Le jeu d’échecs dans la Roumanie des années 1960 – 1970
Ses exploits, obtenus dans les compétitions internationales de l’époque,
restent là, pour preuve. Le jeu d’échecs semble entrer dans les mœurs de
l’aristocratie roumaine autour de l’an 1700. Au XIX-èmesiècle, la
bourgeoisie l’adopte à son tour, et les premières publications dédiées au jeu
d’échecs ainsi que les premiers clubs font leur apparition vers la fin du
siècle.
Steliu Lambru, 09.08.2021, 13:54
Ses exploits, obtenus dans les compétitions internationales de l’époque,
restent là, pour preuve. Le jeu d’échecs semble entrer dans les mœurs de
l’aristocratie roumaine autour de l’an 1700. Au XIX-èmesiècle, la
bourgeoisie l’adopte à son tour, et les premières publications dédiées au jeu
d’échecs ainsi que les premiers clubs font leur apparition vers la fin du
siècle.
Après la Grande
Guerre, lors de l’olympiade d’échecs de Budapest de 1926, l’équipe roumaine monte
sur la 3e marche du podium. Elle renouvèlera avec le succès en 1978,
lors de l’olympiade de Buenos Aires, lorsqu’elle occupe une méritante 6e
place, ensuite lors de celle de Salonique, en 1984, quand elle finit à la 5e
place. Mais l’exploit qui restera dans toutes les mémoires est une réussite
individuelle, celle de Florin Gheorghiu, qui mettra, pour un temps, genou à
terre ni plus ni moins que Bobby Fischer, peut-être le plus grand joueur
d’échecs de tous les temps. Fischer et Gheorghiu vont par ailleurs se lier
d’une grande amitié. Ils se rencontrent pour la première fois en 1962, à
l’olympiade de Varna, en Bulgarie, lorsque le futur champion américain n’avait
que 19 ans, et son homologue roumain 18. Sans croiser le fer à l’occasion,
Gheorghiu dira plus tard combien il avait été ébloui par la force du jeu de
l’Américain.
Le Grand maître international Florin
Gheorghiu raconte au micro de Radio Roumanie ses premières confrontations
directes avec la légende mondiale du jeu d’échecs. Première rencontre, en 1966,
à Cuba : « C’est à La Havane qu’a eu lieu notre première rencontre. Et
à mon grand étonnement, j’avais réussi à remporter la partie. On était là, sous
les yeux de Fidel Castro et de son gouvernement, et ce fut le moment qui
marquera le début de notre amitié. Bobby avait sans doute apprécié la manière
dont j’avais commenté notre rencontre en fin de partie. Mais lui aussi, il a
été irréprochable, il avait la classe d’un grand champion. D’ailleurs, son
exploit à La Havane est hors propos. Lorsqu’on avait débuté notre partie, il avait
déjà ramassé 14 points des 15 possibles. Il avait fait deux nulles, avec Boris Spasski, futur champion mondial, et avec Wolfgang
Uhlmann. Mais il avait eu l’avantage dans les deux parties, il aurait pu les
remporter. Puis, il a perdu devant moi, pour gagner ensuite le dernier match.
Il a terminé avec 15 points sur 17 possibles. »
Bobby Fischer relèvera deux années plus
tard le défi que lui avait lancé Florin Gheorghiu. Ecoutons le témoignage du
champion roumain : « Nous avons encore joué à trois reprises. Cela
aurait été formidable si l’on avait pu en organiser davantage. La deuxième
rencontre a eu lieu au tournoi de Vinkovci,
en Croatie, deux années plus tard. Bobby
l’avait remporté haut la main, avec 2 points d’avance sur ses plus proches poursuivants.
Il semblait aussi complètement changé. Il était joyeux, espiègle, communicatif,
appréciant la musique, à l’opposé de son image d’avant. Nous avons joué notre
partie pendant 18 heures, avec 3 arrêts. Cela a été une partie formidable.
J’avais réussi à l’annuler. Bobby n’était donc pas parvenu à prendre sa
revanche. Alors, il m’a proposé d’organiser un match à deux, fait de dix
parties, n’importe où, même à Bucarest. J’en étais enthousiaste. Cela aurait
été l’événement du siècle pour les échecs roumains. J’avais fait part de son
désir à la fédération roumaine et au ministère des sports, qui ont finalement
décliné la proposition de Bobby Fischer, prétextant le manque de fonds, même si
Bobby avait passé à la trappe beaucoup de ses exigences habituelles pour ce
match amical. Certes, je n’aurais pas disputé le titre mondial à l’occasion,
mais il voulait prouver que le résultat de La Havane n’était qu’un accident
pour lui. Or, pour moi aussi, cela aurait été la chance de pouvoir me mesurer
de seul à seul avec le plus grand joueur d’échecs de tous les temps ».
Fischer allait prendre toutefois sa
revanche lors de leur troisième rencontre, deux années plus tard : « Ma
troisième rencontre avec Bobby Fischer a eu lieu à l’occasion du super tournoi
organisé par le plus grand journal d’Amérique du Sud, la gazette Clarin. Il a
eu lieu à Buenos Aires, en 1970. Bobby était malheureusement arrivé en retard,
et les organisateurs avaient manqué de peu de le disqualifier. Il avait
d’ailleurs perdu ses deux premières sur tapis vert, et deux grands maîtres internationaux
ont malheureusement accepté de gagner de la sorte, contre Bobby Fischer. Puis,
pour sa première vraie partie, il s’est retrouvé devant moi. Si j’avais accepté
que le jeu se décide de la même manière, Fischer aurait été éliminé du tournoi.
Pour ma part, j’avais choisi de relever le défi et il est resté dans la course.
Il est arrivé en retard, mais a joué une partie formidable contre moi, tout
comme ont été ses autres parties de ce tournoi, et il avait ainsi réussi à
égaliser notre score. »
La quatrième et dernière rencontre entre
les deux joueurs a eu lieu la même année, 1970, se finalisant par un match nul.
Florin Gheorghiu : « Notre quatrième rencontre a eu lieu à
l’Olympiade de Siegen, en 1970. L’évolution
de cette partie a été dramatique. Lorsqu’on l’avait interrompue, durant la
nuit, j’ai analysé le rapport des forces sur l’échiquier et je me suis rendu bien
compte que Bobby avait toutes ses chances de la remporter, et que la moindre
erreur de ma part m’aurait été fatale. J’avais alors trouvé, malgré tout et à
la surprise générale, la parade. J’avais sacrifié un cheval contre deux pions.
Or, il est bien connu qu’il est déconseillé de sacrifier une pièce en fin de
partie. Je l’avais fait pourtant. J’avais ainsi réussi à l’annuler. Et cela
avait été notre dernière rencontre. »
Grâce aux exploits du grand maître
international Florin Gheorghiu, les échecs roumains peuvent s’enorgueillir
d’avoir pu, à un moment donné, partager le niveau de jeu de Bobby Fischer, ce
grand champion américain qui allait remporter à Reykjavik, en 1972, le match du
siècle contre le grand maître soviétique Boris Spasski. Florin Gheorghiu avait
pris part à 14 olympiades internationales, dont 4 dont il est sorti invaincu. Dans
les années 70, lorsque Bobby Fischer recevait le sacre, Florin Gheorghiu était
un des dix meilleurs joueurs d’échecs au monde. (Trad. Ionuţ Jugureanu)