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Le monde vu par les premiers utilisateurs roumains des chemins de fer

Le chemin de fer a représenté l’une des plus grandes inventions des temps modernes, les changements provoqués par son introduction étant énormes. Même après l’apparition des moyens de transport concurrents, le chemin de fer a gardé entiers son prestige et son utilité. Au royaume de Roumanie tel qu’il était avant la Grande Guerre, les premières voies ferrées commencent à être construites après l’union de la Moldavie et de la Valachie, en 1859, et l’arrivée sur le trône, en 1866, du prince régnant et futur roi Carol 1er. A partir de là, les voyageurs roumains commencent à emprunter avec enthousiasme ce nouveau moyen de locomotion pour partir à la découverte d’un monde de plus en plus accessible et qui s’élargissait à vue d’œil.

Le monde vu par les premiers utilisateurs roumains des chemins de fer
Le monde vu par les premiers utilisateurs roumains des chemins de fer

, 04.01.2021, 12:13

Le chemin de fer a représenté l’une des plus grandes inventions des temps modernes, les changements provoqués par son introduction étant énormes. Même après l’apparition des moyens de transport concurrents, le chemin de fer a gardé entiers son prestige et son utilité. Au royaume de Roumanie tel qu’il était avant la Grande Guerre, les premières voies ferrées commencent à être construites après l’union de la Moldavie et de la Valachie, en 1859, et l’arrivée sur le trône, en 1866, du prince régnant et futur roi Carol 1er. A partir de là, les voyageurs roumains commencent à emprunter avec enthousiasme ce nouveau moyen de locomotion pour partir à la découverte d’un monde de plus en plus accessible et qui s’élargissait à vue d’œil.

L’historien Radu Mârza, professeur à l’Université Babeș-Bolyai de Cluj et auteur du livre intitulé « Călători români privind pe fereastra trenului », en français « Des voyageurs roumains regardant par la fenêtre du train (1830-1930) », nous parle du regard ébahi de ces premiers voyageurs modernes mis au contact des réalités européennes de leur temps. « Les voyageurs sont friands de découvertes. A première vue, l’on pense qu’ils s’intéressent en premier lieu au paysage. Mais, en y regardant de plus près leurs récits de voyage, l’on comprend qu’ils s’intéressent moins au paysage, en tout cas moins qu’aux gens rencontrés. Ces gens, qu’ils aperçoivent à la vitesse du train ou lors de l’arrêt du train dans les gares, ces voyageurs avec lesquels ils partagent le wagon, parfois le compartiment. Et puis, ils s’intéressent aussi aux lieux qu’ils traversent. Mais l’idée de paysage naturel, car c’est de ce dernier que j’étais parti dans ma recherche, ce concept ne fait son apparition dans les journaux intimes des voyageurs que vers 1900. Par exemple, l’historien A. D. Xenopol raconte d’une manière très poétique la traversée des Alpes et les péripéties de son voyage par le chemin de fer Semmering, en Autriche. L’écrivain Mihail Sadoveanu, qui voyage en train dans les années 1920, à travers les Pays-Bas, s’intéresse lui aussi assez peu aux paysages, plutôt qu’aux gens et aux villes. Aux gens qui cultivaient leurs jardins par exemple, ou à la modernité architecturale du paysage urbain hollandais, où il s’étonne de l’enchevêtrement des canaux, des voies ferrées et des routes. Il s’intéresse encore aux usines, aux gares, au réseau électrique, et au quotidien des Hollandais, à leur vie de tous les jours. »

Ce qui est sûr c’est que le chemin de fer fait monter en flèche la mobilité : celle des marchandises et des affaires, mais surtout celle des personnes. Radu Mârza : « La mobilité augmente énormément par rapport aux époques antérieures. Par exemple, pour aller de Bucarest à Karlsbad, la ville de Karlovy Vary d’aujourd’hui, située en République Tchèque, il suffisait d’environ 72 heures dans les années 1920. Or, avant l’apparition du chemin de fer, pour parcourir ce même trajet, il fallait compter une à deux semaines de route. L’on constate donc une véritable explosion de la mobilité. Et cette mobilité accrue rapproche les gens, les aide à se rencontrer plus facilement, à franchir de longues distances aisément et de façon rapide, chose inimaginable autrefois. Et le wagon devient un lieu de socialisation, d’interaction, les gens entrent volontiers en dialogue les uns avec les autres. Encore de nos jours, les choses se passent ainsi. Il nous arrive à ce que le voisin de compartiment nous demande où l’on va, et souvent ce n’est que le début d’une interaction bien plus étayée. Il existe certes des voyageurs plus taiseux, qui préfèrent qu’on leur fiche la paix, ou s’assoupir, ou compter les poteaux, ou admirer le paysage. Cela arrive aujourd’hui, comme il arrivait au début du 20e siècle. Sadoveanu raconte à un certain moment combien il désirait avoir un peu la paix. Liviu Rebreanu, un autre écrivain roumain célèbre de la 1re moitié du 20e siècle, raconte lui-aussi combien un autre voyageur se montrait pressant pour le faire parler. »

Mais le chemin de fer représente aussi, dans l’imaginaire livresque, come dans la réalité, le lieu sombre de la délinquance, sinon du crime. « Le crime de l’Orient-Express », célèbre roman d’Agatha Christie, est là pour nous rappeler le souvenir de cette autre face de la médaille. Nous avons interrogé Radu Mârza au sujet de cette réalité dans les souvenirs racontés par les voyageurs roumains de l’époque : « Je n’ai pas rencontré de récits qui fassent état de cette situation dans mes recherches de documentation. Mais je me rappelle tout de même une histoire racontée par George Bariț, datant de 1852, lorsqu’il voyageait à travers l’Allemagne. En train forcément. Il arrive à un moment, la nuit, en gare de Magdebourg, un nœud ferroviaire sans doute, car il y avait 4 voies qui partaient dans 4 directions différentes, ce qui lui semblait totalement incongru à l’époque. Et puis, il remarque des affiches placardées sur les murs de la gare, qui avertissaient les voyageurs au sujet des pickpockets. Il était bluffé. Mais c’est à peu près la seule histoire que j’ai pu lire et qui fasse référence à ce genre de choses. »

Le chemin de fer relie sans doute les gens, mais aussi les territoires, les provinces, les pays, voire les continents. Radu Mârza croit savoir que cette volonté de relier le monde, auparavant cloisonné et épars, est un phénomène qui va bien au-delà de la volonté politique. « Pour ce qui est du « vieux » royaume de Roumanie, soit de l’Etat issu de l’union de la Valachie et de la Moldavie, l’on remarque bien ce phénomène. Les voyageurs de l’époque l’avaient d’ailleurs déjà remarqué dans leur temps. Au 19e siècle, les voyageurs comprennent que le chemin de fer ne fait pas que relier, pour des raisons utilitaires ou sentimentales, les provinces historiques roumaines, mais qu’il répond à un vrai besoin de mobilité et de communication. Et même si pas mal de gens s’étaient montrés réticents en Occident à l’égard de ce mode de transport révolutionnaire qu’était le train pendant les premières décennies de son histoire, les Roumains semblent l’avoir adopté très vite, et qui plus est avec beaucoup d’enthousiasme. On le constate en regardant l’évolution du nombre de billets vendus. Et cela est très significatif, parce que, voyez-vous, le public roumain a accueilli le train à bras ouverts, si l’on peut dire. »

En effet, les voyageurs roumains des premières décennies de l’existence du train se montrent enthousiastes et ne se privent pas le moins du monde de jouir pleinement de ce nouveau jouet des temps modernes. Un monde devenu ainsi plus petit sans doute, mais aussi plus familier, accessible et attrayant. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

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