Le chantier à l’époque communiste
Il y avait les grands chantiers nationaux, les projets gigantesques, mais aussi les chantiers pour la construction de fabriques et d’usines, de quartiers résidentiels en milieu urbain ou autres. Parmi les grands chantiers nationaux de l’époque, il convient de mentionner les centrales hydroélectriques, les voies ferrées, la modernisation des routes, le canal reliant le Danube à la mer Noire, la route de haute montagne Transfăgărăşan, la Maison du peuple et l’aménagement urbain connu sous le nom de Centre civique de Bucarest.
Steliu Lambru, 16.10.2017, 12:04
En ces temps-là, le chantier était censé montrer aux gens que les dirigeants communistes se démenaient pour la prospérité et le bonheur du peuple, que leurs toits et emploi, c’était à l’idéologie qu’ils les devaient. Pas un mot, en échange, sur le travail forcé des détenus politiques et des soldats. Le taux de fréquence des accidents du travail, les mauvaises conditions de travail, le contrôle rigoureux exercé par les organes répressifs faisaient que le chantier ressemble sur plus d’un point à un véritable camp de concentration. Pour ne plus parler de la faible performance économique et des pertes causées par le gaspillage et les vols de matériaux.
L’historien Dinu Giurescu a travaillé pour Sovromconstrucţia, entreprise mixte roumano-soviétique qui effectuait des travaux de construction de routes. Il avait suivi des cours de spécialité, ainsi que des cours d’économie politique et de marxisme. Dans une interview accordée en 2002 au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, l’historien raconte qu’il avait été contraint de se réorienter professionnellement et d’opter pour un poste inférieur à sa formation.
Dinu Giurescu : « J’étais planificateur, ce qui veut dire que je calculais le rendement du travail et les salaires des ouvriers. Dans les années 1948-49, lorsque j’étais étudiant, je n’aurais jamais imaginé que j’allais devenir planificateur ou technicien. Moi, je voulais être professeur. Pourtant, je commençais à réaliser dans quelle direction allaient les choses. Comme j’étais un indésirable du régime en place, on m’a interdit de passer mon examen de fin d’études supérieures, en 1949 ».
Le jeune intellectuel Giurescu allait donc travailler et vivre aux côtés des gens simples.
Dinu Giurescu : « Les gens m’ont bien reçu, en général. Je ne parle pas des fonctionnaires, parce que leur monde est une véritable jungle, puisque tous les échoués politiques et sociaux y ont trouvé une place. Il y avait d’anciens officiers, avocats, magistrats, comptables etc. Je me souviens d’un certain Dumitrescu, ex-officier de la Garde royale. Quant aux ouvriers, ils étaient recrutés parmi les villageois des hameaux environnants ».
Dinu Giurescu a également travaillé sur le chantier de construction de l’aérodrome de Bacău, objectif militaire secret, ce qui explique la haute surveillance des travailleurs.
Dinu Giurescu : « Nous travaillions sous haute surveillance, car c’était un chantier militaire. En été, on nous envoyait des soldats des bataillons de travail. Pendant les 2 ou 3 ans de service militaire, ils ne faisaient pas d’instruction, mais travaillaient à la pelle et à la pioche. Comme ils n’avaient pas de planificateur, j’ai été chargé de planifier leur travail aussi. Je m’entendais très bien avec leur adjudant et j’aidais parfois les soldats, en déclarant qu’ils avaient respecté les normes en matière de quantité de travail fourni, ce qui n’était pas toujours vrai ».
L’événement majeur des années ’50 a été la mort du dictateur Staline. Dinu Giurescu se rappelle qu’il se trouvait sur le chantier quand il a appris la nouvelle.
Dinu Giurescu : « On nous a convoqués à la cantine, qui servait aussi de salle de réunion et on a lu devant nous le communiqué officiel annonçant la mort du camarade Staline, celui que l’on considérait comme le plus grand génie de l’humanité. Nous avons eu droit aussi à la lecture de l’éditorial paru dans le journal Scânteia sur ce même sujet. Ensuite, deux ou trois personnes ont pris la parole. Nous affichions tous une mine de circonstance, mais, en aparté, mon copain Grigore Ioan m’avait dit : Le bourreau est mort, on va voir ce qui va se passer. Trois ou quatre jours plus tard, je suis allé à Bucarest. J’avais rendez-vous avec un autre planificateur, Anton de son nom, qui m’attendait à la Gare du Nord. Tu sais, Clement Gotwald de Slovaquie est mort lui aussi, me dit-il. Nous espérions que certains de nos dirigeants allaient eux aussi mourir, mais cela n’est pas arrivé. »
Disparus en 1989, avec la chute du régime communiste, les chantiers propres à cette époque ont eu une dimension répressive dominante. (Trad. Mariana Tudose)