Le roi Carol II
C’est à l’été 1930 qu’allait monter sur le trône de la Roumanie le roi Carol II, le premier fils roi Ferdinand et de la reine Marie. Troisième roi de la dynastie qui avait
débuté en 1866 par l’avènement du roi Carol Ier au trône des Pays
roumains récemment unifiés, premier roi né en Romanie même, il sera aussi le
souverain le plus controversé de sa lignée. En effet, si sa prestance et les
qualités de sa personnalité ne feront aucun doute pour ses contemporains, si
des réformes importantes et bénéfiques au pays ont été mises en place pendant
son règne, il n’est pas moins vrai que son caractère difficile et la soif du
pouvoir qui était la sienne ont largement entaché sa mémoire.
Steliu Lambru, 19.10.2020, 14:01
C’est à l’été 1930 qu’allait monter sur le trône de la Roumanie le roi Carol II, le premier fils roi Ferdinand et de la reine Marie. Troisième roi de la dynastie qui avait
débuté en 1866 par l’avènement du roi Carol Ier au trône des Pays
roumains récemment unifiés, premier roi né en Romanie même, il sera aussi le
souverain le plus controversé de sa lignée. En effet, si sa prestance et les
qualités de sa personnalité ne feront aucun doute pour ses contemporains, si
des réformes importantes et bénéfiques au pays ont été mises en place pendant
son règne, il n’est pas moins vrai que son caractère difficile et la soif du
pouvoir qui était la sienne ont largement entaché sa mémoire.
Né
le 15 octobre 1893 dans la résidence royale de Sinaia (sud), le futur roi Carol
II prend part en tant qu’officier de l’Armée roumaine à la deuxième guerre
balkanique, en 1913, puis à la Première Guerre mondiale. Aventureux, fantasque,
orgueilleux, il renoncera à deux reprises au trône de la Roumanie, d’abord en
1918, puis en 1925. L’année 1920 voyait naître son premier enfant, un garçon
issu du mariage morganatique qu’il avait contracté avec Ioana Lambrino, fille
de boyards roumains, en faisant fi de l’opposition exprimée par la Maison
royale et par le Parlement à cette union. Une fois divorcé, il se remarie,
cette fois légalement, avec la princesse Hélène de Grèce. C’est de cette
dernière union que naîtra, en 1921, le futur roi Michel Ier de Roumanie.
La mort de son père, le roi Ferdinand, en 1927, trouve le futur roi Carol II en
exil. A 5 ans, le roi Michel monte sur le trône, mais les fonctions royales sont
assurées par une régence. En 1930, le futur roi Carol II, qui concoctait déjà
des desseins de retour depuis un moment, se voit appeler par la classe
politique roumaine à revenir pour reprendre le trône. Sans doute, devant les
effets de la crise de 1929, cette dernière avait estimé préférable de remplacer
la régence par un roi de plein exercice.
Pendant la décennie de son règne, le roi Carol II
transforme le pays, mais également, de façon moins heureuse, le paysage
constitutionnel. Pendant cette dizaine d’années, l’on assiste à une
modernisation de l’urbanisme, dans tout le pays, mais notamment à Bucarest. Un
nouveau Palais royal est ainsi érigé, et de grands chantiers urbanistiques sont
mis en route. La culture aussi retrouve son blason, soutenue de manière appuyée
par l’action des Fondations royales. Radu Boroș, docteur en droit de l’Institut
allemand de droit aérien de Königsberg (Allemagne), et qui a occupé des postes
à responsabilité dans l’aéronautique roumaine des années 30, parle de l’essor
de ce domaine pendant ces années-là, et du rôle endossé par le roi Carol II
personnellement.
Radu Boros dans l’interview qu’il avait accordée à
la Radio roumaine en 1995, et conservée depuis par le Centre d’histoire orale
de la Radiodiffusion roumaine : « Pour
moi, Carol II est un grand roi. Si nous, les Roumains, avions compris ses
desseins, on aurait bien avancé. Tout ce que l’on a accompli entre la fin de la
Première Guerre mondiale et jusqu’à la Seconde conflagration mondiale dans
l’industrie, dans l’administration et non seulement, tout cela a été réalisé parce
qu’il l’avait voulu et patronné, parce qu’il l’avait imposé. Lorsqu’il était monté
sur le trône en 1930, l’aviation roumaine n’était pas grand-chose. Pendant la
Première guerre mondiale, l’on avait eu quelques aviateurs et quelques ballons
capturés. Par la suite, l’on s’occupait plutôt de ces ballons que de se doter
d’une véritable aviation, se doter d’une flotte d’avions de chasse ou de
bombardement. Et c’est lui qui avait décidé de développer l’aviation en
général, l’aviation militaire en particulier. C’est alors que l’on avait fondé
l’usine IAR, à Brasov, où l’on a fabriqué le premier chasseur roumain, l’IAR
14, un modèle qui, dans les années 37, 38, était l’un des meilleurs avions de
chasse au monde. L’aviation civile ensuite. Parce qu’il a vu loin, il avait
compris l’importance à venir de l’aviation en tant que moyen de transport. Il
avait alors décidé de jeter les fondements d’une compagnie de transport aérien purement roumaine. Mais avant cela déjà, il avait participé à la Compagnie
franco-roumaine de navigation aérienne, première compagnie aérienne
transcontinentale au monde. »
En dépit de certains exploits indéniables de son
règne, le côté sombre de sa personnalité a empêché que l’histoire fasse asseoir
le roi Carol II dans la galerie de grandes personnalités de l’histoire
roumaine. Le rôle néfaste de sa camarilla et ses immixtions dans la vie
politique du pays et ses liaisons extraconjugales aussi ont souvent défrayé la
chronique. Quant à sa politique étrangère, le roi Carol II essayera, sans beaucoup de
succès, de maintenir l’équilibre entre les grandes puissances et de garder le
pays à l’écart de leurs convoitises.
Radu Lobei, ancien chef de la Garde royale se rappelait, en 1994, la
tournée entreprise par l’ancien souverain roumain en 1938, dans les capitales
française, britannique et allemande : « C’est au mois de novembre 1938 que j’avais accompagné le roi à Londres,
en suivant le programme dûment préparé à l’avance par le premier ministre
Armand Călinescu. Un programme très précis et très chargé, mais qui s’était
heurté à l’opposition de la Cour d’Angleterre, qui ne voulait pas accueillir
Carol. Même les autorités françaises ont posé des conditions, à savoir que la
maîtresse du roi, Mme Lupescu, n’était pas la bienvenue. Mais, évidemment, dès le
lendemain, après l’arrivée du roi sur le sol français, Mme Lupescu était allée là-bas
aussi. Elle ne logeait pas dans le même hôtel que le roi. Donc, nous avons
visité Paris, puis sommes allés à Londres, pour une dizaine de jours. Puis nous
étions revenus à Paris, avant de rentrer au pays. C’était le plan. Et puis, un
matin, je ne me souviens plus exactement lequel, probablement que c’était le 9
novembre, je suis allé à l’hôtel Meurice, où logeait le roi, et il me dit
qu’il avait décidé de faire un détour par Berchtesgaden, pour rendre visite à
Hitler. Ce n’était pas prévu dans le programme. Moi, en l’entendant, je pensais
que le ciel allait me tomber sur la tête. Parce que, voyez-vous, cette tournée,
mise au point avec tant de mal, était censée nous rapprocher des Alliés, de la
France et de l’Angleterre et puis, d’un coup, on va chez Hitler. C’était
compliqué. Déjà qu’en Angleterre, cela avait été terrible ».
En 1940, l’histoire
allait se venger. La Roumanie se voyait obliger de céder des provinces entières
du territoire national, des provinces obtenues à Versailles après d’énormes
sacrifices de sang. La Bessarabie, le Nord de la Bucovine, le Nord de la
Transylvanie et le Quadrilatère allaient être arrachés à la Roumanie par ses
voisins. Devant le désastre, le roi Carol II se voit forcé d’abdiquer au mois
de septembre de la même année. Un départ sans gloire, suivi par un long exil,
passé en compagnie de sa maîtresse, Elena Lupescu. Il s’éteint le 4 avril 1953,
à Estoril, au Portugal, n’étant accompagné dans son dernier voyage que par une
poignée de proches, dont son frère cadet, le prince Nicolas ancien membre de la
régence. (Trad. Ionut Jugureanu),