Le dossier médical du poète national roumain Mihai Eminescu
Mihai
Eminescu a été l’un de ces esprits qui ont marqué à jamais l’histoire de la
littérature et de la culture roumaine. Poète, prosateur et journaliste fécond,
il fut affublé du titre officieux mais tant convoité de poète national. 150 ans
après sa mort, il demeure, encore et toujours, la personnalité culturelle
plébiscitée par une majorité de Roumains. Le jour anniversaire de sa naissance
est par ailleurs devenu le jour de la culture roumaine. En 2006, lors d’un jeu
télévisé intitulé « Grandes personnalités de la culture roumaine » et
organisé par la télévision publique, le nom de Mihai Eminescu avait occupé la troisième
place après le vote des téléspectateurs. C’est dire combien le poète de génie,
qui vécut au milieu de XIXe siècle, entre 1850 et 1889, avait
durablement marquée de son empreinte la mémoire collective des générations de
Roumains. Mais le grand poète fut rongé à la fin de sa vie par une maladie
neurologique incurable, qui eut raison de lui à seulement 39 ans et dont la
nature fait toujours débat dans les milieux médicaux et parmi les historiens de
la littérature roumaine.
Steliu Lambru, 15.08.2022, 13:21
Mihai
Eminescu a été l’un de ces esprits qui ont marqué à jamais l’histoire de la
littérature et de la culture roumaine. Poète, prosateur et journaliste fécond,
il fut affublé du titre officieux mais tant convoité de poète national. 150 ans
après sa mort, il demeure, encore et toujours, la personnalité culturelle
plébiscitée par une majorité de Roumains. Le jour anniversaire de sa naissance
est par ailleurs devenu le jour de la culture roumaine. En 2006, lors d’un jeu
télévisé intitulé « Grandes personnalités de la culture roumaine » et
organisé par la télévision publique, le nom de Mihai Eminescu avait occupé la troisième
place après le vote des téléspectateurs. C’est dire combien le poète de génie,
qui vécut au milieu de XIXe siècle, entre 1850 et 1889, avait
durablement marquée de son empreinte la mémoire collective des générations de
Roumains. Mais le grand poète fut rongé à la fin de sa vie par une maladie
neurologique incurable, qui eut raison de lui à seulement 39 ans et dont la
nature fait toujours débat dans les milieux médicaux et parmi les historiens de
la littérature roumaine.
Né
dans la paisible ville moldave de Botoșani, septième enfant d’un inspecteur de
Finances, Mihai Eminescu débuta dans le monde littéraire à 16 ans, alors qu’il
était encore élève de lycée. On le retrouve ensuite étudiant en droit et en
philosophie à Vienne, puis à Berlin, avant qu’il ne rentre au pays, pour travailler
en tant que bibliothécaire, enseignant suppléant, inspecteur scolaire, mais
aussi journaliste prolixe dans la rédaction de Timpul / Le Temps, journal
conservateur en vogue à l’époque. En parallèle, Mihai Eminescu démarre une
brillante carrière littéraire, dont le poème à 98 strophes intitulé « Luceafarul
/ Hypérion » demeure encore aujourd’hui le symbole du génie de la
littérature roumaine. Une carrière interrompue brutalement, à seulement 33 ans,
en 1883, année où la maladie dont il semblait souffrir lui enlève ses capacités
d’expression.
Des
générations successives d’historiens littéraires se sont penchées sur les
origines et la nature de cette maladie, d’autant plus que les médecins qui avaient
cherché à le guérir à l’époque ne s’étaient jamais concertés sur un diagnostic
certain. Aujourd’hui, le professeur en médecine Octavian Buda, de l’université
de médecine « Carol Davila » de Bucarest, également psychiatre auprès
de l’Institut de médecine légale « Mina Minovici », se penche à
nouveau sur le cas du patient Mihai Eminescu, après avoir récemment fait partie
d’un collectif de spécialistes ayant eu à cœur de réexaminer le dossier médical
du célèbre patient.
Octavian Buda : « Le professeur en médecine Irinel Popescu et l’historien littéraire et
membre de l’Académie Eugen Simion avaient pris l’initiative de réunir un
collectif de spécialistes qui réexaminent le dossier du célèbre patient. L’équipe
était en outre formée de psychiatres et de neurologues. Pour ma part, j’avais réalisé
une introduction à la pathographie, cette science qui a pour but de déceler les
maladies d’après l’écriture du patient et l’analyse médicale de sa biographie.
Car, vous savez, une maladie neurologique marque de son empreinte le parcours
du patient. À partir de là, se pose la difficile question du lien entre
l’individu, de chair et d’os, et son œuvre, entre sa biographie et son œuvre. »
À
l’été 1883, Eminescu est hospitalisé pour la première fois, avec le diagnostic
de « manie aigüe », dans le bien connu hôpital des maladies mentales « Mărcuţa »
de Bucarest. Ce sera le premier internement d’un long et pénible parcours de
patient.
Octavian Buda pense que, de nos jours, le
diagnostic que les psychiatres poseraient à un tel patient serait celui de troubles
bipolaires : « Le docteur Ion Nica, qui avait écrit un ouvrage intitulé
« La structure psychosomatique d’Eminescu » dans les années 1970,
s’était d’ores et déjà essayé dans cette approche. Un pathologiste, le médecin
Ovidiu Vuia, l’avait également suivi à l’époque. Pour ma part, je présume des
troubles bipolaires. Car l’on remarque une succession de périodes
d’effervescence créative exceptionnelle, mais accompagnées d’épisodes
biographiques plutôt agités, et entrecoupées de périodes dépressives caractérisées.
Les éléments biographiques qui se trouvent en notre possession suggèrent une
instabilité mentale chronique, et la succession d’internements qu’il subit, à
partir de 1883, à Mărcuţa d’abord, à l’hospice « La charité » du
docteur Şuţu ensuite, en témoigne. C’est dans ce dernier hospice qu’Eminescu
est d’ailleurs décédé. »
Le docteur
Buda dénonce cependant le traitement que les médecins de l’époque avaient fait
subir à leur célèbre patient. Des médecins que l’on peut cependant
difficilement accuser d’erreur médicale, compte tenu de l’état des
connaissances médicales de l’époque.
Octavian Buda : « Est-ce que la maladie
avait empiété sur les capacités créatrices du grand poète, sur son génie ?
J’en doute. Il est possible que la maladie les ait, au contraire, mieux révélées.
Mais la grande question demeure celle du traitement qu’on lui avait prescrit à
l’époque, par le docteur Şuţu et par ses autres médecins traitants. Car si le
diagnostic demeure discutable, mais l’on pourrait s’accorder là-dessus à la
limite, la grande question qui demeure est celle-là. Tout porte à croire qu’Eminescu
a été traité au mercure, couramment utilisé comme sédatif à l’époque, en ignorant
tout de ses effets adverses. Or, le mercure pris en quantité s’avère être un
élément extrêmement toxique et je crains fort que ce traitement n’a fait
qu’empirer l’état du patient et accélérer l’issue fatale de la maladie. Ce
n’est que bien plus tard que la science allait comprendre combien
l’intoxication au mercure provoquait des lésions neurologiques fatales. »
Mihai
Eminescu demeure pour sûr la grande figure tutélaire de la culture roumaine
moderne. Sa mort prématurée a constitué un sujet de supputations diverses pour
ses contemporains, ce qui ne risque pas de s’arrêter aujourd’hui. (Trad. Ionuţ
Jugureanu)