Le roi Carol II et la crise qui a précédé le début de la Seconde Guerre mondiale
La 30 août 1940, le second arbitrage de Vienne, décidait l'annexion par la Hongrie de la moitié nord de la Transylvanie aux dépens de la même Roumanie
Steliu Lambru, 18.09.2023, 19:01
Dès la signature du
Traité de Trianon, censé mettre un terme à la Grande Guerre et jeter les bases
d’une paix durable en Europe, la Roumanie n’a eu de cesse de se voir confronter
aux visées révisionnistes des deux Puissances décidées à en découdre qu’étaient
l’Allemagne et surtout l’URSS, mais également de ses voisins, sortis défaits de
la Grande Guerre : la Hongrie et la Bulgarie. C’est ainsi que le 26 juin 1940,
pratiquement au lendemain de l’armistice signé par la France devant l’Allemagne
nazie, le gouvernement soviétique adressait deux ultimatums coups sur coups à
la Roumanie, lui enjoignant de céder la Bessarabie et la partie nord de la
Bucovine. La 30 août 1940, le second arbitrage de Vienne, concocté par l’Allemagne
nazie et l’Italie fasciste, décidait l’annexion par la Hongrie de la moitié
nord de la Transylvanie aux dépens de la même Roumanie. Enfin, le 7 septembre
1940, par le traité de Craiova, les mêmes Puissances imposaient à la Roumanie
la cession de la Dobroudja du Sud au profit de la Bulgarie. Aussi, en l’espace
de seulement 3 mois, la Roumanie se voyait dépouillée de plus d’un tiers de son
territoire et de sa population. Le désastre externe n’a pas tardé d’avoir des
retombées en termes de politique intérieure. Acculé de toutes parts, le roi
Carol II se voit ainsi contraint à quitter le trône en faveur de son fils, le roi
Michel. Par ailleurs, le régime d’extrême-droite, national-légionnaire et pro
allemand, dirigé par le général Ion Antonescu, prenait au même moment les rênes
du pays.
1940
marque la fin d’une époque. Le règne de dix années du roi Carol II, dont les
deux dernières marquées par l’empreinte de son régime personnel, s’achève avec
fracas. Personnage haut en couleur, intelligent et manipulateur, orgueilleux, avide
de pouvoir, entouré d’une camarilla d’hommes d’affaires plutôt louches et peu
regardants, Carol II laisse aux historiens le soin de démêler un héritage pour
le moins controversé. Car en dépit des griefs qu’on pourrait facilement imputer
au souverain déchu, dans sa vie privée ou dans l’exercice de ses fonctions
constitutionnelles, il n’en est pas moins que son règne marque une époque de
grande prospérité. La capitale du royaume, Bucarest, avait été réorganisée, en
suivant pour cela les principes censée régenter la vie d’une ville moderne. La
vie culturelle du royaume s’épanouissait, le rôle de l’Etat dans cet essor n’étant
point négligeable.
Gheorghe Barbul secrétaire personnel de celui qui acculera le roi Carol II à quitter le
trône, le futur maréchal Ion Antonescu, avait été interviewé à cet égard, en
1984, par l’historien Vlad Georgescu, sur les ondes de radio Free Europe. L’interview,
conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine,
constitue un important témoignage sur la personnalité du monarque déchu, dressé
par un contemporain avisé, bien que peu enclin à faire l’apologie du roi. Ecoutons
la voix de Gheorghe Barbul, enregistrée en 1984 :
« Ion Antonescu, celui qui deviendra le Duce
roumain, appréciait que la monarchie constituât une institution indispensable
pour la stabilité du jeune Etat qu’était la Roumanie à l’époque. Il avait cette
formule selon laquelle seule la monarchie était en mesure de préserver l’Etat
de l’influence des démagogues. Un Etat où, prétendait le marchal, les propriétaires
terriens avaient été remplacés par les « propriétaires de voix ». La
maréchal faisait de la sorte la distinction entre la Roumanie d’avant la Grande
Guerre, où les propriétaires terriens constituaient la classe dirigeante, et la
Roumanie post 1920. C’est pour cette raison que le maréchal, bien qu’ennemi
personnel du roi Carol II, n’acceptait pas à ce qu’on s’attaque à la monarchie,
même pas à la personne du souverain. Il craignait l’instabilité. Vous savez, le
roi Carol II avait déjà contribué à fragiliser le trône lorsqu’il avait renoncé
au trône pour vivre son amour impossible, avant de revenir sur sa décision,
détrôner son fils mineur, et remonter sur le trône. Or, le maréchal Antonescu
ne souhaitait pas voir ces coups de force se reproduire. En cette période, deux
acteurs politiques importants, le Parti national paysan et la Garde de Fer
souhaitaient le départ du roi Carol II, et le remplacement de ce dernier par
son fils, le roi Michel. Pas le maréchal Antonescu, car il craignait de trop l’instabilité
que de telles agissements ne manqueraient pas de provoquer ».
Dans une interview
passée en 1995, le juriste Radu Boroș, ancien prisonnier politique,
reconnaissait à son tour le rôle joué par le roi Carol II dans l’essor de l’économie
nationale, plus particulièrement dans le domaine de l’aviation, durant les
années 30 du siècle précédent :
« A
mes yeux, le roi Carol II demeure un grand souverain. Et je crois que si les
Roumains l’avaient mieux compris et mieux suivi, la Roumanie aurait accompli
davantage de progrès dans beaucoup de domaines. Le roi s’était personnellement
impliqué dans l’organisation et le développement de l’industrie, de l’administration
publique, dans plein de domaines. Vous savez lorsqu’il était monté sur le trône,
dans le domaine de l’aviation, c’était le désert. Pendant la Grande Guerre, l’on
s’était servi de quelques appareils de vol importés et de quelques ballons à
air chaud. A l’époque, l’aviation c’étaient les ballons. L’on était loin d’avoir
des avions de combat, des avions de chasse et de bombardement. C’est le roi qui
avait décidé de nous doter d’une véritable aviation militaire. Grâce à cela,
des unités industrielles ont été créés, l’IAR à Brasov, où l’on a construit le
premier appareil de chasse roumain, IAR 14, qui, dans les années 37-38, était l’un
des meilleurs au monde. C’est toujours le roi qui a donné le coup de pouce
indispensable à l’essor de l’aviation civile. Le roi avait une vision. Il avait
compris la place qu’allait occuper l’aviation dans les prochaines décennies et
avait aidé à la constitution de la première compagnie roumaine d’aviation.
Avant cela, il n’y avait une qu’une société mixte, la Compagnie franco-roumaine
de navigation aérienne, créée en avril 1920par le comte Pierre Claret de Fleurieu. »
Malgré
tout et en dépit du bon souvenir que le règne du roi Carol II avait laissé chez
certains de ses contemporains, la figure du souverain demeure encore aujourd’hui
tachetée par ses agissements politiciens et affairistes, et surtout par l’échec
de sa politique interne et externe, soldé en fin de compte par l’amputation d’un
tiers du territoire national à la veille de la Seconde Guerre mondiale. (Trad. Ionut
Jugureanu)