Le samizdat Ellenpontok (Contrepoints)
« Ellenpontok » ou « Contrepoints » a été écrit par un groupe de 4 intellectuels d’origine magyare : Antal Karolyi Toth, professeur de biologie à Oradea et son épouse, le poète Geza Szöcs de Cluj et le philosophe Attila Ara-Kovacs, qui en a lancé l’idée. « Ellenpontok » a circulé au-delà des frontières de la Roumanie grâce au soutien accordé par l’opposition anticommuniste de Hongrie.
Steliu Lambru, 19.03.2018, 14:43
« Ellenpontok » ou « Contrepoints » a été écrit par un groupe de 4 intellectuels d’origine magyare : Antal Karolyi Toth, professeur de biologie à Oradea et son épouse, le poète Geza Szöcs de Cluj et le philosophe Attila Ara-Kovacs, qui en a lancé l’idée. « Ellenpontok » a circulé au-delà des frontières de la Roumanie grâce au soutien accordé par l’opposition anticommuniste de Hongrie.
Csongor Janosi, de l’Institut de recherches de l’Université bucarestoise, a réuni une documentation sur ce samizdat. Selon lui, le groupe constitué des époux Toth, de Szöcs et d’Ara-Kovacs a agi pour des raisons aussi bien collectives que personnelles.
Csongor Janosi : «Pourquoi ce samizdat est-il apparu à Oradea et non pas à Cluj ou à Târgu Mureş? A part les raisons personnelles des futurs éditeurs, il est lié à leur tentative échouée de créer une revue culturelle magyare à Oradea, en 1980. Les initiateurs du projet ont rédigé un mémoire, par lequel ils demandaient au Comité Central du Parti Communiste Roumain et à l’Union des écrivains de Bucarest, l’autorisation de créer à Oradea une revue qui bénéficie de sa propre équipe de rédaction, tout comme les revues « Korund » de Cluj et « Igaz Szó » de Târgu Mureş. Au cas où le projet n’était pas approuvé tel quel, on proposait comme alternative la parution de la revue comme supplément de la revue culturelle et littéraire « Familia » (La Famille) publiée à Oradea en langue roumaine.»
Selon Janosi, l’avis négatif à leur demande a été le moment-clé où les initiateurs se sont dit qu’ils devaient faire illégalement ce qui légalement n’était pas possible. Ara-Kovacs (28 ans) a convaincu Szöcs à contribuer à rédiger la revue illégale. Les époux Toth les ont rejoints en 1982.
Csongor Janosi nous parle des débuts du samizdat : « L’activité éditoriale a démarré en février 1982. La plupart des textes étaient recueillis par Ara-Kovacs, alors que les rédacteurs d’Oradea structuraient, multipliaient et distribuaient la revue à Oradea et en Hongrie. Szöcs était chargé de sa distribution dans la zone de Cluj et dans les zones habités par des Sicules. Les rédacteurs se proposaient de parler ouvertement de leurs conditions de vie ; Ara-Kovacs a rédigé un texte à caractère général imprimé sur la deuxième couverture de chaque numéro. La première partie de ce texte peut être considéré comme un credo de la revue – je résume : « Contrepoints » est une revue publiée en samizdat, elle paraît occasionnellement, nous souhaitons faire connaître les violations des droits humains en Europe Centrale et de l’Est, dont les répressions politiques, économiques et culturelles de Magyars de Transylvanie. »
La revue s’inspirait de publications similaires hongroises et polonaises, mais aussi des mouvements d’opposition de ces pays. Un tiers des articles parus dans les pages d’« Ellenpontok » était repris aux revues illégales publiées à l’étranger. La moitié des articles originaux étaient signés par Ara-Kovacs.
Comment la revue était-elle réalisée, du point de vue technique, et quel était son contenu? Csongor Janosi explique: « Les 6 premiers numéros ont été multipliés en 5 exemplaires à l’aide d’une machine à écrire apportée clandestinement de Hongrie par Ara-Kovacs. Puisqu’elle n’avait pas été enregistrée au poste de police, on ne pouvait pas identifier l’origine des textes à partir des caractères. Les 5 premiers numéros ont été écrits par Ara-Kovacs et multipliés par Ivona Toth, le 6e a été réalisé par Antal Karolyi Toth. Les 7e et 8e numéros ont été multipliés en 50 exemplaires par les époux Toth dans le sous-sol de leur maison, à l’aide d’une photocopieuse polonaise. Les revues comptaient entre 14 et 56 pages. Le 8e numéro est paru en octobre 1982, il a été réalisé par Antal Karolyi Toth et il contient un mémorandum et une proposition de programme politique. Les deux documents critiquaient les politiques des régimes en place en Europe de l’Est et formulaient des exigences politiques alternatives. Envoyés par différents moyens aux ambassades américaine, britannique, française, finlandaise, allemande et autrichienne, ces documents ont fini par être connus à l’étranger. Ils sont même arrivés à la réunion de Madrid de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, à l’ordre du jour de laquelle figurait l’amélioration des relations entre les pays membres et la mise en œuvre de l’Acte final d’Helsinki. »
Entre mars et octobre 1982, 8 numéros de la revue sont donc parus, totalisant 293 pages et réunissant 65 articles. Le dernier numéro, le 9e, comptait 24 pages. Radio Free Europe en hongrois ayant commencé à accorder de plus en plus d’attention au samizdat, la Securitate – la police politique du régime communiste – a commencé à chercher plus activement les auteurs des écrits clandestins. Peu après, à l’automne 1982, la Securitate de Cluj a réussi à obtenir des informations lui permettant de perquisitionner la maison de Szöcs et de trouver la revue. Ensuite, ce fut le tour des maisons de Toth à Oradea et des autres membres du groupe.
Csongor Janosi : « Ce qui est intéressant, c’est que les éditeurs des « Contrepoints » n’ont pas été arrêtés, ils se sont défendus en liberté. En janvier, février et mars 1983 ils ont été convoqués pour donner des déclarations. Le 17 mai, le dossier a été fermé et ils ont été acquittés. Toutes les personnes impliquées ont été convoquées aux sièges de la Securitate de Cluj et d’Oradea et ils ont reçu des avertissements. Aucune mesure pénale n’a été appliquée, car ce n’était pas dans l’intérêt du régime de vulgariser cet incident et de faire de ses protagonistes des martyrs. »
L’histoire des héros du samizdat « Ellenpontok » a fini, comme tant d’autres, par l’émigration. Ara-Kovacs et les époux Toth sont partis en Hongrie en 1983 et respectivement 1984, Szöcs est parti République fédérale d’Allemagne en 1986. Il allait retourner à Cluj, en Roumanie, en 1989, après la chute du communisme. (Trad. : Dominique)