la Dacie antique et la conquête de celle-ci ont eu non seulement des raisons politiques, mais aussi économiques, de contrôle des ressources. Les Romains avaient cherché un accès plus facile aux filons d’or et aux gisements de sel. Bucarest garde aussi une preuve, bien que médiévale, de l’importance du sel pour l’économie roumaine, puisque la capitale a une rue appelée « Drumul Sării » (la Route du sel).
Peu de ce qui nous entoure aujourd’hui s’appuie sur une existence ininterrompue, commencée pendant la préhistoire, comme c’est le cas du sel. Ce que nous désignons du nom de « préhistoire » est lié à la culture matérielle et spirituelle de l’humanité, depuis l’apparition de l’homme jusqu’à la fondation des premières cités et l’invention de l’écriture, et couvre, grosso modo, environ 5 millions d’années. L’espace carpatique a été la principale source de sel de l’homme européen ; le professeur Carol Căpiţă, qui enseigne la préhistoire à la Faculté d’histoire de l’Université de Bucarest, nous parlera de l’importance du sel pour les communautés humaines de la préhistoire. « Le sel est un élément essentiel pour la plupart des organismes vivants, un élément indispensable pour les processus d’électrolyse qui assurent leur fonctionnement. Qu’il s’agisse de processus d’oxydation ou de réduction, le sel assure l’état de santé des organismes. Il est également fondamental pour l’existence des communautés de l’espace roumain, mais aussi de l’espace des Pays-Bas ou de l’espace français, par exemple . Nous avons des arguments archéologiques très solides pour l’exploitation du sel, dès l’an 10.000 avt. J.-Ch., où l’on exploitait des gisements de sel gemme parce qu’il y avait aussi une longue tradition de l’exploitation des roches dures. Ainsi, la technologie était-elle disponible aussi à ce niveau. Pour l’espace roumain, en Transylvanie, dans la zone de Covasna, mais aussi dans celle de Vâlcea en Valachie, nous avons des preuves de l’existence d’exploitations de sel gemme qui remontent à 1800 avt. J.-Ch.. Ce qui est très intéressant, c’est qu’il existe une association entre des cultures de l’époque du bronze, très riches et avancées, et l’existence de gisements de sel d’une importance plus ou moins grande. Le cas Sărata Monteoru est emblématique. C’est une culture qui s’étend loin en Europe Centrale et vers le sud du Danube. Nous avons aussi l’exemple de la zone de Vâlcea (sud), avec le site de Buridava, et l’on sait que cette zone a une densité d’habitations extraordinaire ».
De l’arc carpatique, le sel partait vers deux directions : vers l’ouest et le nord-ouest et vers le sud et le sud-est. Carol Căpiţă : «S’il fallait considérer une carte et indiquer les emplacements des exploitations de sel par rapport aux centres de céramique – la forme la plus visible de témoignage archéologique — on constate que l’espace roumain approvisionnait en sel gemme deux aires fondamentales pour la cristallisation d’une culture européenne. D’une part, nous avons une direction de Transylvanie vers la Hongrie et la Slovaquie, et de là — plus loin vers l’espace allemand, un espace traditionnel qui manque de sel. Cela assurait l’importation de cuivre d’Europe centrale et constituait le fondement de cultures d’époque du bronze de Roumanie absolument spectaculaires, telles que Wittenberg. D’autre part, c’est toujours à base de céramique que l’on peut refaire les échanges avec l’espace sud-danubien, notamment en zone dalmate, dans les Balkans de l’ouest et même plus loin, vers la Thrace. Ce qui est intéressant, c’est aussi que ces directions de force de l’est vers l’ouest, du nord vers le sud sont aussi la ligne de pénétration des dernières vagues de migrateurs indo-européens, ceux qui mènent à la dernière étape de création de peuples indo-européens dans l’espace roumain. Des études très sérieuses viennent confirmer le fait que ces vagues migratoires indo – européennes étaient formées pour la plupart des bergers. Or, il y a une relation très serrée entre ces culturelles agropastorales et l’existence du sel gemme. Voici autant d’éléments qui nous poussent à croire que l’existence du sel en terre roumaine s’est avérée fondamentale pour la création d’un horizon culturel qui marque la fin de la préhistoire européenne. »
Plus qu’un aliment, le sel fut considéré comme un des principaux éléments qui a contribué au rapprochement des individus appartenant à des communautés éloignées. Le professeur Carol Capita : « L’espace roumain n’est pas tellement central dans la genèse des peuples européens, surtout que l’histoire mentionne plusieurs noyaux d’ethno — genèse. Une chose reste pourtant certaine : plus que l’or, ce fut notamment le sel roumain qui a contribué à un processus de diffusion culturelle, à une propagation des traits communs des différentes culturelles européennes. Je dirais que le sel a contribué à la création d’un véritable couloir pour la circulation des idées, des objets, des personnes. Sans or, on peut toujours se débrouiller. Sans sel, jamais ! Quant au sel roumain, il a deux avantages : il se trouve en grande quantité et l’exploitation n’est pas difficile. Les gisements roumains ne supposent pas de travaux risqués ou en profondeur. Ce ne fut que plus tard, quand on commença à laver le sel, que l’on s’est heurté à des problèmes de relief, tels la formation de cavités dangereuses. L’exploitation du sel s’est pourtant faite pour un grand laps de temps dans des carrières. »
Même à présent, au bout de quelques millions d’années, les réserves de sel de la Roumanie sont considérables…(trad.: Ligia Mihaiescu, Ioana Stancescu, Alex Diaconescu)