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Le processus d’électrification de la Roumanie

A compter de la deuxième moitié du 18e siècle, la lumière électrique est devenue le leitmotiv de tout projet de modernisation. C’était, dans la vision des réformateurs de la société, la voie royale pour faire sortir l’humanité de l’ignorance, de cette ignorance dans laquelle elle se faisait maintenir prisonnière, pieds et poings liés, par l’Eglise et les religions. C’est ainsi que le 18e est devenu le « Siècle des Lumières ».

Le processus d’électrification de la Roumanie
Le processus d’électrification de la Roumanie

, 16.07.2018, 11:49

La lumière revêtait dans cette vision une connotation carrément spirituelle, car censée mener au savoir, à l’éducation, à l’élimination de l’analphabétisme. Le 19e siècle reprit ce désir de modernisation, et la lumière est devenue synonyme de progrès. L’accès à la connaissance en dépendait, la science aussi. L’ampoule d’Edison venait ainsi à point nommé pour changer radicalement la face du monde. Bien plus tard, les communistes ont vu l’électrification à grande échelle comme l’un des moyens privilégiés au service de leur cause, en affranchissant cet « homme nouveau » qu’ils appelaient de leurs vœux. L’un des slogans que Lénine aimait ressasser était justement : « Le communisme, c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification du pays ». Alors, à compter du 6 mars 1945, lorsque les communistes se sont installés aux manettes en Roumanie, le régime avait compris que l’électrification du pays lui apporterait popularité et légitimité. Doté d’un programme économique et social ambitieux, le régime a entamé le processus d’électrification à grande échelle, mû par des objectifs dont la composante politique ne pouvait échapper à personne, à compter des années ’50.

L’ingénieur Tudor Constantin est l’un des anciens directeurs de l’Usine électrique de Bucarest, usine qui était à l’époque communiste le producteur d’électricité le plus important du pays. Interviewé en 2003 par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, il se rappelait l’époque de la construction de la première centrale hydroélectrique, celle de Bicaz : «La centrale avait été conçue par le professeur Dorin Pavel et l’ingénieur Dimitrie Leonida à leurs frais ; ils sont partis en mission exploratoire avec leurs sacs à dos. L’ingénieur Leonida caressait l’idée de faire de l’ouvrier roumain un être cultivé, un véritable professionnel, à la pointe de son art. Il avait même fondé une école, appelée « L’école des maîtres électriciens et mécaniciens de l’ingénieur Leonida ». Il y enseignait avec son épouse et deux autres professeurs de l’Ecole polytechnique. Et puis, pour ceux qui sortaient de cette école, il leur suffisait de montrer simplement leur diplôme pour se faire embaucher de suite, n’importe où, à la Compagnie de Gaz, d’Electricité, à la SNCR. Ils vous embauchaient tout de suite. Et c’est cet ingénieur Leonida qui m’avait dit une fois, car j’étais avec lui à l’Usine lorsqu’ils ont lancé ce programme d’électrification, et il m’a dit : « Jeune homme, il faut que tu saches une chose, pour électrifier la Roumanie, telle qu’elle est, il faut que l’Etat s’y implique, comme en Russie. Sinon, ça ne marchera pas. » Et moi, quand ce programme d’électrification a été achevé, j’ai reçu un prix, j’ai été décoré, comme c’était de coutume alors. J’ai reçu l’Ordre du travail, deuxième classe. Je le garde encore. »

Pour effacer les traces de la dernière guerre, il fallait suivre la voie de l’industrialisation. Tudor Constantin nous plonge dans cette époque révolue : « On était en 1950, j’étais à l’Usine électrique, j’étais le chef de l’usine, lorsque le programme a été lancé. L’Usine électrique de Bucarest était la plus importante du genre dans le pays, on comptait les meilleurs ingénieurs. J’ignore si elle était à la pointe de ce qui se faisait alors dans le domaine à l’Ouest, mais on comptait les meilleurs professionnels du pays. C’était des gens fiers, qui travaillaient là avant la guerre. Ils maîtrisaient leur métier, ils n’étaient pas des amateurs. Ils savaient faire un bon choix technologique. On disposait des technologies de pointe pour l’époque. Prenez, par exemple, l’usine de Filaret, qui avait des moteurs d’une puissance de 5.000 chevaux, c’était unique en Europe. On avait encore fait l’acquisition avant la guerre d’une turbine à gaz de 10.000 Kilowatts, unique elle aussi. Mais c’est qu’à cause de la guerre, elle n’avait pas été mise en service, alors c’est nous qui l’avons fait. Je me rappelle que les Russes en bavaient, ils auraient bien voulu en avoir une de pareille. Ils nous ont demandé de les aider. Finalement, on leur a passé les clés du coffre où l’on gardait les plans des Suisses. Ils s’en sont « inspirés ». Evidemment, nous, on a fait pareil. Il a bien fallu la mettre en fonction. C’étaient des choses qui arrivaient aussi, vous savez. »

Mais au-delà des raisons économiques et sociales, pour concevoir et mettre en pratique un projet d’une telle ampleur, il fallait bien que le facteur politique s’en mêle. Surtout à l’époque. Car c’était l’époque de l’économie planifiée, des plans quinquennaux. A nouveau, Tudor Constantin : « C’était, à l’origine, la décision du parti. Puis, elle a été débattue au sein des ministères, des entreprises, avec les spécialistes. A moi, on m’a demandé conseil, et j’ai pris part à la conception du plan d’électrification, parce que j’étais le premier chef d’une usine électrique. Et je me souviens qu’il y eu une grande dispute avec les ingénieurs des centrales thermoélectriques et ceux des centrales hydrauliques. Il fallait établir par quoi commencer. Les derniers, tel l’ingénieur Leonida, voulaient que l’on commence par construire des usines hydroélectriques. Les ingénieurs des centrales thermoélectriques souhaitaient que l’on commence par construire des usines thermoélectriques, basées sur le gaz ou le charbon. Finalement, il a fallu que le parti intervienne pour calmer les esprits. Vu que les centrales hydroélectriques étaient plus efficientes et moins chères, l’arbitrage fut vite réglé. Le prix de l’énergie produite par une centrale hydroélectrique était trois à quatre fois moins cher que le prix de revient de l’énergie produite par une centrale thermique. Pourtant, on a invoqué le fait que pour construire une centrale hydraulique, cela prenait du temps et que le pays ne pouvait pas attendre indéfiniment. Il nous a donc bien fallu choisir la solution des centrales thermiques, même si elle était la plus onéreuse. Mais le pays ne pouvait pas attendre, il fallait bien prendre ses responsabilités. Mais on a démarré aussi, en parallèle, la construction des centrales hydrauliques. C’est dans ce contexte que le chantier de Bicaz a été lancé. Pourtant, d’abord, l’énergie a été produite dans la centrale thermoélectrique de Doicesti, en Moldavie, puis à Târgu Mureş. »

L’électrification de la Roumanie a été achevée dans les années ’70, étant unanimement appréciée comme un exploit. Le secteur énergétique s’est progressivement diversifié, une partie importante de sa production étant d’emblée destinée aux besoins de l’industrie.

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