Le centenaire d’Eugen Lovinescu
Commémoration de la première publication de cet auteur roumain, connu pour son livre monumental, en trois tomes, intitulé « L’histoire de la civilisation roumaine moderne », paru cent ans auparavant.
Steliu Lambru, 02.12.2024, 11:00
Cette année les lettres roumaines rendent hommage à l’un de ses représentants de marque, le critique littéraire Eugen Lovinescu. Né en 1881 à Fălticeni, dans le nord du pays, et décédé en 1943 à Bucarest, il sera notamment connu pour son livre monumental, en trois tomes, intitulé « L’histoire de la civilisation roumaine moderne », paru cent ans auparavant, entre 1924 et 1925. Lovinescu, un inconditionnel des valeurs occidentales, étaye tout au long de son ouvrage sa thèse principale sur le pouvoir d’attraction de grandes civilisations sur les sociétés situées en périphérie. Une tendance lourde qui ne pouvait pas épargner la société et la culture roumaine. Une thèse qui fait débat à l’époque et qui continue de susciter aujourd’hui l’intérêt des penseurs de tous bords. Le littéraire Ion Bogdan Lefter, professeur à l’Université de Bucarest, fait redécouvrir au public roumain le livre d’Eugen Lovinescu, cent ans après sa première parution :
« La première question que je me suis posée c’est pourquoi parler de ce livre ? Tout d’abord pour faire revivre cette personnalité prodigieuse de la littérature roumaine. Il s’agit, selon moi, d’une figure phare de la littérature roumaine post 1900 et du plus important critique littéraire roumain de l’histoire. Le second argument réside dans l’actualité de sa thèse. Car cette thèse dépasse le champ littéraire ou culturel stricto sensu ».
Une thèse toujours d’actualité
Ion Bogdan Lefter croit en effet toujours actuelle la thèse défendue par Eugen Lovinescu dans son ouvrage « L’histoire de la civilisation roumaine moderne » :
« Inspiré par la théorie de l’imitation de Gabriel Tarde, la théorie de Lovinescu exprime une forme de mondialisation de la culture avant la lettre. L’influence qu’exercent les cultures majeures sur les cultures périphériques est indéniable. Ces dernières s’en inspirent, tentent de s’aligner aux grands courants de pensée, entrent dans la compétition. Et cette thèse de Lovinescu me semble toujours pertinente et d’actualité. Il n’est pas le prophète d’une quelconque mondialisation culturelle, mais la constate. »
Culture et civilisation sont indissociables
La direction que suit la civilisation n’a jamais laissé personne indifférent. Mais l’évolution de la civilisation humaine est sans nul doute influencée par celle suivie par la culture. Car la culture et la civilisation sont indissociables. Partant de la thèse défendue par Eugen Lovinescu, le critique littéraire Ion Bogdan Lefter pense que la marche de l’humanité est davantage le fruit des accumulations successives plutôt que celui de grands bonds en avant. Ion Bogdan Lefter :
« J’assume plutôt la thèse des accumulations progressives qui déterminent l’évolution, la thèse de la continuité plutôt que celle de la rupture. Certes, il y a des moments de rupture, parfois radicaux. Mais cela s’inscrit toujours dans des processus d’une évolution plus large, plus ample, au sein de laquelle la continuité demeure le fil conducteur. Quoi qu’il en soit, je suis extrêmement réticent lorsque l’on parle de ruptures radicales. »
La charge historique de toute littérature
Des penseurs tel qu’Eugen Lovinescu, qui ont transcendé les frontières de leur discipline, sont plutôt rares, nous assure Ion Bogdan Lefter :
« Lovinescu a compris que la littérature, la culture sont inscrites dans leur temps. Il n’existe pas de littérature dépourvue de sa charge historique. Il n’existe pas d’histoire de la littérature qui puisse ignorer l’histoire sociale plus large de son temps. Le débat public présuppose maîtriser tout d’abord le discours. Or qui sont ceux qui maîtrisent au plus haut point le discours public si ce n’est les écrivains. »
Il y a cent ans, Eugen Lovinescu laissait en héritage à cette culture roumaine qu’il aimait tant ce grand livre qui parlait de l’ADN identitaire de la société roumaine de son époque et de son avenir. (Trad. Ionut Jugureanu)