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Le journal d’Eva Heyman (1931-1944)

Surnommée Anne Frank de Transylvanie ou bien Anne Frank d’Oradea, la jeune Eva Heyman a compté parmi les 1 millions 500 mille enfants Juifs victimes de l’Holocauste. Elle a écrit un journal qui nous aide à comprendre la réalité d’une adolescente de 13 ans, comment elle s’expliquait le monde qui l’entourait, un monde de la haine et du génocide.

Le journal d’Eva Heyman (1931-1944)
Le journal d’Eva Heyman (1931-1944)

, 22.01.2018, 13:54

L’historien Marius Popescu, du Centre d’études de l’histoire des Juifs de Roumanie, a amplement analysé le journal d’Eva Heyman. Il a décrit l’apparition du ghetto d’Oradea, ville natale du médecin Nyszlu Miklos, auteur du célèbre volume « J’ai été médecin à Auschwitz ». Rappelons-le, toute la moitié nord de la région de Transylvanie, avec les villes d’Oradea, Cluj et Târgu-Mures, avait été occupée par la Hongrie, suite au Diktat de Vienne de 1940.

L’historien Marius Popescu : « Eva Heyman est une fille d’origine juive d’Oradea, ville qui comptait une très nombreuse population juive. Du point de vue de ses dimensions, le ghetto d’Oradea a été le deuxième de Hongrie, après celui de Budapest ; ce qui plus est, son administration avait des règles beaucoup plus strictes, comme d’ailleurs tous les ghettos de la Transylvanie du Nord. Là, les gendarmes ont fait leur « devoir » avec un excès de zèle hors du commun, qui a surpris même les bourreaux nazis. Je pense notamment à la vitesse avec laquelle les Juifs de la Transylvanie du Nord ont été déportés. En deux semaines seulement, toutes les communautés juives des villes transylvaines, qui étaient d’ailleurs assez nombreuses, ont carrément disparu. »

Eva Heyman a commencé son journal à l’âge de 13 ans, soit le 13 février 1944, à l’occasion de son anniversaire. Dès les premières pages du journal, on saisit l’inquiétude de la jeune adolescente.

Marius Popescu : « On peut s’attendre à d’autres choses, lorsqu’on lit le journal d’un enfant ou d’un adolescent. Eh bien, ce journal ne fait qu’illustrer la situation absolument tragique de la population juive de l’époque. En parcourant le journal, on se rend immédiatement compte de l’inquiétude d’Eva, suite à la confiscation de la pharmacie de son grand-père, à cause de lois extrêmement restrictives qui obligeaient les Juifs à se déplacer dans la rue entre certaines heures. Une fois la pharmacie confisquée, la stabilité de la maison fut compromise. Eva raconte dans son journal qu’un homme d’ethnie hongroise est venu pour s’emparer, sans aucun remord, de la pharmacie de son grand-père. N’oublions pas que le 30 août 1940, toute la moitié nord de la Transylvanie avait été cédée à la Hongrie. Dans certains passages, Eva décrit l’expulsion des Roumains par les autorités hongroises. Elle affirme que de nouveaux visages s’affichaient dans les rues d’Oradea puisque de nombreux nouveaux habitants étaient venus de Hongrie. Une des raisons pour lesquelles le grand père d’Eva avait perdu sa pharmacie a été le fait qu’il était l’ami des Roumains, qu’il était un Juif qui ne soutenait absolument pas les Hongrois. C’était évidemment une raison aberrante. »

Mais le grand choc allait suivre avec la disparition de sa meilleure amie, Marta, aux côtés de toute sa famille.

Marius Popescu : « L’amitié avec Marta, une jeune fille du même âge, en compagnie de laquelle Eva passait son temps, marque également ce journal. Comme tous les enfants, les deux adolescentes se promenaient à vélo, s’achetaient des glaces qu’elles mangeaient soit chez Marta, soit chez Eva. Tout allait bien jusqu’en 1941. C’était l’année quand les autorités magyares ont expulsé tous les Juifs qui ne pouvaient pas prouver leur nationalité. Le père de Marta provenait de Bucovine, Marta était née à Oradea, parce que sa mère était originaire de cette ville. Le père de Marta devait être évacué. En 1941, les Juifs rassemblés par les autorités magyares ont été emmenés à Kamenetz-Podolsk et tués sur place. Marta et sa mère n’ont pas voulu quitter le père de famille et l’ont suivi dans le camp, où elles ont été tuées. Du point de vue psychologique, ce fut le moment où l’univers d’Eva Heyman connait un changement radical. Son monde n’avait pas été heureux avant non plus, mais l’image de son amie enlevée par les gendarmes dans la maison d’Eva pour être tuée à Kamenetz-Podolsk marque le début du calvaire d’Eva Heyman. Marta est évoquée dans tous les pages du journal. Trois ans plus tard, elle allait subir le même sort que Marta, dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. »

Aux tragédies qui entouraient Eva Heyman est venu s’ajouter un chagrin personnel, un problème de famille.

Marius Popescu explique : « Dans sa famille les choses étaient assez agitées. Sa mère avait divorcé de son père, pour se remarier avec Bela Zsolt, le père adoptif d’Eva, écrivain et journaliste de gauche. A l’époque, il n’était pas facile d’être Juif et de gauche. La mère d’Eva et « oncle Bela », comme la jeune fille l’appelait, vivaient cachés. Eva Heyman a été en grande partie élevée par ses grands-parents maternels. En lisant le journal, on remarque une attitude assez froide d’Eva envers sa mère ».

« Je viens de fêter mon 13e anniversaire. Je suis née le 13, un vendredi ». C’est ainsi qu’Eva Heyman commence son journal le 13 février 1944. Le 17 octobre, à l’âge de 13 ans et demi, malade de typhus, Eva Heyman était envoyée dans les chambres à gaz nazies. (Trad. Alex Diaconescu)

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