Le procès de Nicolae et Elena Ceauşescu
Nous nous penchons aujourd’hui sur un des moments forts de la révolution anticommuniste roumaine : le 25 décembre 1989. Accusés de la mort de plus de 1.100 personnes, les 16, 17, 21 et 22 décembre, le dictateur Nicolae Ceauşescu et sa femme étaient jugés, condamnés à la peine capitale et exécutés le jour de Noël. Ce procès controversé aurait dû marquer le début d’une nouvelle époque, la renaissance d’une société traumatisée par les 45 ans d’abus et de privations de toute sorte qu’elle avait subis. Or, le procès du couple dictatorial a acquis une toute autre signification et les Roumains d’aujourd’hui s’en souviennent avec dégoût. La hâte avec laquelle le couple Ceauşescu a été jugé et exécuté et ce qui s’est passé ensuite dans la politique post-communiste ont fait de ce procès l’opposé de ce qu’il aurait dû être.
Steliu Lambru, 02.01.2018, 11:03
Selon l’historien et politologue Ioan Stanomir de l’Université de Bucarest, le déroulement et les conséquences du procès de Nicolae et Elena Ceauşescu du 25 décembre 1989 ont été de simples prolongements des pratiques juridiques de l’époque communiste.
Ioan Stanomir : « Ce fut un règlement de comptes qui rappelait les procès staliniens-léninistes, d’une part, et la manière dont les dictateurs déchus sont exécutés en Afrique Saharienne. Cela n’avait rien à voir ni avec la légalité, ni avec l’idée d’une confrontation avec le passé. Ce faux procès, cette mascarade a réussi à repousser au second plan l’idée d’une démarche nécessaire : affronter et assumer le passé. Nicolae Ceauşescu a joué le rôle de bouc émissaire et, en tant que bouc émissaire il a permis au reste de la nation de se disculper. Ce procès a comporté quelques aspects sensibles, à commencer par celui du statut juridique de Nicolae Ceauşescu, qui était fantaisiste. Pourtant, essayer de considérer ce procès du point de vue des exigences de l’Etat de droit ne mènerait à rien, car il réunissait en une seule instance le fond, l’appel et le recours. On peut parler d’un tribunal révolutionnaire, semblable aux troïkas que la Tchéka organisait pendant la terreur rouge ».
Nombreux sont ceux qui, après le 25 décembre 1989, ont estimé qu’un vrai procès aurait dû être ouvert contre Nicolae Ceauşescu. Les conditions de la révolution anticommuniste de ’89, auraient-elles permis un procès équitable, différent de celui déroulé à l’époque?
Ioan Stanomir : « En 1989, la nation roumaine aurait-elle pu être différente ? En 1989, l’Etat roumain aurait-il pu être autre chose qu’un amas de brigands qui se liquidaient entre eux ? Si oui, le communisme roumain aurait été différent. Le procès du couple Ceauşescu a été la dernière œuvre du régime de Ceauşescu. Il a réussi à transformer l’Etat en une bande d’assassins et de complices et ces assassins et ces complices ont liquidé celui qui se trouvaIt à leur tête. Nicolae Ceauşescu a été coupable non pas de génocide, selon la terminologie du droit international, mais de la mise en place et de la coordination d’un régime illégitime et criminel, pour utiliser la terminologie officielle assumée par l’Etat roumain. Qu’est-ce qu’un pays décent aurait fait de Nicolae Ceauşescu? Il lui aurait offert ce qui, en tant que communiste, il a refusé aux autres: un procès équitable, à la fin duquel il aurait probablement été condamné à perpétuité où à la peine capitale. Je ne conteste pas le bien-fondé du verdict, mais la manière dont on y a abouti. Autrement dit, un tribunal décent aurait de toute façon condamné Nicolae Ceauşescu à une peine privative de liberté de longue durée. »
Le procès du couple Ceauşescu a été le moment où les Roumains auraient dû regarder dans les yeux le pouvoir qui les avait humiliés et bafoués pendant 45 ans. Il aurait dû être un moment de vérité et de règlement des comptes avec une période cauchemardesque. Il n’en fut pas ainsi.
Ioan Stanomir : « C’est l’acte par lequel les Roumains n’ont pas réussi à se détacher du communisme. Cette exécution prouve justement la profonde continuité entre le régime communiste et celui de Ion Iliescu. Iliescu est l’expression d’une tentative des Roumains de se détacher sans se détacher. Une tentative spécifique des sociétés postcommunistes de garder une innocence qu’elles n’ont plus. Tous ceux qui ont traversé le communisme ne sont plus innocents – qu’ils aient été victimes, bourreaux ou qu’ils se soient trouvés dans la foule grise qui subit l’histoire. Les régimes totalitaires ravissent aux gens leur innocence. Et je pense que c’est ce qui explique la manière très compliquée dont les peuples de l’Est de l’Europe et de l’ex-Union Soviétique se rapportent au communisme. Le communisme est une tunique de Nessus qui se colle à vous et lorsque vous voulez l’enlever, elle vous brûle. »
Le 25 décembre 1989, la nostalgie, la frustration et le sentiment du destin implacable se sont donné rendez-vous. Le fantôme de Ceauşescu hante toujours la Roumanie, par le souvenir d’un procès indigne, mais typiquement communiste. (Trad. : Dominique)